Si l’histoire de la canne est relativement bien connue pour La Réunion, qui continue sa production et ses exportations, il n’en est pas de même pour Mayotte, où les colons s’essayèrent à sa culture avec des succès mitigés, jusqu’à son arrêt définitif.
Les exportations de sucre, et de rhum dans une moindre mesure, représentent des revenus non négligeables pour La Réunion (75 millions d’euros au total en 2019), en dépit de crises socio-économiques à répétitions dans le secteur. Sur le plan patrimonial, ce dernier constitue également un fort héritage historique pour l’ancienne île Bourbon. Pas très loin à Mayotte, les prémices d’une industrie sucrière ont aussi existé, avant son effondrement au bout de quelques temps.
L’industrie sucrière à La Réunion
La culture de la canne, une variété provenant des îles du Pacifique, commence à l’orée du XIXe siècle, alors que celle du café, à l’origine de l’essor agricole de La Réunion, est en voie de disparition. À l’époque, la demande est très forte, surtout en France qui perd Saint-Domingue (l’île des Caraïbes ayant arraché son indépendance en battant les troupes de Napoléon). Des dizaines de milliers d’esclaves originaires de la côte orientale d’Afrique et de Madagascar font tourner l’économie sucrière. Mais le 20 décembre 1848, l’abolition de l’esclavage est officiellement proclamée sur le territoire. La majorité de la main d’œuvre soumise au travail servile déserte alors les plantations. Pour y remédier, la colonie a recours au système de l’ « engagisme », le recrutement d’ouvriers sous contrat. Ces derniers, au nombre de 100.000 environ, sont principalement embauchés en Inde, en Chine, à Madagascar et en Afrique.
L’industrie sucrière sera la colonne vertébrale de l’économie réunionnaise jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle façonnera son environnement et fera la fortune de grandes familles, avant de se diversifier. Dans ce cadre, l’esclavage et l’engagisme ont structuré la sociologie du territoire, et contribué à la formation d’une dynamique culturelle extrêmement diversifiée. Le métissage progressif de populations venues de tous les horizons, en dépit de circonstances parfois inhumaines, ont donné à La Réunion une singularité et un charme particulier, que l’on retrouve dans tous les aspects de la vie quotidienne, sur les plans architectural, musical, culinaire, religieux etc., très appréciés des visiteurs.
L’industrie du sucre demeure aujourd’hui importante pour le secteur de l’agriculture. En 2018, selon l’Institut d’émission des départements d’Outre-mer (Iedom), la surface dédiée à la canne s’élevait à 22.855 ha, soit 54% de la surface agricole utilisée par les exploitations. Les exportations de biens, qui ont atteint 350,7 millions d’euros en 2019, sont constituées de biens de consommation non durables, parmi lesquels plus d’un tiers provient de l’industrie sucrière (sucre et rhum). En 2019, les exportations de sucre ont généré 53 millions d’euros (en repli toutefois de 2,5% par rapport à l’année 2018, qui accusait déjà une baisse de 32,8%). La moitié des exportations concerne des sucres destinés à être raffinés et l’autre moitié des sucres spéciaux. Parallèlement, le rhum a affiché un revenu à l’export en hausse en 2019 (+6,2%, pour 22 millions d’euros), après un accroissement de 6,4% l’année précédente. Cette production est majoritairement à destination de la France métropolitaine pour 85,3% et de l’Allemagne pour 9%.
L’Hexagone achète majoritairement les produits de l’exploitation de la canne (le sucre et le rhum représentent 24,7% de ses achats, soit une hausse de 5,4% par rapport à 2018). Avec 26,6% du total des exportations de sucre, la métropole était de nouveau en 2019 le principal débouché du sucre de l’île. Pour l’Europe, le Portugal succède à l’Espagne en tant que premier importateur de sucre réunionnais (hors France) pour atteindre 21,3% du total du sucre. Les autres principaux débouchés du sucre local sont l’Italie (19,6%) et l’Espagne (12,1%).
♦ À voir : Existe-t-il une aristocratie du sucre ? Les familles sucrières à La Réunion
De la canne à Mayotte
C’est une facette moins connue de l’histoire ultramarine de la canne à sucre, mais cette dernière fut aussi cultivée à Mayotte à partir de la seconde moitié du XIXe siècle. Tout commence avec la création de la Compagnie (ou Société, selon les sources) des Comores par un groupement d’armateurs nantais, qui obtiennent des concessions de près de 4000 hectares dans les vallées de Kaweni et de Dembeni. Quelque 50.000 pieds de canne, achetés à La Réunion et à l’île Maurice, sont plantés à partir de 1848 sur une partie des propriétés. Pour la construction et l’équipement des usines sucrières, les machines sont importées principalement de France et d’Angleterre. La première usine commence à produire du sucre en 1850, avec cinq tonnes. D’après des estimations officielles, la production de canne à sucre de la Compagnie des Comores s’élèvera à 4000 tonnes environ dans les années 1880 pour diminuer drastiquement au début du XXe siècle, jusqu’à l’arrêt définitif de la production en 1955, année de la fermeture de la dernière usine sucrière. À son apogée, la Compagnie fera du rhum et en exportera jusqu’à 100.000 litres par an.
♦ Vidéo : les vestiges de l’usine sucrière de Soulou à M’Tsangamouji
Sur la durée, l’industrie sucrière à Mayotte a profondément changé la physionomie du territoire, en particulier sa population. À ses débuts, la main d’œuvre locale étant réticente ou refusant d’aller travailler sur les plantations, les colons durent faire appel à une population de travailleurs masculins « engagés » et libres, l’esclavage ayant été aboli sur l’île en décembre 1846. Les engagés furent principalement recrutés dans le Sud-Est de l’Afrique (région du Mozambique), la Grande Comore et Anjouan. Pour cela, les planteurs passaient des conventions avec les sultans comoriens et le gouverneur portugais du Mozambique. Des négriers arabes et européens parvinrent cependant à faire passer des esclaves pour des engagés en les vendant. En 1875, Mayotte comptait ainsi près de 3800 engagés. Leurs conditions de travail étaient très rudes, et même proches de l’esclavage selon certains procès-verbaux de l’époque. Plus de 13h de labeur par jour, rations alimentaires insuffisantes, logements insalubres, châtiments corporels, et retard de parfois plus d’un an dans les salaires ! De nombreuses grèves eurent d’ailleurs lieu pour protester contre les mauvais traitements.
Pour aller plus loin
► « Patrimoines de Mayotte », sous la direction de Thierry Mesas - éditions Couleurs métisses, février 2015, 496 pages.
► Rapport 2019 de l’Institut d’émission des départements d’Outre-mer (Iedom) sur La Réunion
► Les Outre-mer, c'est quoi ? La Réunion (Outre-mer La 1ere)
► Web-série : Il était une fois le sucre (Outre-mer La 1ere)