Il contamine les végétaux et les animaux puis les humains qui les consomment. Le chlordécone, ce pesticide destiné à lutter contre le charançon de la banane, a été très utilisé aux Antilles jusqu'en 1993 sous dérogation, quand le reste du territoire français en avait banni l'usage, du fait de sa toxicité et de sa rémanence de plusieurs siècles. Jusqu'en mai, seules les personnes les plus exposées, comme les agriculteurs, pouvaient faire tester leur taux de contamination; désormais, tout le monde peut faire sans frais une prise de sang pour savoir à quoi s'en tenir.
"Tout le monde devrait faire ce test", recommande Janmari Flower, vice-président de l'association Vivre qui a fait de la défense des "personnes victimes de l'empoisonnement au chlordécone" son fer de lance. Mais dans les faits, depuis l'ouverture du test gratuit, sur 385 000 habitants, "1 252 prélèvements de chlordéconémie ont été réalisés", indique Caroline Corlier, chargée de mission de l'Agence régionale de santé qui compile les résultats.
Soupçonnée d'être à l'origine de nombreuses maladies, dont le cancer de la prostate, le chlordécone serait pourtant présent dans le corps de "plus de 90% des Antillais", selon l'étude Kannari de Santé publique France, menée entre 2011 et 2018. "Ce test pourrait permettre de vérifier non seulement ces données qui sont le résultat d'une extrapolation à partir d'un petit échantillon, mais aussi de croiser les données avec l'état de santé la population", estime Janmari Flower, qui mentionne notamment la cardiotoxicité de la molécule. "Les maladies cardio-vasculaires, même si elles sont multifactorielles, sont la première cause de décès" en Guadeloupe, rappelle-t-il.
Adapter son mode de vie
Selon Caroline Corlier, 50% de la population guadeloupéenne est exposée à moins de 0,06 microgramme par litre de sang. "Ces doses-là ne peuvent pas se quantifier, mais il y a tout de même des traces", explique-t-elle. Les 50% restants sont au-delà. "La valeur toxique de référence (VTR-dose à partir de laquelle le risque de maladie s'accroît, NDLR), est fixée à 0,4 microgramme par litre de sang: 15% des Guadeloupéens sont concernés, et souvent originaires du croissant bananier", dans le Sud de la Basse-Terre, détaille-t-elle.
Lorsqu'une personne testée dépasse la VTR, elle rentre dans un parcours de prise en charge: "il y a un premier bilan à domicile, pour évaluer les modes de vie et de consommations alimentaires, puis des ateliers collectifs pour travailler sur les modes alimentaires. D'autres ateliers pour apprendre à cultiver hors-sol par exemple, peuvent-être envisagés", détaille Caroline Corlier.
En effet, peu de monde sait que le chlordécone s'élimine naturellement en réduisant son exposition. "Pour les personnes contaminées, on propose des tests à 9 puis 18 mois, pour noter l'évolution, et voir l'impact du programme de l'ARS après quelques temps", ajoute Mme Corlier.
Tester gratuitement son jardin
Les Guadeloupéens, qui cultivent souvent leurs jardins, ont également "la possibilité de faire tester leur parcelle" gratuitement, explique Guillaume Pompougnac, chef du projet Jafa pour jardins familiaux. Depuis 2009, des équipes peuvent venir à domicile prélever des carottes de terre qui seront analysées pour connaître le taux de chlordécone qu'elles contiennent. Si la terre est contaminée il faut éviter de planter des légumes racines comme l'igname. Ces données ont permis d'établir une cartographie: "les terres les plus polluées sont celles qui ont servi à la culture de la banane depuis les années 1970. Mais il n'est pas impossible, loin de là, que le pesticide ait été utilisé sur d'autres cultures", selon le programme Jafa.
Par ailleurs, de nombreuses recherches sont lancées, comme par exemple l'étude des modes de cuisson sur les aliments contaminés (racines, poissons, etc...) pour en mesurer l'incidence, menée par l'Anses, ou à l'université des Antilles, une recherche sur du charbon actif à base de sargasses avait donné des résultats positifs en matière de dépollution des sols notamment.