L'orage gronde à Paris. Mais ce n'est pas à cause des quelques gouttes tombées dans la matinée juste avant la passation de pouvoir entre Jean-François Carenco et Philippe Vigier au ministère des Outre-mer. L'orage vient de l'Assemblée nationale. Vendredi 21 juillet, dans un Palais Bourbon quasi déserté, plusieurs députés d'Outre-mer siégeant dans l'opposition ont rassemblé les médias pour une conférence de presse. "M. Vigier, à qui nous souhaitons la bienvenue, il faut qu'il sache que ça va être très compliqué pour lui", avertit d'emblée Davy Rimane, président de la Délégation aux Outre-mer. Le ton est donné.
Nathalie Bassire, Max Mathiasin, Christian Baptiste, Steve Chailloux, Elie Califer, Davy Rimane, Jean-Hugues Ratenon, Perceval Gaillard et Frédéric Maillot sont alignés derrière le pupitre. Ils sont visiblement remontés. Et déçus. Même s'ils ont des sensibilités politiques différentes – bien qu'ils siègent tous dans l'opposition –, ils dénoncent d'une seule et même voix le "mépris constant" du gouvernement pour les Outre-mer après le remaniement ministériel de la veille. Neuf autres Ultramarins, qui n'étaient pas présents à la conférence de presse, ont apporté leur soutien à cette initiative (presque) transpartisane.
"Variable d'ajustement"
"Nous n'avons pas du tout compris ce choix, s'offusque la Réunionnaise Nathalie Bassire (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, LIOT), en référence à la nomination du nouveau ministre délégué Philippe Vigier. C'est un député qui ne s'est jamais mis debout dans l'hémicycle pour défendre, pour prendre position pour les Outre-mer."
Débarqué de l'Assemblée nationale, cet élu d'Eure-et-Loir n'a pas de lien apparent avec les territoires ultramarins, contrairement à son prédécesseur, Jean-François Carenco, qui avait été préfet de la Guadeloupe et de Saint-Pierre et Miquelon. Il n'a donc aucune légitimité pour occuper ce poste, pensent les députés.
"Aujourd'hui, on constate qu'on nomme quelqu'un qui n'a aucune connaissance de nos territoires, voire qui a tenu des propos insultants, méprisants, en disant qu'il y a des pratiques occultes [dans les Outre-mer]", s'insurge le Guadeloupéen Christian Baptiste (Parti socialiste), en référence aux prises de position pro-vaccin de Philippe Vigier lors de la crise du Covid-19.
"Une fois de plus, les Outre-mer sont une variable d'ajustement", gronde Perceval Gaillard (La France insoumise, La Réunion). Ils n'ont droit qu'à "un ministère de seconde zone placé sous tutelle", déplore, lui, l'indépendantiste polynésien Steve Chailloux (Gauche démocrate et républicaine,GDR).
Rarement un ministre des Outre-mer à peine nommé aura provoqué un tel sentiment de défiance parmi les parlementaires ultramarins. "Nous n'acceptons pas ce ministre", tranche Christian Baptiste. "Il n'a pas notre confiance", confirme Elie Califer (Parti socialiste, Guadeloupe).
Alors que Philippe Vigier s'apprête à faire son premier voyage en tant que ministre délégué chargé des Outre-mer avec le président Emmanuel Macron – ils s'envolent ce week-end pour la Nouvelle-Calédonie, avec le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin –, l'élu d'Eure-et-Loir devra clairement batailler pour gagner la confiance de ses anciens collègues, avec qui il siégeait dans l'Hémicycle.
La coalition des oppositions
À l'Assemblée nationale, les Ultramarins regrettent déjà Jean-François Carenco, resté un an au ministère des Outre-mer. "Avec le ministre Carenco, nous avions établi une relation de confiance, nous avions un ministre qui connaissait les Outre-mer", se lamente Elie Califer. D'autant que, deux jours avant le remaniement, l'ancien préfet se réjouissait des 72 mesures présentées à l'issue du Comité interministériel des Outre-mer.
On présente au peuple ultramarin une feuille de route pour les cinq prochaines années avec des ministres censés porter [près de 70 mesures]. Deux jours après, le ministre des Outre-mer n'est plus là. Le ministre de l'Éducation n'est plus là. Le ministre du Logement et de la Ville, avec à chaque fois des dossiers énormes pour nos territoires, change...
Perceval Gaillard, député Gauche républicaine et démocrate de La Réunion
"Est-ce qu'on est juste des dossiers à faire avancer ?", interroge le député réunionnais Frédéric Maillot (GDR). Tous les élus d'Outre-mer ne sont toutefois pas du même avis que les neuf parlementaires rassemblés ce vendredi au Palais Bourbon. Issu du même parti politique que Philippe Vigier, l'eurodéputé martiniquais Max Orville l'a félicité à l'annonce de sa nomination, estimant que "les Outre-mer trouveront en lui un allié des territoires". Frantz Gumbs, député MoDem de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, a également salué son arrivée rue Oudinot.
Au-delà d'un simple désaveu envers le nouveau ministre délégué aux Outre-mer, Nathalie Bassire, Christian Baptiste, Frédéric Maillot et leurs collègues dirigent leur frustration vers le président de la République et sa Première ministre. "Madame Borne et M. Macron, nous avons bien compris votre message", lance Davy Rimane (GDR, Guyane), président de la Délégation aux Outre-mer de l'Assemblée nationale. "Aujourd'hui, nous constatons que la France continentale veut tout maîtriser, tout contrôler, nous mettre sous cloche", estime de son côté Jean-Hugues Ratenon, député réunionnais de La France insoumise.
Pour les parlementaires, l'exécutif s'est résolu à nommer Philippe Vigier au gouvernement uniquement pour assurer l'équilibre politique des différentes composantes de la majorité présidentielle. "On a vraiment l'impression qu'il fallait qu'il y ait quelqu'un du MoDem qui soit ministre. Malheureusement, il ne restait que les Outre-mer", soupire Nathalie Bassire.
Comme ils l'avaient déjà fait en début d'année à Cayenne, en Guyane, les Ultramarins des groupes GDR, Parti socialiste, La France insoumise et LIOT promettent de continuer à se réunir pour faire résonner d'une seule et même voix les Outre-mer. "Nous serons extrêmement exigeants", avertissent-ils. L'orage n'est pas près de passer. Philippe Vigier est prévenu : un parapluie ne sera pas suffisant pour éviter de finir complètement trempé.