C'est l'un des plus grands scandales de l'industrie pharmaceutique : l'affaire du Mediator, un médicament antidiabétique utilisé comme coupe-faim. Commercialisé pendant plus de 30 ans par le laboratoire Servier, il a causé le décès de centaines voire de milliers de personnes, ainsi que de graves problèmes cardiovasculaires chez des milliers de patients.
Près de 13 ans après l'ouverture des premières informations judiciaires (voir encadré ci-dessous), la cour d'appel de Paris a reconnu le groupe Servier, deuxième laboratoire médical français, coupable de tous les délits qui lui étaient reprochés - "tromperie aggravée", "homicides involontaires et blessures involontaires" -, y compris le délit d'escroquerie pour lequel il avait été relaxé en première instance en mars 2021.
Elle l'a condamné à rembourser plus de 415 millions d'euros à l'assurance maladie et aux mutuelles. Le laboratoire devra aussi payer une amende de plus de 7 millions d'euros, un montant nettement supérieur à celui rendu en première instance (2,7 millions d'euros).
Émotion et soulagement
À la sortie du Palais de justice, Alain Antoine, avocat qui représente entre 170 et 180 victimes réunionnaises sur cette affaire, se dit à la fois "ému" et "satisfait" : "Ému car c'est 10 ans de combat et vous avez aujourd'hui l'épilogue de ces 10 années de combat donc ce n'est pas sans émotion que je pense à certaines victimes que j'ai perdues en cours de route."
"Satisfait" car "la cour d'appel a monté les curseurs et a reconnu le délit d'escroquerie, poursuit-il. On a une décision beaucoup plus sévère qu'en première instance. Les victimes que je représente saluent la sévérité de cette décision."
L'avocat semble par ailleurs soulagé que les indemnisations versées aux victimes ne soient pas réduites. Il y avait un risque que les dommages et intérêts versés à la suite du premier procès "soient revus à la baisse" lors de cette audience en appel. "C'était un peu l'angoisse de beaucoup de parties civiles", explique-t-il.
Leur crainte mais aussi la sienne, qui au final est infondée. "D'après ce que j'ai pu comprendre, les demandes indemnitaires n'ont pas été revues à la baisse par la cour d'appel de paris, ce qui est une excellente chose pour les parties civiles", se réjouit-il. Alain Antoine compte cependant se plonger dans l'arrêt de 1.000 pages, pour vérifier dans le détail cette information.
Un probable second procès
Même si l'avocat a évoqué la fin de 10 ans de combat, la condamnation de la cour d'appel ne signifie pas pour autant la fin de l'affaire : le laboratoire Servier a déjà annoncé qu'il va se pourvoir en cassation.
Par ailleurs, si au total 7.650 personnes se sont constituées parties civiles au procès, quelque 5.000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l'instruction au parquet de Paris, ouvrant la voie à un probable second procès Mediator dans les prochaines années. Plusieurs dizaines de Réunionnais sont concernés.
- LES DATES CLÉS DU MEDIATOR
1976 : mise sur le marché du Mediator, nom commercial du benfluorex, substance proche de l'amphétamine. À l'origine destiné aux diabétiques en surpoids, ce médicament est surtout prescrit comme coupe-faim.
1999 : un premier cas de valvulopathie (dysfonctionnement des valves cardiaques) est décelé chez une personne prenant du Mediator.
2007 : le Dr Irène Frachon, pneumologue à Brest, entame des recherches sur les effets dangereux du médicament. Elle relatera en 2010 son enquête dans un livre intitulé Mediator 150 mg, combien de morts ?
2009 : le Mediator est retiré du marché français en novembre. En 2011, l'Inspection générale des affaires sociales estimera que ce retrait aurait dû intervenir dès 1999.
2011 : Le fondateur du laboratoire Jacques Servier et cinq sociétés de son groupe sont mis en examen en septembre pour tromperie et escroquerie.
2012 : le procès pénal du laboratoire et de son fondateur, prévu au printemps, est reporté pour question de procédure. M. Servier est également mis examen pour homicides et blessures involontaires en décembre.
2014 : décès de Jacques Servier.
2019 : après les premières décisions de justice dans les volets civil et administratif, le procès pénal s'ouvre en septembre devant le tribunal correctionnel de Paris avec des milliers de parties civiles et 350 avocats.
2021 : le groupe Servier est condamné en mars à une amende de 2,7 millions d'euros pour tromperie aggravée et homicides et blessures involontaires, mais relaxé des délits d'obtention indue d'autorisation de mise sur le marché et d'escroquerie. Parquet de Paris, parties civiles et laboratoire pharmaceutique font appel.
2023 : de janvier à juin se tient devant la cour d'appel de Paris un deuxième procès contre Servier et son ex-numéro 2, Jean-Philippe Seta.