Comme annoncé au mois de décembre, l'exécutif donne un gros coup d'accélérateur au dossier sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Lors d'un Conseil des ministres exceptionnellement avancé au lundi 29 janvier, le gouvernement a présenté ses deux textes concernant le territoire d'Outre-mer : le premier, un projet de loi constitutionnelle, vise à dégeler le corps électoral calédonien ; le deuxième, un projet de loi organique, acte le report des élections provinciales calédoniennes.
Depuis le dernier référendum sur l'autodétermination de décembre 2021, l'État et les acteurs politiques locaux sont engagés dans des discussions pour redéfinir la place institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie en France. Mais, localement, les indépendantistes et non-indépendantistes peinent à s'entendre. Paris veut donc prendre de l'avance, en attendant qu'un consensus soit trouvé (le gouvernement a fixé la date limite pour sceller un accord au 1er juillet 2024), même si "la priorité du gouvernement reste la recherche d'un accord entre les différents acteurs en Nouvelle-Calédonie", a rappelé Prisca Thévenot, la porte-parole du gouvernement, à la sortie du Conseil des ministres.
Si aucun accord n'est trouvé d'ici six mois, c'est la réforme constitutionnelle de l'État qui s'imposera aux Calédoniens. Mais celle-ci sera uniquement limitée au dégel du corps électoral, largement restreint depuis l'accord de Nouméa de 1998.
Un corps électoral élargi
En Nouvelle-Calédonie, les électeurs voulant voter aux élections provinciales (pour élire les membres de chaque assemblée – Nord, Sud et îles Loyauté – et ceux du Congrès) doivent être inscrits sur une liste électorale spéciale. Mais les accords de paix ont prévu de geler en grande partie le corps électoral : seules les personnes installées sur le Caillou avant 1988 sont autorisées à voter.
Cette disposition est source de frictions entre les acteurs politiques locaux : d'un côté, une partie des indépendantistes aimeraient que le corps électoral reste tel qu'il est, c'est-à-dire gelé, pour préserver le poids politique des Kanak, en infériorité numérique sur le territoire ; de l'autre, certains non-indépendantistes souhaiteraient le dégeler complètement pour que l'ensemble des habitants du territoire puissent voter. D'autres voix, qui tentent de réconcilier les deux positions, plaident pour un entre-deux : "La solution sur le corps électoral, c’est ni la position du FLNKS – le corps électoral restera gelé ad vitam aeternam –, ni la position des Loyalistes – il sera totalement ouvert. La clé, comme d’habitude, elle est entre les deux", défendait le président du groupe Calédonie ensemble au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, Philippe Michel, sur Nouvelle-Calédonie la 1ère.
Dans le projet de loi constitutionnelle présenté aux ministres lundi, le gouvernement prévoit un élargissement du corps électoral calédonien : tout citoyen né ou domicilié en Nouvelle-Calédonie depuis dix ans aura le droit de voter aux élections provinciales pour y élire ses représentants.
Une mesure saluée par les non-indépendantistes, mais critiquée par les partisans de l'indépendance. Il n'y a "aucune urgence" à modifier le corps électoral, jugeait le président de l'intergroupe UC-FLNKS et Nationalistes au Congrès, Pierre-Chanel Tutugoro, il y a une dizaine de jours. "Pour nous, être favorable au report des élections dans ce cadre-là, c'est confirmer l'idée que le corps électoral provincial est une entorse à la démocratie, alors qu'il est garanti constitutionnellement et reste une nécessité locale", ajoutait-il.
Un vote du Congrès de Versailles
Ce texte, qui suppose une révision de la Constitution, devrait être examiné à l'Assemblée nationale et au Sénat dans les prochaines semaines, avant un vote du Parlement réuni en Congrès à Versailles. Si aucune date n'est encore fixée, députés et sénateurs doivent se réunir le 5 mars pour inscrire l'IVG dans la Constitution. Le vote sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie pourrait intervenir à la même occasion.
Le deuxième projet de loi présenté ce lundi en Conseil des ministres concerne le report des élections provinciales, initialement prévues en mai. Pour donner du temps aux discussions, le gouvernement repousse ainsi le renouvellement des assemblées des trois provinces (Nord, Sud et îles Loyautés) de quelques mois, sans préciser de date. Mais celles-ci devront se tenir au plus tard le 15 décembre. Cette loi, qui sera bientôt soumise aux députés et aux sénateurs, a d'ores et déjà été approuvée par l'assemblée délibérante de Nouvelle-Calédonie, le 17 janvier.
Le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer Gérald Darmanin a prévu de retourner sur le territoire au mois de février, mais uniquement "si un projet d'accord fait consensus" entre les acteurs politiques locaux, a-t-il annoncé la semaine dernière.