Imaginez vous réveiller les pieds dans l'eau. Cela pourrait devenir la réalité des Miquelonnais. Avec la montée des eaux, liée au réchauffement climatique, le village de Miquelon pourrait être complètement submergé par l'océan en 2100. D'ici là, les inondations impromptues devraient devenir plus fréquentes. Et la vie plus compliquée. Parce qu'il n'y a pas de fatalisme, deux étudiants en architecture ont voulu porter ce problème à bout de bras et ont imaginé le déplacement du village pour le sauver de la catastrophe.
Quentin Lucas et Marianne Baroin sont en deuxième année de master à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val de Seine. Lui a grandi à Miquelon. Elle est Parisienne. Dans le cadre de leur projet de fin d'études, Quentin et Marianne ont décidé de se frotter à un problème qui devra, tôt ou tard, être réglé : préparer Miquelon à sa disparition.
Un déplacement au "sud du pont"
"Certes, il y a eu des règlementations. Des contraintes ont été mises en place depuis de nombreuses années [un Plan de prévention des risques littoraux (PPRL) a été approuvé en septembre 2018 à Saint-Pierre et Miquelon], souligne Marianne. Mais sur le schéma d'aménagement territorial, il y a encore une petite zone où il est marqué "en attente de projet". Ça fait des années qu'il n'y a pas de perspectives à Miquelon." Les deux jeunes ont donc sauté sur l'occasion.
Ils sont partis du scénario le plus pessimiste présenté par le GIEC (le Groupe d'experts intergouvernemental de l'ONU sur l'évolution du climat) dans un rapport publié en 2021. Selon les experts, le niveau moyen des océans pourrait augmenter de 0,63 à 1,01 mètre d'ici 2100 (avec une hausse de 4 °C de la température moyenne sur Terre). Conséquence : tout le village de Miquelon se retrouverait sous l'eau.
Première étape du projet : identifier un espace où relocaliser les habitants (sans que la montée des eaux ne redevienne un problème sur le long-terme). C'est dans un espace naturel situé à deux kilomètres du village actuel que les deux étudiants ont jeté leur dévolu. Au "sud du pont", comme disent les habitants, près de l'étang des Joncs. Proximité avec l'actuel village, insubmersibilité, remodelage possible de l'espace naturel : le nouvel emplacement permettra de mettre les habitants en sécurité tout en évitant un déracinement trop brutal.
Ensuite, il a fallu convaincre les principaux concernés. "Il n'y a pas qu'une seule réponse à la problématique, il y en a plusieurs. Et cette problématique-là, elle doit passer par une méthodologie qui implique une concertation des habitants et une coproduction avec eux", explique Quentin Lucas, arrivé dans l'Hexagone il y a six ans, mais qui a grandi dans le village qu'il voudrait aujourd'hui contribuer à sauver.
Dans un territoire comme Miquelon, où l'autoconstruction est la principale manière de construire, on ne conçoit pas le territoire de la même manière. Et pour ça, on pense que la participation habitante est primordiale.
Quentin Lucas, étudiant en dernière année d'architecture
Des ateliers participatifs
Un premier déplacement sur le terrain est donc organisé en novembre 2021. "On est rentré dans chaque maison. On a parlé pendant une heure, une heure et demie avec chaque personne." Objectif : comprendre la vie des Miquelonnais, leur degré d'attachement à leur village et leur propension à déménager. "Les habitants sont très conscients de leur nature, de leur ville, de la protection nécessaire de l'île. Et en même temps, ils ont acquis un confort qu'ils ne veulent pas perdre", explique Marianne, qui a découvert l'archipel pour la première fois.
Au départ, les deux architectes se frottent à l'hostilité des habitants. Difficile, en effet, de déraciner des personnes qui, souvent, ont construit elles-mêmes les maisons dans lesquelles elles vivent. Puis "on a argumenté sur le fait que [déplacer Miquelon], c'était une façon de préserver un patrimoine, préserver un capital, plutôt que de déranger les gens dans leurs habitudes", raconte Quentin.
Lors de leur deuxième voyage au mois de mars, les deux jeunes ont débarqué sur l'archipel avec "plein de questions, des hypothèses, qui orientaient la manière de dessiner le territoire". Les Miquelonnais et Miquelonnaises ont alors été conviés à des ateliers, afin de coconstruire leur (potentiel) futur village. Un moyen, pour les deux jeunes, de rallier les habitants à leur cause.
Miser sur l'adaptabilité des habitats
Loin de n'être qu'un simple exercice architectural, le projet "Miquelon - Le départ" prend également en compte les enjeux démographiques, socio-économiques, environnementaux et culturels propres à l'archipel. Une des préoccupations de la population : la perte de souffle du territoire. Les Miquelonnais fuient leur village. La population décline petit à petit.
Si on investit de l'argent pour relocaliser le village et que finalement la démographie meure au bout de 50 ans, tout le projet ne devient plus viable. Pour qu'un projet soit durable, tout doit suivre.
Marianne Baroin, étudiante en dernière année d'architecture
Ainsi, le projet vise à rendre le nouveau Miquelon dynamique et respectueux de l'environnement, tout en préservant l'identité culturelle miquelonnaise. "Dans le nouveau village, on va retrouver cette idée de petites maisons en bois colorées" chère à l'archipel, s'amuse Quentin. Et d'ajouter : "Mais il y aura aussi cette idée de réemployer les maisons de manière un peu plus démontées. Pourquoi pas les scinder, les faire évoluer. Pour finalement leur donner une nouvelle vie. C'est ce qui est pratique avec le bois. Si on sait déconstruire une architecture de manière propre, derrière, on va gagner en terme d'énergie grise de construction."
L'idée serait donc d'imaginer des maisons plus modulables, même si elles resteront les maisons dans lesquelles les Miquelonnais vivent actuellement. "Le problème, c'est qu'au bout d'un moment, les enfants partent en études dans l'Hexagone, et on se retrouve avec une maison à quatre ou cinq chambres, mais avec seulement deux personnes qui vivent dedans. Nous, on veut ré-optimiser les espaces. On va prendre trois maisons qu'on va essayer de moduler ensemble. Faire quelque chose de plus partagé", argumente Marianne.
Le futur Miquelon pourrait ressembler à une sorte de village Lego. Les habitations pourraient se monter et se démonter à souhait. Lorsqu'un enfant quittera la maison familiale, par exemple, sa chambre - un module - pourra être déplacée vers une autre maison, qui en a besoin. De manière similaire, les architectes imaginent des buanderies partagées, plus économiques et écologiques, au lieu d'avoir une machine à laver par foyer.
Retour en juillet
"La population est prête" à partir, assure Quentin. À Paris, les deux jeunes étudiants finalisent en ce moment leur projet, qu'ils comptent aller présenter aux Miquelonnais au mois de juillet. En espérant que la population le valide.
Au-delà du simple cas de Miquelon, leurs études serviront à anticiper la protection d'autres villages, eux-mêmes menacés par la montée des eaux. En Outre-mer, des projets de déplacement partiel de la population ont d'ailleurs déjà vu le jour, comme au Prêcheur en Martinique et à Capesterre en Guadeloupe.
On se dit que ce n'est pas le dernier village qui va se retrouver dans cette situation. Donc c'est une belle opportunité pour expérimenter à une échelle raisonnable, maitrisable. Ça créerait un modèle pour les autres communes forcées de se déplacer.
Marianne Baroin
Même si ce n'est, pour l'instant, qu'un travail de fin d'études - dont le but premier est de leur faire obtenir leur diplôme -, les futurs architectes comptent bien continuer à étudier le sujet du déplacement de Miquelon. Et pourquoi pas le mener à son terme, sauvant les habitants de la montée des eaux. S'il se concrétise, le chantier devrait s'étaler jusqu'en 2095.