Mardi 18 juillet, après les annonces du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM), Jean-François Carenco est serein. Voire heureux. Ses collègues des différents ministères se sont enfin emparés des problématiques propres aux Outre-mer, proposant un ensemble de 72 mesures pour répondre dans le moyen et long terme aux problématiques des Ultramarins. Mais, depuis le beau salon du ministère des Outre-mer où il reçoit les médias, le haut-fonctionnaire ne peut s'empêcher de penser que ses jours au sein du gouvernement sont comptés, même s'il n'en laisse rien paraître. "Je sais qu'il y a une journaliste du Monde qui a dit des trucs, mais ça ne m'intéresse pas", balaye-t-il d'un revers de la main, en référence à un portrait peu flatteur publié dans le journal quelques jours plus tôt. La veille, Emmanuel Macron confirmait le maintien d'Elisabeth Borne au poste de Première ministre. Un remaniement est annoncé et doit intervenir dans les prochains jours. Son nom circule parmi les probables sortants du gouvernement. Ce jour est arrivé.
Jean-François Carenco n'est désormais plus ministre délégué aux Outre-mer, a annoncé l'Élysée jeudi 20 juillet. C'est le député MoDem d'Eure-et-Loir Philippe Vigier qui lui succède. L'ancien préfet, lui, laisse un bilan mitigé rue Oudinot.
Un ministre assistant
Depuis qu'il est arrivé au gouvernement le 4 juillet 2022, Jean-François Carenco a fait preuve d'un certain volontarisme sur un grand nombre de dossiers, se rendant dans l'ensemble des territoires d'Outre-mer au moins une fois, de la Polynésie à Saint-Martin et Saint-Barthélemy, en passant par Mayotte, la Guyane, La Réunion, les Antilles, Wallis et Futuna et Saint-Pierre et Miquelon.
Mais l'homme, qui a fêté ses 71 ans début juillet, n'a jamais eu l'étoffe d'un grand politique. C'est un technocrate, qui aime les termes techniques, les acronymes, et peut vite devenir incompréhensible. Lui qui n'a jamais eu de véritable projet politique pour les Outre-mer a principalement fait tourner la machine, au cas par cas, sans se mouiller.
Il faut dire que Jean-François Carenco n'a eu que très peu de place pour imprimer sa marque. À son arrivée en juillet 2022, il hérite d'un ministère passé sous tutelle. Après Sébastien Lecornu et Yaël Braun-Pivet, c'est Gérald Darmanin qui récupère le portefeuille des Outre-mer, en plus de celui de l'Intérieur. Jean-François Carenco, lui, n'est qu'un ministre assistant. Tous les gros dossiers sont gérés par Darmanin. Les négociations sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ? Darmanin. L'opération Wuambushu pour lutter contre l'immigration illégale, la délinquance et l'habitat insalubre à Mayotte ? Darmanin. Le Comité interministériel des Outre-mer ? C'est le ministre de l'Intérieur, encore, qui prend la parole avant son délégué.
Effacé par son collègue-tuteur, le septuagénaire, qui a une longue carrière dans les hautes sphères de l'État – il a été préfet de la Guadeloupe, de Saint-Pierre et Miquelon, du Rhône, de Paris, et était président de la Commission de régulation de l'énergie avant d'être nommé au gouvernement – a néanmoins réussi à faire avancer certains dossiers. Sur les sujets des sargasses et du chlordécone, par exemple, il a œuvré pour mutualiser la lutte contre les algues envahissantes dans la Caraïbe et a sorti le chéquier pour financer la dépollution de la Guadeloupe et de la Martinique et pour aider les victimes du pesticide utilisé aux Antilles à la fin du XXᵉ siècle.
Sur la continuité territoriale aussi, le ministre délégué a obtenu une hausse des aides à la mobilité pour les Ultramarins les plus modestes. Mardi, lors des annonces du Comité interministériel des Outre-mer, il s'est d'ailleurs félicité d'être allé encore plus loin, en rehaussant le plafond d'éligibilité à cette aide de l'État, qui devrait permettre à davantage de personnes de financer leurs billets d'avion entre l'Hexagone et leur territoire.
Les pots cassés
En revanche, sur l'évolution statutaire des Outre-mer, le ministre ne sera pas celui qui aura redéfini les relations entre Paris et ses territoires ultramarins. Sur ce dossier, rien n'a réellement avancé. Malgré l'appel de Fort-de-France, lancé par les dirigeants des régions d'Outre-mer quelques jours avant son arrivée au ministère, le sujet a été complètement écarté du CIOM.
Jean-François Carenco a également marqué les élus et les observateurs de la vie politique ultramarine par son style direct, parfois maladroit. À ses débuts au Parlement en tant que ministre, celui qui n'a jamais eu de mandat national s'est vu couper le micro par la présidente de séance, son intervention dépassant le temps réglementaire. Il n'a pas pu faire les annonces qu'il voulait faire. Souvent, les mots de Jean-François ont dépassé la pensée de Carenco. Comme lorsqu'il salue des discussions "viriles" après la signature d'un accord entre les planteurs de canne de La Réunion et l'industriel Tereos en juillet 2022. Ou bien quand il annonce que "l'eau en Guadeloupe, c'est réglé", alors qu'il n'en est rien, comme le rapporte Le Monde dans son portrait.
Mais il faut reconnaître que Jean-François Carenco est un homme de dialogue, plaidant la "coconstruction". Il le disait lui-même le 14 juillet 2022, juste après sa nomination, au micro de la 1ère : "On ne peut pas avoir des propositions [toutes prêtes] quand on arrive [au ministère]".
Reste que, après un an de déplacements ministériels, d'échanges avec les élus ultramarins, de batailles parlementaires, Jean-François Carenco le délégué n'a jamais su réparer les pots cassés du premier quinquennat d'Emmanuel Macron. "Je ne sais pas si, véritablement, nous avons été entendus", disait le député guadeloupéen Christian Baptiste après les annonces du CIOM, mardi, qui se voulait être un rendez-vous crucial et déterminant pour les territoires ultramarins. Le ministre tire sa révérence. Il n'aura plus à être dans l'ombre de Gérald Darmanin, seul véritable homme fort des Outre-mer.