Walles Kotra : "L’Outre-mer n’existe pas. En Nouvelle-Calédonie, c’est un concept un peu mystérieux" #MaParole

Walles Kotra, invité de #MaParole
Il a occupé des postes de direction pendant une trentaine d’années à RFO et au pôle Outre-mer de France Télévisions. Journaliste, auteur de documentaires et de livres d’entretiens, Walles Kotra vient de prendre sa retraite. Rencontre avec un grand connaisseur du monde kanak et des Outre-mer dans #MaParole.

Tiga, une petite île de sept kilomètres de long peuplée de 150 habitants, située à 30 km de Maré en Nouvelle-Calédonie. C’est dans ce décor paradisiaque qu’a grandi Walles Kotra jusqu’à l’âge de 7 ans. C’est aussi là que le présentateur kanak pense prendre sa retraite. Mais va-t-il vraiment faire le choix d’une retraite paisible ?   

#1 Tiga

"J’ai eu la chance de grandir dans l’entourage de la Chefferie de Luecila avec le vieux Williama Haudra, de partager l’intimité du vieux Jemes à Dozip et bien évidemment le vieux Luïe Kuriane à Tiga", écrit Walles Kotra dans la préface de son entretien avec le grand chef Nidoïsh Naisseline (éditions Au Vent des îles). Le monde des chefs, la coutume, le sentier coutumier, la parole, Walles Kotra a baigné dans cet univers-là durant son enfance. Un monde à part, riche, unique. Walles Kotra parlait deux langues kanak, le drehu (la langue de Lifou) et le nengone (la langue de Maré). Il allait à l’école publique, apprenait le français et les maths et il aimait ça.

À l’âge de 7ans, Walles Kotra a dû quitter son île pour aller poursuivre l’école en cours moyen à Nouméa. À l’époque, il fallait partir en bateau. Pas d’avion. "Les mamans allumaient des feux sur la plage. Quand le bateau s’éloignait, l’île disparaissait, mais on voyait encore les fumées" se souvient-il. À Nouméa, sa mère lui avait préparé le terrain. Elle travaillait comme femme de ménage ou cantinière et avait loué un petit studio pour l’accueillir, lui et d’autres enfants de Maré. Il y avait aussi le pensionnat.

 Nouméa, j’ai découvert que j’étais Calédonien", raconte Walles Kotra qui n’avait alors aucune idée des autres communautés composant la Nouvelle-Calédonie. Malgré tout, il se souvient qu’en tant que kanak, il se sentait "marginal", "on rasait les murs" à cette époque-là. Grâce au mouvement des foulards rouges inspiré de mai 68 puis au festival Melanesia 2000 organisé en 1975 par Jean-Marie Tjibaou, la culture kanak a commencé à être reconnue, explique le journaliste dans #MaParole. À l’internat, Walles Kotra s’est adapté. Il a été jusqu’au baccalauréat au lycée Lapérouse de Nouméa. Cette année-là, seulement huit kanak de son âge avaient obtenu le Bac. Walles Kotra avait fondé une association des lycéens kanak et Jean-Marie Colombani, futur patron du Monde, alors journaliste à FR3 Nouméa, était venu faire un reportage sur eux. Walles Kotra s’est alors dit qu’il se verrait bien faire le même métier.  

#2 Journaliste

Walles Kotra avait un oncle avocat qui le poussait à faire du droit. Après le Bac, il a donc décidé de partir à Bordeaux pour y passer un DEUG de droit, dans l’unique but d’entrer à l’école de journalisme de Lille. Une fois à Lille, Walles Kotra s’est senti comme un poisson dans l’eau. Il se formait au métier dont il rêvait. "Le journalisme n’est pas une technique, dit-il, c’est une manière de comprendre les choses et de mettre les gens en relation".

Par chance, l’école était dirigée par Hervé Bourges qui a fait une très belle carrière dans l’audiovisuel public français au point de diriger France Télévisions. Walles Kotra a noué des relations d’amitié avec son directeur. Il devait d’ailleurs commencer sa carrière en Afrique où Hervé Bourges lui avait conseillé de partir pour participer à la création d’une chaîne de télévision. Mais de retour en Nouvelle-Calédonie, Walles Kotra a reçu un télégramme du PDG de FR3 lui proposant de travailler à FR3 Outre-mer.

Le jeune journaliste a accepté et a commencé sa carrière en Guyane. "Mon premier reportage, c’était le portrait d’un chauffeur de taxi marseillais à Cayenne", se souvient-il. "Et c’était très intéressant", ajoute-t-il. Par la suite, en Guadeloupe en 1981, le jeune journaliste a été émerveillé de voir des journaux télévisés en créole. Jusqu’à l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, il était interdit de parler créole à la télévision. "C’était une sorte de libération. On ne peut pas mesurer ce qu’a changé la pratique du créole sur une chaine publique. On sortait enfin de la télé préfecture où l’on interrogeait le préfet qui ne connaissait pas du tout le pays", dit-il dans #MaParole.

De retour en Nouvelle-Calédonie, Walles Kotra a commencé sa carrière de journaliste dans un contexte particulièrement violent. Le pays était au bord de la guerre civile. En septembre 1981, Pierre Declerq secrétaire général de l’Union calédonienne avait été assassiné. Ce meurtre avait déclenché la période dite des évènements. En 1984, le FLNKS a été créé. Le 5 décembre 1984, dix militants indépendantistes de la tribu de Tiendanite parmi lesquels deux frères du leader kanak Jean-Marie Tjibaou étaient tués par balle. Et en avril 1988, en pleine campagne présidentielle, des gendarmes étaient pris en otage par des indépendantistes à la grotte d’Ouvéa. L’assaut a été donné le 5 mai 1988. 19 indépendantistes ont été tués ainsi que deux militaires. Quatre gendarmes avaient été précédemment tués lors de l’attaque de la gendarmerie.

"C’était très difficile car vous êtes observateur et vous êtes dedans. La plupart des morts que vous annonciez, dans le journal, vous les connaissiez", se rappelle Walles Kotra dans #MaParole pour qui "à Ouvéa, le rôle de l’Etat a été scandaleux". Grâce aux accords de Matignon, la Nouvelle-Calédonie a renoué avec la paix. Il y a eu la fameuse poignée de main entre Jacques Lafleur, leader du RPCR et Jean-Marie Tjibaou, indépendantiste kanak. Mais sur place, "les accords de Matignon étaient inaudibles" se souvient Walles Kotra. "On les a accompagnés dans une campagne d’explication" raconte-t-il. C’est ainsi que dans son émission Explications, Walles Kotra a donné la parole en 1988 tour à tour à Jacques Lafleur et à Jean-Marie Tjibaou.

#Paris-Papeete-Nouméa

Le 4 mai 1989, Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné ont été assassinés par Djubelli Wea, un autre indépendantiste. Il y avait "un sentiment d’effondrement" se souvient Walles Kotra. Le journaliste est parti pour Paris en 1989. Cela tombait bien. Le contexte était très dur. Et puis à titre personnel, on avait détecté chez son fils ainé une surdité. Il était nécessaire de partir. À Paris, le journaliste a appris à découvrir une ville qu’il a toujours aimée. Il a aussi commencé aussi à se rendre dans les Outre-mer. "L’Outre-mer n’existe pas et j’ai finalement passé ma vie à travailler pour l’Outre-mer. C'est un paradoxe", s’amuse-t-il à dire tout en précisant qu'il fallait "l'aborder pays par pays".

En 1989, Walles Kotra est devenu chef du service politique puis directeur de l’information de RFO. Le début d’une carrière ascendante. A Paris, le journaliste kanak a découvert les arcanes du pouvoir. Puis il est reparti au pays, auréolé de son expérience, pour prendre la tête de la station régionale. La période était apaisée. Un peu nomade, Walles Kotra est revenu à Paris en 1998. C’est à cette époque qu’il a de plus en plus côtoyé le philosophe et écrivain Edouard Glissant dont le concept de créolisation a fait des émules, surtout à gauche. Le philosophe avait été très touché par Tjibaou, le pardon, documentaire écrit par Walles Kotra. Ce film racontait la génèse et le déroulement de la cérémonie de pardon qui a mis fin au deuil des familles Tjibaou et Wea. Dans ce documentaire, on voit les deux épouses, Marie-Claude Tjibaou et Manuky Wea, s’enlacer. Une image très forte. Walles Kotra et Edouard Glissant sont allés ensemble dans de nombreux collèges et lycées de région parisienne pour présenter ce film.

En 2002, le journaliste a pris la tête de RFO en Polynésie et il a créé le FIFO (festival international du film océanien). Un acte militant. "Il était absolument nécessaire de créer, de raconter des histoires qui parlent de nous, les Océaniens". "On a l’impression que la France se ferme de plus en plus sur l’Hexagone" ajoute-t-il. Et pour premier parrain du FIFO en 2004, le nom d’Hervé Bourges s’est imposé. De retour à Paris, Walles Kotra a assisté à la naissance de la chaîne France Ô. Quelques années plus tard, il a aussi été chargé de donner le coup de grâce à la chaîne des Outre-mer. Une mission délicate et contestée qu’il a endossée jusqu’au bout en misant sur la visibilité des Outre-mer sur les chaînes nationales.

Pendant toutes ces années de direction, Walles Kotra n’a jamais abandonné son métier de journaliste. Il a été l’auteur de documentaires (Tjibaou, la parole assassinée ? , Tjibaou le pardon) et de trois livres d’entretiens avec des personnalités calédoniennes marquantes. En 2019, Walles Kotra est revenu en Nouvelle-Calédonie diriger NC la 1ère dans un contexte politique chargé : l’organisation des deux derniers référendums sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. Le dernier qui s’est tenu en décembre 2021 a vu le Non l’emporter avec 96,49%, mais les indépendantistes ont boycotté le suffrage.

Ce 31 mars 2022, Walles Kotra est parti à la retraite. Il va enfin revenir à Tiga son île, pour s’occuper de ses orangers et ses mandariniers. Il va aussi poursuivre la rédaction d’un livre d’entretiens qu’il a imaginé avec l’historien caldoche Louis-José Barbançon. "J’aime bien la conversation, dit-il. Avec Antoine Kombouaré, ça a duré trois ans. J’aime bien, que dans ce monde rapide de réseaux sociaux, on prenne le temps de se parler", conclut-il.

Walles Kotra, directeur exécutif chargé de l'Outre-mer à France Télévisions

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♦♦ Walles Kotra en 5 dates ♦♦♦

 

1981

Journaliste à RFO Nouvelle-Calédonie

►1989

Rédacteur en chef du service politique à RFO Paris

►1994

Directeur régional en Nouvelle-Calédonie

2004

Création du FIFO (festival international du film documentaire océanien)

►2006

 Auteur du documentaire Tjibaou, le pardon avec Gilles Dagneau