Jean-François Carenco est satisfait. Très satisfait même. "J'en ai compté 17 [des ministres] autour de la table ce matin !", lâche-t-il gaiement aux médias rassemblés au ministère des Outre-mer, une heure à peine après la restitution par la Première ministre Elisabeth Borne des travaux du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) et des nombreuses mesures qui en découlent. Le pari est remporté pour le ministre délégué aux Outre-mer : les différents ministères s'engagent à adopter un réflexe ultramarin et à prendre davantage en compte la spécificité de ces territoires éloignés de l'Hexagone. Reste désormais à lancer les multiples chantiers esquissés lors de ce CIOM, de la réforme de l'octroi de mer à la gratuité des manuels scolaires pour les élèves ultramarins, en passant par la loi Mayotte et la lutte contre l'illettrisme.
Mais là où certains jubilent, d'autres grincent des dents. "Je ne sais pas si, véritablement, nous avons été entendus", s'interroge le député guadeloupéen Christian Baptiste (Parti socialiste), rencontré à l'Assemblée nationale dans l'après-midi suivant les annonces. Plusieurs députés ultramarins – tous siégeant dans les rangs de l'opposition – expriment leur désarroi au micro d'Outre-mer La 1ère. Pour eux, le plan du gouvernement n'est que "mesurettes", du "réchauffé", voire de l'"indigence".
72 mesures qui ne font pas l'affaire
Au Palais Bourbon, à quelques jours des vacances parlementaires, ce Comité interministériel tant attendu (et tant repoussé) n'a pas réussi à réconcilier les députés d'Outre-mer, qui siègent pour la plupart dans les rangs de la Nupes, avec le gouvernement d'Emmanuel Macron. Le Réunionnais Jean-Hugues Ratenon (La France insoumise) feint la blague lorsqu'on l'interroge sur le CIOM : "C'est quoi ça ?", plaisante-t-il aigrement. "On sent qu'il y a quelques petites avancées", reconnaît ce fervent opposant à l'exécutif. Il cite la continuité territoriale pour les étudiants, sur les décès... "Mais ce qu'on attendait, ce n'étaient pas des petites avancées. C'étaient des grandes avancées." Les 72 mesures avancées par Elisabeth Borne et ses ministres ne font pas l'affaire.
Par téléphone, sa collègue mahoraise, Estelle Youssouffa (Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires), peste. "Mayotte n'a pas d'eau dans ses robinets [l'île subit une sécheresse historique, forçant les autorités à mettre en place des restrictions, NDLR]. Donc les plans sur la comète, les promesses qui sont juste une resucée de tout ce qui a été annoncé et toujours pas exécuté, on a beaucoup de mal à y croire", s'indigne-t-elle. La loi Mayotte annoncée par Elisabeth Borne d'ici 6 mois pour répondre aux défis du 101ᵉ département français ? "Indigente", lance l'élue.
Le gouvernement propose du logement modulaire, sans permis de construire. Je vais traduire la technocratie : ça veut dire qu'[à Mayotte], on vit comme des sauvages avec nos seaux d'eau et qu'on va nous mettre dans des containers (...). C'est ça le projet du gouvernement pour Mayotte.
Estelle Youssouffa, députée de Mayotte
Pour Jean-Hugues Ratenon, les ministres ont mal calibré leurs mesures. Par exemple, les étudiants réunionnais déplorent le manque de logement à La Réunion. En réponse, le plan du CIOM prévoit de rénover 700 habitations. Mais ce qu'il faudrait, c'est construire, argue l'Insoumis. Pareil pour la hausse de 30 € de bourse des Ultramarins : "Ça ne couvre pas l'inflation."
"Nous espérions autre chose"
"Il n'y a rien de transcendant dans tout ce qui a été annoncé", regrette le Guyanais Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine), récemment élu président de la Délégation Outre-mer de l'Assemblée nationale. De son côté, le socialiste Philippe Naillet (La Réunion), estime dans un communiqué que "de nombreuses attentes restent largement insatisfaites et rien de fort n’est proposé pour stopper la fracture sociale et réduire les inégalités" entre Français des Outre-mer et Français de l'Hexagone.
Vu comment ces territoires sont traités, l'État ne peut pas être inconscient de la distance qui croît entre ces territoires et l'État. À un moment donné, qu'il le veuille ou non, l'État va devoir en répondre.
Davy Rimane, député de la Guyane, président de la Délégation Outre-mer à l'Assemblée nationale
"Nous espérions autre chose", a indiqué Tematai Le Gayic, député indépendantiste de Polynésie, lors d'une conférence de presse organisée par son groupe politique à l'Assemblée, la Gauche démocrate et républicaine. "Nous continuerons de démontrer qu’il y a des problèmes structurants dans les Outre-mer auxquels il est indispensable d’apporter des solutions", a-t-il ajouté, alors qu'aucune mesure d'envergure ne concerne directement les territoires du Pacifique, dont il est un des représentants.
Les élus ultramarins ont prévu de se réunir prochainement "pour analyser en profondeur toutes ces mesures, pour avoir une position commune", indique le Guadeloupéen Christian Baptiste, qui regrette que les sujets d'évolution statutaire aient été mis de côté lors de ce Comité interministériel. Pendant que les élus se concerteront, le gouvernement entamera en septembre la mise en œuvre de son grand plan pour les Outre-mer. Jean-François Carenco doit consulter l'ensemble des dirigeants locaux pour élaborer une feuille de route territoire par territoire. Mais l'exercice s'annonce périlleux, le consensus paraissant impossible à atteindre. "Nous allons chasser en meute", prévient Jean-Hugues Ratenon.