C'est sans conteste un scrutin historique qui s'est déroulé ce week-end des 29 et 30 juin en France. L'extrême droite n'a jamais été aussi forte dans le pays. À l'issue du second tour (les 6 et 7 juillet), le Rassemblement national (RN) peut espérer décrocher une majorité de sièges dans la prochaine Assemblée nationale pour pouvoir peser dans la formation du futur gouvernement. Face à la perspective de voir Jordan Bardella s'emparer des clés de Matignon, les électeurs et électrices se sont mobilisés en masse dans l'Hexagone, et fortement en Outre-mer.
Les 27 députés ultramarins sortants se représentaient tous pour briguer un nouveau mandat de cinq ans. La plupart d'entre eux ont dû pousser un "ouf" de soulagement à l'annonce des résultats, entre samedi soir et dimanche soir. Car, sur les 27, plusieurs partent favoris pour le second tour. À La Réunion, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, les sortants devraient facilement être réélus. Certains d'entre eux ont obtenu des scores très élevés, dépassant quelques fois les 50 % des suffrages exprimés : c'est le cas d'Olivier Serva (51,85 %) et d'Elie Califer (57,90 %) en Guadeloupe, de Jiovanny William (56,56 %), de Marcellin Nadeau (50,79 %) et de Jean-Philippe Nilor (63,18 %) en Martinique, de Jean-Victor Castor (62,7 %) en Guyane... Ils auraient pu être réélus dès le premier tour, mais, pour cela, il leur fallait obtenir plus de 25 % des suffrages par rapport au nombre d'inscrits. Or, même s'il faut noter un sursaut de participation des électeurs et électrices ultramarines, l'abstention reste relativement élevée dans les Outre-mer. Difficile, donc, de franchir ce seuil.
Les surprises du Pacifique
En revanche, d'autres ont été plus chanceux et ont d'ores et déjà reçu leur ticket pour siéger à l'Assemblée nationale. Mikaele Seo, député Renaissance sortant de Wallis et Futuna, a été réélu haut la main avec 62,23 % des suffrages, lui assurant un retour sur les bancs de l'Hémicycle. Il sera rejoint par Moerani Frebault, premier nouveau visage du Palais Bourbon, qui a, lui aussi, été élu dès le premier tour en Polynésie française avec 53,85 % des voix.
À Mayotte, Estelle Youssouffa, du groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, aussi évitera le second tour et retrouvera l'Assemblée après avoir obtenu plus de 79 % des suffrages. Davy Rimane (60,21 %), soutenu par le Nouveau Front Populaire, n'aura aucun adversaire face à lui en Guyane, la candidate arrivée en deuxième position, Sophie Charles (25,49 %), ayant annoncé retirer sa candidature. Il sera donc réélu à l'issue du second tour, la semaine prochaine.
À rebours de la relative continuité qui a marqué le scrutin aux Antilles ou en Guyane, ces élections législatives ont réservé quelques surprises dans le Pacifique. Déjà parce que deux députés sortants ont été battus et ne reviendront pas à Paris : le Polynésien Tematai Le Gayic, benjamin de l'Assemblée lors de la dernière mandature, qui a été éliminé face à Moerani Frebault ; et le Calédonien Philippe Dunoyer, devancé par une indépendantiste et son ancien collègue non-indépendantiste au Parlement Nicolas Metzdorf, qui était venu l'affronter dans sa circonscription.
En Polynésie française, l'alliance nouée par les partis autonomistes (opposés aux indépendantistes) a clairement payé. Le nouveau député déjà élu, issu du Tapura, s'est imposé face au jeune indépendantiste du Tavini, Tematai Le Gayic, dans la 1ère circonscription. Dans la 2ème, l'ancienne députée autonomiste Nicole Sanquer est arrivée en tête avec 49,09 % des voix, juste devant Steve Chailloux, l'élu indépendantiste sortant (42,19 %). Enfin, Mereana Reid-Arbelot (Tavini) l'emporte d'une courte tête dans la 3ème circonscription, avec 42,71 %. Mais elle est suivie de très près par Pascale Haiti (41,08 %), de l'alliance autonomiste, qui pourrait bien bénéficier du report de voix de la candidate dissidente Naumi Mihuraa (11,05 %) pour le second tour.
En Nouvelle-Calédonie, territoire frappé par des violences depuis le 13 mai, le scrutin s'est, encore une fois, déroulé dans un climat tendu. À Houaïlou, dans le centre de la Grande-Terre, des émeutiers ont bloqué l'accès à la mairie, rendant l'ouverture des bureaux de vote impossible. Mais les tensions n'ont pas empêché les électeurs de se rendre aux urnes dans les bureaux ouverts : le taux de participation dépasse les 60 % sur le Caillou.
Au second tour, les électeurs devront trancher lors de deux duels indépendantistes / non-indépendantistes. Dans la 1ère circonscription, le sortant Nicolas Metzdorf (Loyaliste et Rassemblement, 39,7 % au premier tour) fera face à Omayra Naisseline (36,3 %) de l'Union calédonienne (pro-indépendance). Les deux représentent les franges les plus radicales de leur bloc politique. Dans la 2ème circonscription, le duel opposera Emmanuel Tjibaou (Union calédonienne, 44,1 %) et Alcide Ponga (Loyaliste et Rassemblement, 36,2 %). Les représentants du camp modéré des non-indépendantistes, Philippe Dunoyer et l'ancien sénateur Gérard Poadja, investis par le parti Horizons, ont été sèchement battus.
La percée du Rassemblement national
La grosse surprise de ce scrutin est la percée inédite du Rassemblement national (RN) dans quelques circonscriptions d'Outre-mer, et notamment à La Réunion. Tous les candidats d'extrême droite investis par le parti de Jordan Bardella se sont qualifiés pour le second tour dans les sept circonscriptions réunionnaises.
Un résultat inédit pour le parti à La Réunion. La polémique déclenchée par Johnny Payet, représentant départemental du parti, sur la mémoire de l'esclavage n'a pas refroidi les électeurs réunionnais. Dans la 3ème circonscription de l'île, Joseph Rivière arrive même en tête du premier tour, avec plus de 30 % des suffrages, chassant la députée sortante Nathalie Bassire (22,96 %), qui est arrivée derrière le candidat du Nouveau Front Populaire Alexis Chaussalet (23,8 %). Une victoire pour le parti de Jordan Bardella, qui espère bien envoyer le plus de députés possible à l'Assemblée nationale afin d'être nommé Premier ministre.
Ailleurs en Outre-mer, le Rassemblement national (RN) n'a pas particulièrement brillé, malgré de bons résultats lors des dernières élections européennes et présidentielles. Il faut dire que le parti d'extrême droite peine à s'implanter localement. À Saint-Pierre et Miquelon, la candidate parachutée, Patricia Chagnon, termine dernière avec 10,59 % des voix. En Guyane, le candidat LR-RN n'a recueilli que 9,3 % des voix. En Polynésie comme en Nouvelle-Calédonie, le RN n'a fait que de petits scores.
Le Rassemblement national a néanmoins réussi à se hisser au second tour dans plusieurs circonscriptions ultramarines. Une grande première (il s'était qualifié dans une circonscription guadeloupéenne en 2022, mais c'était alors une exception). Ainsi, en Guadeloupe, Rody Tolassy, qui a obtenu 25,90 % des voix, affrontera de nouveau Max Mathiasin (36,21 %) dans la 3ème circonscription.
Le candidat du Nouveau Front Populaire Christian Baptiste sera lui face à Laurent Petit, même si le député sortant a une grosse avance sur le candidat RN et devrait aisément retrouver son siège (il a obtenu 41,33 % des suffrages, contre 17,3 % pour son adversaire). Enfin, et c'est une surprise, un candidat Rassemblement national sera également au second tour dans l'un des duels martiniquais : Grégory Roy-Larentry fera face à Jean-Philippe Nilor dans la 4ème circonscription du département. Là encore, la victoire semble acquise pour le député sortant, qui a reçu 63,18 % des suffrages, contre 9,88 % pour son adversaire. Mais la présence du RN dans un second tour en Martinique reste inédite.
À Mayotte, où Jordan Bardella a réalisé son meilleur score lors des élections européennes du 9 juin, le député sortant Les Républicains Mansour Kamardine est mis en difficulté par la candidate du Rassemblement national Anchya Bamana, qui a reçu 35,42 % des votes contre 27,80 % pour l'élu LR. Au total, il y aura donc 11 duels opposant un candidat ou une candidate d'extrême droite à un ou une député(e) sortant(e).
Au-delà de l'extrême droite, la gauche, qui est partie désunie dans un grand nombre de circonscriptions, ressort en force, notamment aux Antilles et en Guyane, où elle a été plébiscitée par les électeurs. Les électeurs de Fort-de-France devront d'ailleurs départager deux candidats de gauche, Johnny Hajjar et Béatrice Bellay, arrivés en tête lors du premier tour.
Seule force politique complètement absente de ce week-end électoral ultramarin : la majorité présidentielle. Le parti d'Emmanuel Macron n'avait investi que deux candidats en Outre-mer. À La Réunion, Nadia Ramassamy n'a réuni qu'un peu plus de 9 % des voix. Frantz Gumbs, du MoDem, est en ballotage favorable à Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Seul Mikaele Seo assure un siège pour Renaissance au sein de l'Assemblée nationale. Une Assemblée qui sera, sans aucun doute, plus éclatée que jamais au soir du second tour.