Les résultats de cette étude publiée ce lundi 18 septembre ont beau ne pas être surprenants, il n'en demeure pas moins préoccupants : sur une cinquantaine de produits chimiques analysés, la moitié a des effets toxiques sur les coraux.
Un chiffre qui pourrait être bien supérieur en réalité, car le manque de données n'a permis de réaliser cette évaluation que sur un nombre limité de substances.
De quels risques parle-t-on ?
Sur la demande du ministère de la Transition écologique, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) a en effet évalué les risques des substances chimiques sur les récifs coralliens.
Contactée par Outre-mer la 1ère, Aurélie Mathieu, adjointe à la cheffe de l'unité des risques liés aux substances chimiques à l'Anses et coordinatrice de l'expertise, explique qu'il n'est pas possible de déterminer l'impact exact de ces produits car d'autres "pressions" liées au réchauffement climatique et aux activités humaines "peuvent entraîner leur dégradation". Mais l'étude a permis "d'objectiver qu'il y a des impacts".
"Ce qu'on a pris en compte, pour identifier ce qui pouvait être potentiellement toxique, ce sont différents effets comme par exemple le blanchiment des coraux, la fertilité, la mortalité, la croissance...", liste-t-elle.
Quels produits chimiques sont concernés ?
L'Anses s'est basée pour cela sur le travail de l'Office français pour la biodiversité (OFB) qui a recensé plus d'une centaine de produits potentiellement toxiques en passant en revue toute la littérature scientifique. En croisant avec les données disponibles pour la Guadeloupe, la Martinique, La Réunion et Mayotte, l'Anses a pu évaluer une cinquantaine de substances chimiques qui font partie des quatre familles suivantes :
- les hydrocarbures : ils peuvent provenir de rejets industriels, de transport maritime, de marée noire ou de stations-services
- les métaux : ils peuvent être issus de rejets industriels ou d'activités minières
- les pesticides : ils sont par exemple drainés par les eaux pluviales vers la mer
- les filtres UV : ils sont utilisés dans les crèmes solaires.
"Nous avons ensuite croisé les seuils de danger applicables aux coraux pour ces substances aux niveaux de concentration observés dans l’environnement. Cela nous a permis d’identifier les substances à risque pour les coraux situés en Guadeloupe, Martinique, à Mayotte et à la Réunion", explique Karen Burga, coordinatrice de ces travaux, dans le rapport.
Quels sont les filtres UV à risque ?
Sans faire une liste exhaustive, le résumé du document cite quelques exemples. Pour les filtres UV, "l’expertise a notamment identifié trois substances comme toxiques pour les coraux : l’oxybenzone, l’octinoxate et l’octocrylène".
Pour le cas de l'octocrylène présent dans les crèmes solaires et dont les risques pour l'environnement et pour les coraux ont été confirmés, "l'Anses est déjà mobilisée sur cette question et a proposé d'engager une mesure de restriction au niveau européen", assure Aurélie Mathieu.
Même si ce n'est pas de leur ressort, les auteurs de l'étude s'interrogent sur les crèmes solaires où sont apposés "des mentions ou des pictogrammes mettant en avant leur respect du milieu marin" alors que des données manquent "quant à la toxicité des substances étudiées sur les coraux". De là à parler d'allégations trompeuses, il y a un pas qu'ils ne franchissent pas, mais ils rappellent la loi.
Chlordécone et chlorpyrifos dans le viseur
Côté pesticides, une substance a notamment été identifiée à risque en Martinique, le chlorpyrifos. Il s'agit d'un insecticide employé dans le traitement des fruits et des légumes, notamment des épinards. Il "n'est plus autorisé dans l'Union européenne depuis la fin janvier 2020" mais il l'est encore "dans d'autres pays hors Union européenne", précise Aurélie Mathieu.
"Il peut se retrouver dans les eaux du fait de sa persistance, indique-t-elle. Aujourd'hui, il y a une interdiction à la production et à l'utilisation du chlorpyrifos qui est lancée à l'échelle internationale par l'ONU donc qui pourrait aboutir à une interdiction plus large."
C'est sans doute sa persistance qui fait que le chlordécone a également été identifié à risque en Martinique et en Guadeloupe, mais les informations sur le danger de cette molécule sur les coraux restent aujourd'hui limitées.
Métaux et reproduction
Selon les conclusions du rapport, les métaux semblent impacter la reproduction des coraux : "la fertilisation semble être l’effet le plus sensible par comparaison à d’autres réponses biologiques telles que la densité ou la croissance des algues symbiotiques". Sont notamment toxiques le zinc, le manganèse, le fer, l'aluminium.
Pour les hydrocarbures enfin, aucun des 10 éléments évalués ne ressort comme clairement dangereux. "Les risques pour les espèces coralliennes ne peuvent pas être écartés", avertissent cependant les experts qui précisent que "les études sur la toxicité pour les coraux des mélanges d'hydrocarbures n'ont pas été prises en compte pour des raisons méthodologiques".
Ils soulignent par ailleurs que "les dispersants présents dans ces mélanges constituent une classe de polluants très pertinente à examiner pour d’éventuels risques sur les coraux".
62% des récifs dégradés
Bref, les études sur le sujet ne sont pas terminées ni complètes, loin de là. Surtout que le champ de cette évaluation ne comprenait pas les récifs d’eau froide. Il ne concernait pas non plus la Guyane, la Polynésie française, Wallis et Futuna, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, ni la Nouvelle-Calédonie. "On manquait de données d'exposition et on n'a pas pu réaliser ces calculs", confie la coordinatrice de l'expertise.
On sait cependant, selon des chiffres de 2020 publiés sur le site du ministère de l'Écologie, que 70% des récifs coralliens se trouvaient dans un bon état dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis et Futuna) et les Îles Éparses de l'océan Indien.
À l'inverse, dans les territoires plus densément peuplés des Antilles françaises (Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy, Saint-Martin) et de l'Océan Indien (Mayotte, La Réunion) où a été réalisée en partie l'évaluation, 62% des récifs coralliens étaient dégradés.
Et après ?
À l'issue de l'étude, l'Anses fait plusieurs recommandations, en premier lieu "créer ou renforcer le suivi ou la surveillance des substances chimiques qui présentent un impact sur les récifs coralliens", détaille Aurélie Mathieu.
Pour préserver les coraux déjà menacés, elle conseille aussi de "limiter ou interdire l'utilisation de certaines substances chimiques dans le cadre de réglementation, ou encore d'améliorer l'implantation et le fonctionnement des réseaux d'assainissement des eaux usées". "En effet, dans certains territoires d'Outre-mer, le réseau d'assainissement peut être défaillant et donc les eaux usées ne sont pas suffisamment traitées, peuvent être en partie rejetées directement dans la mer", décrypte la coordinatrice.
Elle donne aussi l'exemple des "eaux pluviales qui vont drainer des substances présentes en surface et qui ne sont pas forcément récupérées et traitées dans certains territoires et qui vont donc se retrouver directement dans la mer." D'où l'importance de s'occuper des produits chimiques utilisés et rejetés, pas seulement en mer, mais aussi sur terre.
Les chiffres clés sur les coraux
- Les coraux abritent près de 100.000 espèces.
- Avec ses territoires d'Outre-mer présents sur les trois océans, les eaux françaises abritent 10% des récifs coralliens mondiaux.
- Au niveau mondial, 20% des récifs coralliens ont été irrémédiablement détruits dans les dernières décennies à cause du dérèglement climatique mais aussi à cause des pollutions liées aux activités humaines.