Projet de centrale électrique en Guyane : la délégation amérindienne reçue à l’Assemblée nationale

La délégation Kali'na de Guyane a rencontré ce 6 décembre les députés de Polynésie pour parler de la cause des peuples autochtones. En bas, le Polynésien Tematai Le Gayic salue le Yopoto Sjabere qui refuse la construction d'une gigantesque centrale électrique.
Pour leur dernier jour à Paris, les représentants de la communauté amérindienne Kali’na ont échangé ce mardi avec les députés polynésiens et ceux de la NUPES, au sujet de leur combat contre l’emplacement de la centrale électrique de l’Ouest guyanais (CEOG). La société à l’origine du projet dénonce de son côté des fausses informations.

Un député et un chef coutumier front contre front à l’Assemblée nationale, l’image rare interpelle. Avec ses deux confrères polynésiens, Steve Chailloux et Moetai Brotherson, le député Tematai Le Gayic rencontrait en effet ce mardi matin la délégation guyanaise du village Prospérité, avec à sa tête le "yopoto" (chef coutumier, NDLR) Roland Sjabere.

Même si la polémique actuelle en Guyane ne concerne pas directement le Fenua, les parlementaires tenaient à assurer la communauté amérindienne de leur soutien et de leur action "en tant que représentants de [leurs] peuples respectifs" pour faire "avancer [leurs] droits à l’Assemblée nationale", notamment en ce qui concerne l’usage des terres.

"Ils ont compris notre combat"

Les Polynésiens n’étaient pas les seuls à apporter leur soutien aux Amérindiens puisque plusieurs députés de la NUPES les ont reçus ce mardi après-midi, toujours à l'Assemblée, pour parler de leur situation. Le yopoto Sjabere et la communauté kali’na s’opposent en effet depuis plusieurs mois au chantier de la centrale électrique de l’Ouest guyanais (CEOG) qui a débuté en septembre 2021.

"Pendant notre séjour, nous avons rencontré beaucoup de personnes. Nous avons échangé et les personnes ont compris notre combat, le sens de notre démarche, et aujourd’hui on a du soutien", se réjouit le chef coutumier, présent du 30 novembre au 7 décembre à Paris.

La communauté fragilisée

Le sens de leur combat n’est pas contre le projet de la centrale en soi, qui allie solaire et hydrogène et qui doit surtout permettre de fournir une électricité stable, non polluante et à un coût compétitif dans l’Ouest de la Guyane.

Mais ils ne veulent pas qu’elle soit à côté de Prospérité car cela signifie la destruction de "78 hectares de forêt amazonienne en plein parc naturel régional de Guyane, qui s’avère être le territoire de vie, de chasse et de pêche des habitants du village."

"C’est également un lieu de culte, de spiritualité, de transmission, de loisirs pour les enfants et donc c’est un espace qui nous permet d’avoir un village équilibré, une communauté solide, ajoute-t-il. Donc si demain cet espace est perturbé, c’est toute la communauté qui sera fragilisée."

Le projet va se déplacer ou bien il ne va pas se faire, mais en tout cas il ne va pas se faire à cet endroit-là.

Roland Sjabere, yopoto du village Prospérité

"Il y a eu un accord signé"

"C’est impossible, répond Damien Havard, le président et fondateur de la société Hydrogène de France (HDF) qui a conçu la CEOG. Le projet est financé, en construction, quand vous avez des banques qui vous prêtent de l’argent pour un projet, que les entreprises sont payées, que les commandes sont passées, ça ne se déplace pas, ça s’annule, avec un préjudice financier énorme."

Face aux affirmations de la communauté kali’na qui assure ne pas avoir donné son accord sur ce projet et que le chantier s’est lancé malgré elle, Damien Havard rétorque : "Il y a eu un accord signé sur le projet avec le chef coutumier, accompagné d’un avocat, et accompagné par des personnes du grand conseil coutumier et de la collectivité territoriale de Guyane."

"On est surpris et déçu parce qu’il y avait eu de longues discussions, poursuit-il. Une opposition s’est mise en place après le commencement des travaux."

L'État pointé du doigt

Ces deux sons de cloche, le député guyanais Davy Rimane les retrouve dans ses échanges sur le terrain. Sa circonscription englobe en effet Mana et le village de Prospérité. Aujourd’hui, il ne veut pas se battre pour savoir "qui dit vrai qui dit faux", mais trouver une solution.

S’il trouve à la fois légitimes les revendications des Amérindiens et nécessaire la construction d’une centrale comme celle-ci pour répondre aux besoins énergétiques de l’Ouest guyanais, il dénonce surtout l’attitude de l’État dans cette affaire.

Une ligne rouge franchie

La question des terres est aussi centrale aux yeux de l’autre député de Guyane, Jean-Victor Castor : "90% des terres sont administrées par l’Etat sur la base d’une ordonnance royale qui date des années 1800 qui dit ‘quand nous sommes arrivés sur ces territoires, les terres étaient en friche et il n’y avait personne’. Donc déjà, c'est du révisionnisme historique, et deuxièmement, c’est une façon de nous désapproprier."

Par ailleurs, l’État a franchi "une ligne rouge", affirme-t-il, lorsque le chef coutumier a été interpellé fin octobre après des dégradations perpétrées quelques jours plus tôt sur du matériel de la centrale.

Rendez-vous avec les ministères

Négociation il y aura pourtant dans les jours à venir. Lors de cette rencontre entre la délégation amérindienne et la NUPES, les députés Sandrine Rousseau et Eric Coquerel ont proposé de demander un rendez-vous officiel avec le ministère des Outre-mer et celui de l’Écologie.

Une rencontre doit par ailleurs avoir lieu le 8 décembre prochain en Guyane, notamment avec les maires des communes concernées par le projet. Depuis l’arrestation du chef coutumier, le chantier a été temporairement arrêté pour calmer les tensions.