Nickel en Nouvelle-Calédonie : derrière la fermeture de l'usine du Nord, "un rêve qui se brise" et "un choc politique et social terrible"

Vue aérienne de l'usine métallurgique Koniambo nickel SAS.
L'usine du Nord fermera ses portes le 31 août. C'est un nouveau coup dur pour l'économie calédonienne, déjà exsangue, et la fin d'un rêve pour certains indépendantistes, qui voyaient dans le nickel la clef de l'émancipation. Décryptage avec l'économiste Olivier Sudrie.

L’usine du Nord de Koniambo Nickel (KNS), qui exploite le nickel calédonien depuis 2013, fermera ses portes le 31 août, après que le principal actionnaire, le géant anglo-suisse Glencore, a annoncé sa volonté de céder ses parts. 

Outre les milliers d'emplois en jeu, derrière la question économique se cache un enjeu politique. Alors que le nickel calédonien est exploité au sud du territoire depuis le début du XXe siècle, après la quasi-guerre civile des années 1980, les indépendantistes font d'un accès à la ressource pour les Kanak une priorité et un préalable aux négociations de l'accord de Nouméa. La création de l'usine du Nord était l'une des pierres angulaires du rééquilibrage économique esquissé par l'accord entre la province Nord, à majorité kanak, et la province Sud.

Olivier Sudrie, économiste spécialiste des Outre-mer et notamment de la Nouvelle-Calédonie, décrypte les conséquences de ce séisme économique et social.

  • En Nouvelle-Calédonie, toute la filière nickel est en difficulté. La fermeture de l'usine du Nord était-elle inévitable ? 

Le problème du nickel calédonien, c’est qu’il coûte trop cher. Le coût de l’énergie, le coût de la main d’œuvre est élevé. On a souvent vanté la qualité du nickel calédonien : c’est un fait incontestable, mais cette qualité est presque "trop" bonne pour des usages courants. Pour faire de l’acier inoxydable, pour faire des robinetteries, on n’a pas besoin d’une teneur aussi élevée que celle du nickel calédonien.

On s’est peut-être trompés pendant de nombreuses années en partant de l’hypothèse que le nickel calédonien arriverait toujours à se vendre. Les scénarios ont été trop optimistes : le marché du nickel s’est élargi à d’autres pays, les usages du nickel ont changé. C’est toujours difficile d’apprécier les grandes mutations industrielles à très long terme, et les premières bases de l’usine du Nord ont été jetées politiquement par le général De Gaulle dès 1966. 

Concernant l'usine du Nord, les problèmes techniques et industriels se sont accumulés. L’usine, qui était conçue pour produire 60 000 tonnes de nickel par an, n’en a jamais produit que la moitié. Elle a accumulé les pertes et aujourd'hui l'endettement est vertigineux. Il est de l’ordre de 13,5 milliards d’euros.

  • Quel impact aura la fermeture de l’usine sur l’économie de la province Nord et, plus largement, sur celle de la Nouvelle-Calédonie ?

1 200 emplois directs sont supprimés à la fin août. On peut arrondir à 2 000 avec les sous-traitants. Le chômage va entraîner des départs soit vers la province Sud, soit, pour les expatriés, vers leur patrie d’origine. C’est un choc pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie : c’est par exemple une très mauvaise nouvelle pour la caisse de sécurité sociale locale, puisque l’usine du Nord figurait parmi ses plus gros contributeurs.

Au-delà de l’économie, c’est un choc politique et social terrible. Le président de la province Nord n’a jamais caché que le nickel devait financer l’indépendance. C’est la thèse qui revenait régulièrement : "Nous sommes riches de notre nickel et ce nickel va se substituer aux transferts publics métropolitains". C’est très mobilisateur. Le fait que l’usine du Nord, sur laquelle les indépendantistes plaçaient beaucoup d’espoir, ferme, c’est un rêve qui se brise.

Au coeur de l'usine de nickel du Nord, le 26 novembre 2023.

 

  • Quels scénarios peut-on imaginer quant à l'avenir de l'usine ? Des repreneurs peuvent se manifester malgré le contexte politique très incertain ? 

L’environnement politique ne joue pas en faveur de Glencore, qui cherche un repreneur. La visibilité, tant au niveau de la Calédonie qu’au niveau national, est très faible. Quand on met une usine pyrométallurgique en stand by, il faut la conserver chaude. Les fours sont remplis de briques soudées les unes aux autres grâce à la chaleur : si le four se refroidit, les briques se rétractent et tombent. Glencore a décidé de maintenir la température minimale pour que les briques ne tombent pas, mais aujourd’hui, la trésorerie nécessaire ne serait-ce que pour chauffer les fours n’est plus au rendez-vous.

Est-ce que les repreneurs, s’ils reprennent, n’auront pas une autre idée en tête ? Reprendre l’usine sans la faire fonctionner ? Reprendre les droits d’exploitation du massif de Koniambo et exporter non pas du nickel, mais du minerai ? Il y a un avantage : l’usine bénéficie d’un port en eau profonde, on peut sortir le minerai vers la Chine ou le reste du monde sans passer par Nouméa. Cela reste un scénario très sombre : on sait que la valeur ajouté est créée par la métallurgie, et non pas par les mines. Si on a uniquement des exportations de minerai, la province Nord créera moins de valeur ajoutée.

  • L'économie calédonienne est très fragilisée par la crise qui secoue le territoire depuis mai dernier. La fermeture arrive-t-elle au pire moment possible ?

La fermeture de l’usine participe au tsunami généralisé. Concernant les émeutes, j’estime que le recul de la richesse calédonienne sera cette année de l’ordre de 20%. Ce chiffre est absolument astronomique : en comparaison, les dommages de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale en France ont été de 25% du PIB. C’est un recul qui nous ramène 15 ou 20 ans en arrière en termes de PIB par habitant. Il faudra de très nombreuses années pour remonter la pente, si on y arrive. 

Les émeutes ont conduit à une destruction de l’appareil de production. Les entreprises ont dû mettre au chômage, partiel puis total, un certain nombre d’employés, or la caisse de sécurité sociale n’est plus en capacité de financer le chômage partiel. On risque une perte colossale de revenus pour les habitants. Il y a urgence. L’État doit injecter massivement des fonds pour éviter l’effondrement de l’économie.