Virginie Duvat, professeure de géographie à l'université de la Rochelle, auteure principale du chapitre consacré aux impacts du réchauffement climatique dans les petites îles du deuxième volet du sixième rapport du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat. Virginie Duvat est avec son équipe en mission aux Antilles dans le cadre du projet Adaptom. Pendant trois ans, elle va évaluer le potentiel des solutions fondées sur la nature pour réduire les risques côtiers et favoriser l’adaptation au changement climatique dans les territoires d’Outre-mer insulaires français. La première année de ce programme est consacrée aux Antilles.
Planète Outre-mer : Qu’est-ce qui explique selon vous les inondations du 30 avril 2022 en Guadeloupe ?
Viriginie Duvat : Ces phénomènes d’inondations brutales s’expliquent par des pluies qui sont extrêmement intenses dans des zones basses aménagées et dans lesquelles les eaux s’accumulent d’autant plus facilement qu’elles ont été imperméabilisées.
Ces phénomènes témoignent des erreurs d’aménagements qui ont été commises dans le passé. Il aurait fallu prévoir des systèmes de drainages à la hauteur des quantités d’eaux qui peuvent s’accumuler dans ces secteurs-là.
Virginie Duvat, professeure de géographie
Est-ce que ces pluies intenses font parties des phénomènes qui pourraient s’intensifier avec le changement climatique ?
Virginie Duvat : Oui, on s’attend à une augmentation d’épisodes pluvieux intenses, beaucoup plus intenses.
Quels sont les autres impacts du changement climatique aux Antilles ?
Virginie Duvat : En plus d’épisodes pluvieux intenses, on peut s’attendre à une élévation du niveau de la mer. En Guadeloupe comme en Martinique, le niveau de la mer va s’élever de 82 cm d’ici 2100 si on se base sur le scénario pessimiste du GIEC (RCP8.5). À cela vont s’ajouter une intensification des cyclones. Ces trois facteurs ensemble vont renforcer le risque de submersion-inondation. Dans des secteurs comme Jarry et certains quartiers de Pointe à Pitre qui sont construits sur des terres très basses, il y aura des submersions chroniques. D’ici 2060, ces secteurs seront soumis à des inondations la moitié de l’année. Et les côtes exposées seront soumises à des phénomènes de submersion de tempêtes.
Est-ce que le changement climatique va modifier notre usage des littoraux ?
Virginie Duvat : Oui, du fait d’une érosion côtière toujours plus rapide, le changement climatique va modifier notre usage des littoraux. Les impacts sur les sociétés humaines seront d’autant plus importants que les côtes de Guadeloupe comme de la Martinique concentrent une grande partie des populations, habitants et touristes, des activités et des infrastructures tels que port et aéroport.
Comment est-ce qu’on peut s’adapter aujourd’hui ?
Virginie Duvat : Pour éviter les inondations, il faut réviser les systèmes de drainage afin d’améliorer l’évacuation de ces eaux partout où il y a des risques de débordement. Et bien sûr, au-delà de ces solutions techniques, partout où l’on sera concerné par des phénomènes à la fois d’inondation et de submersions marines, il faudra réfléchir à la relocalisation des constructions humaines vers l’intérieur des terres, car certaines zones basses ne seront plus habitables si on évolue sur un scénario climatique de réchauffement relativement rapide.
Partout Outre-mer et particulièrement aux Antilles, il y a de nombreux projets de restauration de mangroves, de coraux, pour limiter l’érosion des territoires. Jusqu’à présent, on voyait surtout des ouvrages d’ingénierie. Est-ce que ces solutions fondées sur la nature peuvent fonctionner ?
Virginie Duvat : Les côtes de la Martinique et de la Guadeloupe sont bordées dans les zones urbaines de cordons d’enrochement qui ont été mis pour fixer le trait de côte et protéger les zones aménagées. Ces protections lourdes ne suffisent pas pour stopper l'érosion, parfois même elles aggravent le phénomène. Depuis une dizaine d’années, on voit apparaître un usage croissant des solutions fondées sur la nature. Elles consistent à mieux protéger, restaurer, voire à recréer des écosystèmes côtiers et marins au regard du service de protection qu’ils rendent aux populations locales. Ce sont nos meilleures brises lames face aux vagues de tempêtes et nos meilleures protections face au phénomène d’érosion.
Vous avez pu voir certains de ces projets de solutions fondées sur la nature, qu'en avez-vous pensé ?
Virginie Duvat : Ici, en Guadeloupe, il y a de nombreux projets expérimentaux de solutions fondées sur la nature. On peut citer le projet de maintien des sargasses sur la plage de la Saline au Gosier pour limiter son recul porté par le Conservatoire du Littoral et la mairie. À Jarry, le Conservatoire du littoral renature des zones de la forêt marécageuse occupées illégalement par des entreprises qui se trouvent ainsi mieux préservées des inondations. Le projet Carib Coast consiste entre autre à revégétaliser les hauts de plages. L’ONF a posé des enclos de revégétalisation à la Pointe des Châteaux et sur d’autres plages de l’île pour limiter le piétinement afin que la végétation se redéveloppe et puisse fixer le sable. Il y a également des projets de restauration d’écosystèmes marins comme celui porté par le Grand Port maritime qui installe des éco-mouillages pour éviter aux bateaux d’arracher avec leurs ancres les herbiers marins. Aujourd’hui, on ne sait pas évaluer l’efficacité de ces solutions fondées sur la nature face au changement climatique.
La vitesse du réchauffement va en grande partie déterminer les chances de succès de ces solutions fondées sur la nature et la date jusqu’à laquelle elles pourront potentiellement être utilisées là où elles fonctionneront.
Virginie Duvat, professeure de géographie
Est-ce que les pouvoirs publics et l’État ont pris la mesure des enjeux ?
Virginie Duvat : Les pouvoirs publics ont pour parti pris la mesure des enjeux sur ces territoires. Pour preuve, les différents projets de relocalisation qui sont mis en œuvre. En Martinique, la commune du Prêcheur, en Guadeloupe, la commune de Capesterre et Petit Bourg où des projets de relocalisation de familles qui occupent des logements qui partent à la mer. Dans ces situations critiques, les pouvoir publics sont conscients, mais de manière générale, les efforts d’adaptation qui sont déployés sont extrêmement insuffisants et ne sont pas à la hauteur des défis climatiques, donc il y a un impératif de passer à la vitesse supérieure et de mettre en place des politiques beaucoup plus ambitieuses, proactives et transversales à des échelles spatiales plus vastes. Il faut injecter des investissements importants dans cette recomposition et cette révolution territoriale. Les territoires d’Outre-mer sont en première ligne des impacts.
Comment accélérer le processus ?
Virginie Duvat : Aujourd’hui, les financements pour l’adaptation des territoires aux impacts du changement climatique viennent essentiellement des fonds publics. Ils sont insuffisants. Il faut donc désormais faire entrer sur scène les acteurs privés qui doivent se saisir de ces enjeux. C’est d’autant plus important que ce n’est pas qu’un impératif financier. Le travail mené par le Conservatoire du littoral à Jarry avec des entreprises montrent bien comment un établissement public doit collaborer avec des acteurs privés pour pouvoir réussir à mettre en œuvre ses actions d’adaptation.
Il y a déjà de nombreux projets de déplacements des populations Outre-mer. Au Prêcheur en Martinique, en Guadeloupe, à Capesterre et Petit Bourg mais aussi en Guyane où un quartier d’Awala Yalimapo doit être relocalisé et enfin le village de Miquelon à Saint-Pierre et Miquelon. Est-ce que vous pensez que les déplacements de populations vont se multiplier Outre-mer ?
Virginie Duvat : "La relocalisation va se développer Outre-mer, ça, c'est sûr. Je vois vraiment les projets actuels comme de petits projets pilotes qui permettent d’apprendre en faisant, mais il va falloir relocaliser à une échelle beaucoup plus importante que ce que l’on fait aujourd’hui car cela sera par exemple des quartiers entiers de Pointe à Pitre qui vont se retrouver menacer. On estime que 6 % du littoral guadeloupéen occupé aujourd’hui par l’homme pourrait devenir inhabitable. Il va donc falloir se préparer à abandonner des zones dans lesquelles les populations ne pourront pas se maintenir. Tout ceci suppose un plan global de relocalisation. Il faut vraiment une réflexion globale à l’échelle du territoire pour trouver les possibilités et comment articuler les impératifs de relocalisation des différentes communes qui vont être concernées. C’est aujourd’hui et maintenant qu’il faut se préparer.