"Vous m’accordez sept, huit minutes ?" Comme de coutume lors d’un voyage officiel, le programme ministériel, ultra-chargé, a pris du retard. Philippe Vigier est arrivé la veille en Guyane. Le matin, il était à Maripasoula pour inaugurer un projet d’école connectée. D’un saut de puce en hélicoptère, il s’est rendu à Saint-Laurent du Maroni, puis à Mana pour une séquence agriculture, avant Kourou pour parler spatial, pour terminer par la visite du chantier de la centrale électrique du Larivot. Le nouveau ministre délégué aux Outre-mer s’accorde une poignée de minutes pour se rafraichir, et le voilà qui réapparait pour animer un cocktail avec des chefs d’entreprise, dans les jardins de la résidence du préfet de Guyane : "Sans vous, rien ne se passera", leur lance-t-il, en rappelant son parcours de "chef d’entreprise". Docteur en pharmacie, biologiste de profession, il dirige trois laboratoires d’analyse dans son département de l’Eure-et-Loir. Chez eux, il admire "cette pétillance qu’ils ont dans les yeux". Cette lueur dans le regard qui indique une volonté à toute épreuve pour faire, agir, et vite. Comme un portrait en creux de lui-même.
Première crise : celle de la pénurie d’eau à Mayotte. Le problème s’enkyste depuis près de trente ans. Il a présenté un plan d’urgence au président de la République : "En deux minutes, il m’a dit oui." Ces derniers jours, il négociait la participation du patron du groupe de transport maritime CMA-CGM pour l’acheminement de 600 000 litres d’eau potable conditionnés dans des conteneurs. Il a aussi décroché son téléphone pour appeler le patron d’EDF, suite à la coupure de courant qui a duré près de dix heures, en Guyane, le 27 août dernier. Impensable dans l’Hexagone.
En campagne pour Giscard
Lors de sa nomination surprise en juillet, les députés ultramarins, majoritairement Nupes, ont souligné sa méconnaissance des Outre-mer. Il rappelle qu’il a été le président d’un groupe à l’Assemblée nationale qui comprenait trois députés polynésiens et deux calédoniens, qu’il a été membre de la Délégation aux Outre-mer pendant cinq ans et qu’il a cosigné un rapport sur la défiscalisation dans les Outre-mer.
À première vue, Cloyes-sur-le-Loir, petite commune de moins de 3.000 habitants située à 140 km de Paris, dont il a longtemps été le maire, n’a pas grand-chose à voir avec les Outre-mer. Et pourtant. "On a les mêmes problèmes", dit-il. Difficile de se déplacer sans voiture individuelle. Et les zones blanches sont aussi fréquentes que dans la forêt guyanaise ou les atolls des Tuamotu : "Quand je fais Chartres-Orléans, ça coupe quatre fois."
Son premier engagement politique remonte à 1974, lorsqu’à l’âge de 16 ans, il partait sur sa mobylette pour coller les affiches du candidat Giscard à la présidentielle. Six ans plus tôt, il rencontrait Jacques Chirac, déjà membre du gouvernement, alors que son père était directeur général de la Somival, la société de mise en valeur de l’Auvergne et du Limousin. Chirac, un homme au "dynamisme prodigieux" et capable de débloquer des crédits en un coup de téléphone, se souvenait-il lors du décès de l’ancien président de la République, en 2019.
"Moi, on ne peut pas me raconter de carabistouilles"
Pour lui, la vie publique, "c’est servir. Aider. Aider encore." Il a été député et maire pendant seize ans. En 2017, lors des législatives, il l’a emporté avec 70 % des voix contre un candidat macroniste. En 2022, il avait l’étiquette majorité présidentielle et l’a emporté presque aussi largement. "J’aime les gens, explique-t-il. Je fonctionne à l’affect."
Philippe Vigier aurait bien aimé s’occuper de Santé, il aurait adoré s’intéresser à l’Éducation. Finalement, il se passionne pour les Outre-mer, ce ministère où l’on "touche à tout" et où les "défis terribles à relever" sont nombreux. "Moi, je suis en mission, répète-t-il. Je suis un bagarreur. Ce qui m’intéresse, c’est quand je peux être utile." Comme un vent de changement, au ministère des Outre-mer, après le passage de Jean-François Carenco : un politique a remplacé un haut fonctionnaire à la tête du ministère de la rue Oudinot. "Je ne vous dirai rien de mal sur lui, c’est un ami", interrompt Philippe Vigier, avant de donner la clef de leur différence de profil : "Mais il reste un préfet." L’un décide, l’autre exécute. Et d’ajouter : "Moi, on ne peut pas me raconter de carabistouilles."
"Je ne lâcherai rien"
Sa visite en Guyane a été perçue par certains sur place avec une pointe de lassitude et de scepticisme. Tant de ministres ont multiplié les voyages express, ces derniers mois, sans que les Ultramarins ne ressentent un début de changement dans leur vie quotidienne. Mais "moi, je suis arrivé avec cinquante briques en plus" pour le contrat de convergence entre l’État et la collectivité, souligne-t-il pour marquer sa différence. Il veut lutter contre les monopoles et contre la vie chère. Comme ses prédécesseurs. Il parle d’autonomie économique, alimentaire, sans aller sur le plan politique : "Quand on est autonome, on se démerde tout seul."
Avec Gérald Darmanin, son ministre de tutelle, il décrit une relation "d’une fluidité totale", sans "jamais de concurrence" entre eux. Philippe Vigier prend la peine de préciser que lui, ne sera "pas candidat" à la prochaine élection présidentielle.
Sa prochaine bataille sera celle du budget. D’abord, négocier avec le ministère du Budget. "C’est la guerre, dit-il. Je me bagarre comme un chien. Je ne lâcherai rien." Première victoire pour les Outre-mer : "Il est en hausse."