Marie-Claude Tjibaou : "Moi, je n’ai pas d’autre patrie que la Nouvelle-Calédonie" #MaParole

Marie-Claude Tjibaou
De passage au festival Rochefort-Pacifique pour présenter le documentaire "Andi" qui retrace son parcours, Marie-Claude Tjibaou a accepté l’invitation de #MaParole. Son témoignage rare raconte une histoire de la Nouvelle-Calédonie ponctuée de drames et d’événements fondateurs.

Elle porte un nom qui symbolise à lui seul toute l’histoire de la Nouvelle-Calédonie à la fin du 20e siècle. Et ce nom, la veuve du leader indépendantiste assassiné le 4 mai 1989, est parvenu à le faire vivre à travers la création du centre Tjibaou et à travers sa participation à la vie associative et politique du caillou. De passage à Rochefort pour présenter le documentaire Andi (Emmanuel Tjibaou, Dorothée Tromparent) qui retrace tout son parcours, Marie-Claude Tjibaou a accepté de faire escale dans #MaParole.

1 Ponérihouen

Native de Ponérihouen, sur la côte est de la Nouvelle-Calédonie, Marie-Claude Wetta, l’aînée d’une fratrie de onze enfants, grandit dans l’admiration d’un père infirmier à l’excellente réputation et pionnier sur le plan politique. Ses parents ont vécu l’arrivée des Américains qui ont bouleversé le train-train de la colonie française et montré aux Kanak qu’une autre vie était possible. Ils ont aussi subi l’indigénat dont le code a été aboli seulement en 1946. Ce régime imposait les travaux forcés, l’interdiction de circuler après 20h ou encore le paiement d’un impôt de capitation.

Née le 10 janvier 1949, Marie-Claude Wetta n’a guère appris à l’école l’histoire de son pays. Au contraire, ses professeurs lui enseignaient : "nos ancêtres les Gaulois". Elle fait partie de ces premières kanak à aller à l’école européenne. Ses camarades de jeu sont des enfants de colons, "la fille du gendarme, du docteur ou d'exploitants agricoles". Sa mère, fille naturelle d’un père européen qui ne l’a pas reconnu, a la peau très blanche. Elle est discrète et se consacre entièrement à ses enfants. Son père infirmier au dispensaire de Ponérihouen est très populaire car il accouche toutes les femmes du village et de la brousse.

Dans sa jeunesse, Marie-Claude Wetta baigne dans la culture protestante paternelle. Elle va à l’école du dimanche, le catéchisme des protestants. Dans le documentaire Andi, elle déclare : "ce qui m’a le plus façonné, c’est la rigueur et la discipline protestante". Son père fait d’ailleurs partie des membres fondateurs de l’Association des indigènes calédoniens et loyaltiens français (AICLF d’inspiration protestante), l’un des deux partis créé après l’abolition du code de l’indigénat en 1947 avec l’UICALO d’obédience catholique. Les deux organisations donneront naissance à l’Union Calédonienne en 1953.

Doui Matayo Wetta est élu au conseil général puis devient ministre dans le conseil du gouvernement de 1958 à 1962. En 1959, la famille part s’installer à Nouméa. Marie-Claude Tjibaou qui n’a alors que dix ans se souvient d’un "accueil étrange" : "à l’épicerie, on nous servait en dernier et on nous tutoyait". Rien à voir avec le Ponérihouen de son enfance où des enfants de toutes les couleurs se mélangeaient sans distinction. Heureusement, il y a la pratique du sport à Nouméa, la nouvelle passion de Marie-Claude Wetta.

Des manifestations éclatent contre les ministres et son père décide de repartir en brousse. Marie-Claude Tjibaou revient à Ponérihouen et abandonne les études à 16 ans. Elle se consacre à la peinture, ramasse le café et s’occupe de l’éducation de ses petits frères et sœurs. Elle poursuit ses entraînements et brille à plusieurs reprises dans des compétitions de lancer de poids. Médaillée d’or à Port Moresby en 1969 puis en 1971 à Papeete lors des jeux du Pacifique sud, Marie-Claude Wetta excelle et voit du pays. Elle se souvient en particulier de l’ouverture des jeux du Pacifique en Papouasie Nouvelle-Guinée. Elle est émerveillée par les danses, les costumes et un tel degré d’esthétique.

Elle part quelques mois dans l’Hexagone faire un stage à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance). Elle se rend compte alors qu’elle en sait beaucoup sur l’histoire de France alors que ses camarades ne connaissent absolument rien de son pays.

2 Hienghène

De retour en Nouvelle-Calédonie, Marie-Claude Wetta œuvre en tant que conseillère rurale pour le développement, l’éducation et la diffusion de l’hygiène dans les tribus proches de Ponérihouen. La sportive met aussi en place des bibliothèques, des pharmacies de premier secours. Elle projette des films et fait office d’écrivain public.

Et puis un jour, une délégation vient frapper à la porte de sa maison. Les grandes familles protestantes et catholiques kanak se sont mises d’accord. Il faut marier Jean-Marie Tjibaou à Marie-Claude Wetta afin de sceller l’union entre catholiques et protestants sur l’île. Le 8 juin 1973, Marie-Claude Wetta part avec sa sœur à Hienghène. Elle ne connaît pas la tribu et se marie avec un homme qu’elle découvre peu à peu. Dans le documentaire Andi, l’histoire est racontée par Marie-Claude Tjibaou avec beaucoup d’humour.

Progressivement, les deux époux font équipe. Des enfants naissent et un projet splendide germe dans la tête de Jean-Marie Tjibaou, à savoir le festival Mélanésia 2000. Le futur leader du FLNKS estime que les Kanak doivent retrouver la fierté de leur culture et la faire partager. En 1975, des centaines de Kanak participent au succès de ce festival qui montre leurs danses, leurs musiques, leurs langues et la coutume. Marie-Claude Tjibaou participe à l’écriture du spectacle avec son père. Elle imagine et confectionne les costumes. Elle évoque dans #MaParole tout un travail de préparation intense et merveilleux. 

Après Mélanésia 2000, Jean-Marie Tjibaou poursuit sa carrière politique. Il est élu en 1977 maire de Hienghène. Puis en 1982, il devient vice-président du conseil du gouvernement et crée en 1984 le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste). Marie-Claude Tjibaou le soutient et lui fait part de ses conseils. A partir de 1984, les tensions entre Caldoches et Kanak virent à la guerre civile.

En 1984, Eloi Machoro brise une urne à Canala avec une hache pour symboliser le boycott des institutions et des élections lancé par le FLNKS. Un an après, il est assassiné. Toujours en 1984, deux frères de Jean-Marie Tjibaou sont tués lors d’une embuscade organisée à Waan Yaat. Un véritable massacre auquel Jean-Marie Tjibaou a échappé de peu. Les sept assassins sont acquittés. Dans #MaParole, Marie-Claude Tjibaou dénonce cette injustice et déplore que la lumière ne soit toujours pas faite sur ce massacre dans lequel au total dix hommes de Tiendanite, la tribu des Tjibaou, ont été assassinés.

3 Ouvéa

Des deux côtes les violences s’enchainent jusqu’à la prise d’otages et l’assaut final de la grotte à Gossanah. La tragédie d’Ouvéa se solde par la mort de 19 indépendantistes et six militaires. Après cette tragédie, Michel Rocard, Premier ministre, prend les choses en main. Il parvient à faire signer aux deux leaders de deux camps indépendantistes et loyalistes, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur, les accords de Matignon qui prévoient un référendum sur l’indépendance d’ici à dix ans. Dans #MaParole, Marie-Claude Tjibaou raconte qu’au téléphone avec son mari, au petit matin, elle s’inquiète des réactions des camarades du FLNKS. Dix ans, ça va leur paraître une éternité. Jean-Marie Tjibaou lui explique que sans médecins, sans ingénieurs, sans professeurs, les Kanak ne sont pas prêts pour l’indépendance. Il faut préparer l’avenir, lui dit-t-il.

« Il aurait fallu se démultiplier pour expliquer les accords de Matignon », estime Marie-Claude Tjibaou, mais son mari n’aura pas eu le temps. Le 4 mai 1989, à Ouvéa, lors de la cérémonie de levée des corps des indépendantistes tués un an auparavant, Jean-Marie Tjibaou et son compagnon de route Yeiwéné Yeiwéné sont assassinés par Djubelly Wéa.

Marie-Claude Tjibaou se souvient des pleurs qu’elle a entendu à Tiendanite le jour du crime. Elle se rappelle du coup de fil lui annonçant les meurtres. Elle repense à ses enfants à qui elle a demandé d’éteindre la télévision pour leur dire la terrible nouvelle et choisir une tenue pour leur papa décédé. La famille souffre en silence d’une douleur intime qui frappe toute la France des années 80.

La vie de Marie-Claude Tjibaou et de ses enfants est marquée à jamais par toute cette série de deuils. "Mon fils aîné voulait qu’on prenne l’avion et qu’on parte rejoindre papa", se souvient-elle dans #MaParole. Emmanuel Kasarhérou, le directeur du musée du quai Branly a qualifié de "11 septembre de la Calédonie", l’assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné.

Malgré tout, la veuve de Jean-Marie Tjibaou garde espoir. Elle fait partie des fondateurs de l’ADCK, l’agence du développement pour la culture kanak. Elle œuvre pour la construction du Centre Tjibaou à Nouméa et plaide pour le projet de Renzo Piano auprès de François Mitterrand. Le centre Tjibaou, une réussite architecturale, est inauguré en 1998 en présence de Lionel Jospin alors Premier ministre. Conseillère municipale de Hienghène, puis membre du Conseil économique et social à Paris, Marie-Claude Tjibaou continue à sa manière l’œuvre de son mari. Elle participe à la création d’une association en 1992 contre les violences sexuelles. Elle part en mission en Palestine et au Burundi. Elle sympathise avec Stéphane Hessel, ancien ambassadeur et auteur d’un essai remarqué intitulé Indignez-vous ! en 2010.

En 2004, elle participe à la cérémonie de réconciliation entre les familles Wéa et Tjibaou après des démarches entreprises dès 1999. La genèse et le déroulement de cette cérémonie de pardon a été racontée de manière très émouvante dans un documentaire signé Wallès Kotra et Gilles Dagneau intitulé Tjibaou, le pardon.

A 74 ans, Marie-Claude Tjibaou reste à l’écoute du monde qui l’entoure. Elle approuve et soutient l’œuvre de ses enfants qui font connaître l’histoire de ceux de Tiendanite sur le site. "Cette tribu s’est toujours rebellée contre la colonisation" note Marie-Claude Tjibaou dans #MaParole. "Déjà en 1917, ils se sont révoltés et se sont fait massacrer", l’histoire se répète à Waan Yaat en 1984 et à Ouvéa en 1989 avec la mort du leader du FLNKS. Pour sa veuve, il est important "que les choses soient dites une bonne fois pour toute parce qu’on doit écrire notre histoire". Malgré tous ces morts, cette vie ponctuée de drames, Marie-Claude Tjibaou, croit en l’action et la parole donnée. Elle n’aime guère les discours creux et œuvre pour sa patrie, la Nouvelle-Calédonie.

♦♦ Marie-Claude Tjibaou en 5 dates ♦♦♦

►10 janvier 1949

Naissance à Ponérihouen

►1969

Médaille d’or de lancer de poids à Port Moresby aux jeux du Pacifique sud

►8 juin 1973

Mariage avec Jean-Marie Tjibaou

►4 mai 1989

Meutre de Yeiwéné Yeiwéné et de Jean-Marie Tjibaou

►4 mai 1998

Inauguration du Centre Tjibaou à Nouméa