Au mois de septembre dernier, avec ses coéquipiers, il faisait vrombir de bonheur les Français, grâce à leur exploit au cécifoot à l’occasion des Jeux Paralympiques de Paris 2024. L'effervescence étant redescendue, Gaël Rivière a repris le cours de sa vie. Du moins Maître Rivière. "Je suis avocat avant d’être champion paralympique", souffle-t-il. Voilà déjà huit ans que le natif de Saint-Benoît à La Réunion exerce ce métier. "J’ai toujours essayé de concilier mes deux passions, parfois un peu plus l’une que l’autre. Comme on ne peut pas vivre de notre sport, on est obligé d’avoir un métier à côté", explique Gaël Rivière.
C’est à quelques encablures de l’Assemblée Nationale, dans le 7ᵉ arrondissement parisien, que nous retrouvons le Réunionnais dans les locaux de son cabinet. Sourire joviale, Gaël Rivière se déplace, cane blanche à la main gauche, avec aisance, dans ce grand bâtiment qu’il connaît bien. Avocat en droit privé, il conseille des banques, des gestionnaires de fonds ou encore des compagnies d’assurances.
Dans son cabinet, le champion paralympique de 34 ans fait l’unanimité auprès de ses collègues qui louent ses qualités de résilience malgré son handicap. "C’est un modèle de force et de détermination, confie Wallis, une autre avocate du cabinet, elle aussi de La Réunion. Il montre à chacun d’entre nous la capacité qu’il a, à la fois, d’assumer ce travail extrêmement exigeant, mais aussi d’avoir une carrière de sportif brillante."
"On ne le voit plus beaucoup au bureau"
Durant les Jeux de Paris 2024, Gaël Rivière a pu compter sur le soutien sans faille de ses collègues de bureau, mais aussi de ses patrons qui lui ont aménagé son temps de travail. "J’ai eu de la chance d'avoir un cabinet qui m'a permis d'avoir cette conciliation et de faciliter la préparation pour les Jeux, dit-il. J’étais à temps partiel de 10 h 30 à 17 h. Ça me permettait de pouvoir aller m’entraîner le matin et le soir." La suite, on la connaît : les Bleus du cécifoot vont aller chercher la médaille d’or au terme d’une soirée folle face à l’Argentine, conclue aux tirs au but.
Devenu connu – peut-être un peu trop au goût de ses collègues – "depuis les Jeux, on ne le voit plus beaucoup au bureau", glisse entre deux éclats de rire Wallis. À savoir si cette nouvelle notoriété a changé le regard de ses clients, le Réunionnais répond par l’affirmatif. "Beaucoup ont été enthousiastes, relève-t-il. Je pense que c’est un élément de curiosité pour eux de se dire qu’ils m’ont déjà croisé sur tel ou tel dossier et qu’en fait, je suis joueur de l’équipe de France de cécifoot. Ça rajoute sans doute un intérêt supplémentaire à notre parcours."
"Les métiers juridiques sont accessibles pour les personnes atteintes de déficience visuelle"
Au premier abord, on peut se poser dix mille questions sur la vie professionnelle de Gaël Rivière. Comment fait-il ? Comment prépare-t-il la défense de ses clients ? Le champion paralympique y répond. "Mon quotidien, c'est beaucoup derrière un ordinateur, à rédiger des notes, des mails, des clauses de contrat, assister à des réunions pour négocier, discuter de dossiers... C’est stimulant, mais aussi exigeant en termes d’horaires", explique l’avocat originaire de la ville de Saint-Benoît. "Je pense que les métiers juridiques sont accessibles pour les personnes atteintes de déficience visuelle. C’est un domaine plutôt inclusif qui accepte d'embaucher ou de faire appel à des personnes en situation de handicap", constate-t-il.
Après, dans ce domaine comme dans tout le reste de la société, je pense qu'il y a une marge de progression qui est quand même importante.
Gaël Rivière, champion paralympique de cécifoot
La victoire de l’équipe de France de cécifoot aux Jeux de Paris 2024 a eu pour effet aussi de changer le regard sur le handicap. "Ces Jeux ont montré aux personnes qui n'étaient pas familières du monde du handicap qu’une personne, même en situation de handicap, peut avoir des compétences. Il s'agissait de sport, mais ça démontrait aux gens que handicap, n'était pas synonyme d'incapacité totale ou générale."
L’anti modèle
On pourrait rester des heures à discuter avec Gaël Rivière dans son bureau, tant sa bonne humeur est communicative et son discours intéressant. Ayant quitté sa famille et son village de La Réunion très jeune, à l’âge de 15 ans, pour rejoindre le lycée Buffon à Paris et intégrer l’institut national des jeunes aveugles, il se rend compte du chemin parcouru. Mais ne le comparez pas à un modèle pour la nouvelle génération, il déteste ça. "J’ai toujours été un peu sceptique, réfractaire par rapport au modèle, tonne-t-il. Je dis souvent que quand j'étais plus jeune, je détestais les modèles. Quand j'étais petit, on me disait, 'tu es non-voyant, les modèles, c'est Gilbert Montagné, les kinésithérapeutes, parce qu'il y en a beaucoup qui sont non-voyants ou pianistes'. Moi, je n'avais pas du tout envie de faire ça, j'avais envie de jouer au foot et aux jeux vidéo."
Gaël Rivière est donc ce que l’on pourrait appeler un anti modèle. Avec sa double casquette, champion paralympique et avocat, le Réunionnais veut transmettre un message. "Je préfère avoir un discours qui consiste à dire aux personnes en situation de handicap, donnez-vous la possibilité, les chances de tenter ce que vous avez envie de faire. Peut-être que vous réussirez, peut-être que vous ne réussirez pas, mais en tout cas, vous avez tout autant que les autres le droit d'essayer de réaliser vos objectifs et vos rêves." Lui, il a réussi à atteindre ses objectifs en prêtant serment. Et son rêve en décrochant la médaille d’or aux Jeux Paralympiques.