Échéance repoussée. Le "pacte nickel" dont on parle depuis quatre mois ne sera pas paraphé le 25 mars, à Paris. C'est ce qui était espéré, en présence des différents partenaires impliqués : État, président du gouvernement local, présidents de province, industriels. La signature a été reportée, ce sera peut-être courant avril. Il faut dire que Louis Mapou n'a pas encore reçu l'habilitation du Congrès en ce sens. Elle était envisagée le 28 mars, et puis non.
Un pacte qui cristallise des tensions. Il a pour ambition "la sauvegarde, la pérennité et la compétitivité de l'industrie du nickel en Nouvelle-Calédonie". Comment ? Par des engagements forts, pris par les différents signataires, chacun à son niveau. Que prévoit-il ? NC la 1ère l'a consulté dans sa huitième version, qui date de vendredi dernier. Il y est question de "survie", de "décisions difficiles mais nécessaires" et "d'efforts substantiels". Aperçu de son contenu, sachant qu'il devait encore évoluer.
Le décryptage de Sheïma Riahi au JT du 20 mars
1La réponse à une situation critique
Constat de départ, la filière métallurgique du nickel en Calédonie se trouve en grande difficulté, économique et financière. "Sans une action collective et un accord de très court terme, les trois usines se trouveront en état de cessation des paiements sous quelques semaines", est-il estimé d'emblée dans cette V8. "Ce qui posera un risque systémique pour le territoire et mettra en péril plusieurs milliers d’emplois ainsi que, plus largement, le modèle économique, social et fiscal de la Nouvelle-Calédonie."
2Le résultat d'un diagnostic
Côté explications, le document se base sur le diagnostic demandé par le gouvernement Borne. Le fameux rapport rendu en juillet 2023 par l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'économie. Plusieurs pistes y étaient développées pour réagir à court terme et à long terme. Un document cadre a ensuite été dévoilé par le ministre de l'Economie et des finances, Bruno Le Maire, lors de sa venue en fin d'année dernière. Depuis, le contenu du texte a été travaillé au fil des discussions entre l’État, la Nouvelle-Calédonie, le Congrès ainsi que les provinces Sud et Nord. Il a aussi été amendé après audition des opérateurs métallurgiques en janvier 2024. Ou quand a été annoncée la mise en sommeil de l’usine KNS, en février.
3Les obligations des industriels
La première partie du plan proposé par l’État concerne les entreprises qui gèrent les trois sites métallurgiques du pays : la Société Le Nickel (SLN) à Nouméa, Prony Resources (PRNC) dans le Grand Sud et Koniambo Nickel (KNS) à Voh dans le Nord. En résumé, "les industriels contribueront au redressement des usines et à la diversification de l’offre productive".
- Ils doivent s’engager à atteindre à l’horizon 2027 leur production nominale, c'est-à-dire le niveau de production pour lequel les usines ont été conçues. 60 000 tonnes par an pour la SLN, 50 000 tonnes par an pour Prony Resources, 45 000 tonnes par an pour KNS.
- Et cela, tout en contenant leurs dépenses et en travaillant leur compétitivité. Au menu : modération salariale au sein de l'entreprise - y compris les rémunérations au niveau de la direction - et maîtrise des coûts de sous-traitance.
- Voilà qui implique aussi de ne pas verser de dividendes (ou tout mécanisme équivalent) tant que les soutiens publics sont en place.
- Autres engagements marquants, les usines pyrométallurgiques doivent se tourner vers la production de mattes de nickel. KNS y songeait, la SLN le faisait jusqu'en 2016.
- En contrepartie des aides de l’Etat, il leur faudra fournir en priorité le marché européen des batteries électriques.
Une précision : vu la recherche de nouveaux partenaires industriels, à Prony et dans le Nord, les engagements que prendront les entreprises "pourront être revus" par les prochains actionnaires, "si nécessaire".
4Les engagements de Paris
En substance, dit cette version du pacte, l’État soutiendra la compétitivité de la filière métallurgique.
- Il doit porter, sur dix ans, un programme d’investissement pour fournir aux métallurgistes "une énergie stable, fortement décarbonée à un prix compétitif sans subvention". Sous le contrôle de la CRE, la Commission de régulation de l'énergie.
- Pendant le déploiement de ce programme d'investissement, l’État mettra en place un mécanisme de subvention à l’énergie pour les sociétés métallurgiques. Le but : réduire sans attendre leur manque de compétitivité à l'échelle internationale. Il est prévu que cette subvention, déterminée usine par usine, soit partagée avec les collectivités calédoniennes. En clair, les fonds publics du territoire financeront l’énergie des industriels à hauteur de 50 %.
5Le rôle du gouvernement local
Rôle confié à l'exécutif calédonien dans la V8 du "pacte nickel" : accompagner le retour des entreprises de la filière à la rentabilité, par des mesures et des réformes.
- Pas des moindres. Le gouvernement local doit rédiger une loi de pays afin de réformer le Code minier. Le but : ouvrir temporairement l’exportation de minerai brut issu des réserves géographiques métallurgiques (Goro dans le Grand Sud, le massif de Koniambo du côté de Koné et Tiébaghi à Koumac). Dans la limite, est-il précisé, d'un million de tonnes par an pour chaque réserve.
Le Code minier doit également être modifié pour permettre à "tout exportateur de minerai brut" de vendre à "tout client". Quelle que soit l’origine du minerai, et quel que soit le pays de destination, dans la limite du volume et du type de minerai autorisée.
Autre changement demandé, introduire un mécanisme pour coordonner les exportations de minerai brut. - Il est par ailleurs attendu du gouvernement, lit-on dans cette huitième version, qu'il renonce "à toutes mesures susceptibles d'accroître les charges ou de diminuer les recettes des entreprises métallurgiques recevant des aides à l'énergie tant que les entreprises métallurgiques sont déficitaires". Cette partie fait référence à l'amodiation de concession. Pour faire simple, il s'agissait d'autoriser une collectivité calédonienne à posséder des titres miniers, par le biais d'une société d'économie mixte, et à les faire exploiter en échange d'un loyer. Le "pacte nickel" implique que le gouvernement suspende la mise en place de ce régime spécial.
La Nouvelle-Calédonie est aussi censée instaurer un bouclier fiscal destiné aux entreprises métallurgiques, "pour toutes les nouvelles mesures fiscales adoptées depuis le 1er janvier 2023". - Ce n'est pas tout : le gouvernement doit s'abstenir de soutenir ou d'initier des textes qui viendraient "alourdir" l'activité minière ou métallurgique.
- Sans oublier ce gros morceau évoqué au chapitre État : le mécanisme de subvention à l'énergie. La participation du gouvernement est évaluée à la bagatelle de huit milliards CFP par an pour l'ensemble des trois usines, dès le second semestre 2024. Mais où trouver cet argent, vu les difficultés budgétaires de la Nouvelle-Calédonie ? La population devra mettre la main à la poche, puisque cette subvention énergétique serait notamment financée par des recettes supplémentaires de TGC, la taxe générale à la consommation (sous réserve d’une contribution de l’Etat au moins égale à ce montant).
6La participation des provinces
Selon le "pacte nickel" version 8, les provinces ont quant à elles pour mission de faciliter l'accès des entreprises à leur domaine minier. Notamment dans l’instruction des autorisations administratives. Que ce soit pour l'exploitation minière, sur le plan environnemental, ou au niveau réglementaire. Elles doivent s'engager à instruire en priorité certaines demandes en cours, jugées indispensables pour que les sociétés puissent continuer leur activité. On pense à ce qui a fait l'objet de nombreux échanges et commentaires : les dossiers déposés par la SLN concernant Poum et Népoui, qui dépendent d'autorisations accordées par la province Nord. Son président, Paul Néaoutyine, a exprimé son inquiétude quant à une déréglementation de l’exploitation minière.