C'est un rapport qui tombe à pic. Il y a quelques jours à peine, le gardien de but guyanais Mike Maignan essuyait des injures racistes et des cris de singe lors de la rencontre entre le club d'Udinese et le sien, l'AC Milan, en Italie. Cet incident n'est pas anecdotique et ne concerne pas que le football italien. En octobre, l'année dernière, des cris de singe avaient résonné dans l'enceinte du stade Marcel-Picot à Nancy. En avril 2019, pareil lors d'un match opposant Dijon à Amiens. Comme à Vierzon...
"Bien des personnes ne se rendent pas compte de la violence des mots, dissertait l'ancien footballeur international Lilian Thuram le 9 novembre 2023 devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les dysfonctionnements dans le milieu sportif français. Le foot, je le répète, est à l’image de la société et de ses habitudes. Des propos racistes, sexistes et homophobes sont très souvent proférés."
Après six mois de travail, la commission parlementaire a ainsi publié ses conclusions mardi 23 janvier. Les travaux des députés se sont concentrés sur les dysfonctionnements de l'État, des fédérations et du mouvement sportif. Inévitablement, la question du racisme dans le football, le rugby, le handball, et tous les autres sports a vite constitué un pan important de l'enquête parlementaire. La présidente Béatrice Bellamy (Horizons, Vendée), la rapporteure Sabrina Sebaihi (Écologiste, Hauts-de-Seine) et leurs collègues se sont donc penchés sur le cas des violences sexistes et sexuelles ainsi que sur les discriminations racistes et homophobes dans le sport tricolore.
Comme Lilian Thuram, les élus font état de "défaillances systémiques" la part de l'État et des fédérations, alors que le sport est brandi en étendard en cette année olympique, pensée par les autorités comme un outil d'insertion sociale et d'unité nationale. Mais loin de la France black, blanc, beur célébrée après la victoire des Bleus en 1998, le sport reste un lieu où persistent les discriminations. Et, très souvent, l'État et les fédérations échouent à les combattre, juge le rapport. Voire ferment les yeux sur le phénomène.
"C'est culturel, de mépriser les Noirs"
"Dans les enceintes sportives, les chants racistes et homophobes, qui prospèrent depuis de longues années, peinent à trouver une réponse pénale effective", constatent les élus. Depuis le mois de juillet, ils ont auditionné 193 personnes, dont des sportifs victimes de discriminations, des ministres ou anciens ministres, des présidents de fédérations, des entraîneurs, des chercheurs... Tous, soit en témoignant des violences et des injures subies, ou bien en les démentant, ont permis d'illustrer la persistance systémique du racisme dans la société française, qui se projette dans le monde du sport. Et notamment dans celui du football, qui compte plus de 12 millions de licenciés en France.
Ainsi, Lilian Thuram, originaire des Antilles et champion du monde 1998 avec l'équipe de France de football, a raconté devant la commission sa vision du racisme. "C'est culturel, de mépriser les Noirs", a-t-il lâché lors de son audition. Le footballeur, auteur d'un livre avec l'historien Pascal Blanchard qui raconte l'histoire de personnalités noires qui l'ont inspiré, est aujourd'hui engagé au sein de sa fondation pour éduquer et lutter contre ce fléau.
Didier Dinart, autre sportif qui a pu s'étaler sur son expérience d'homme noir dans le milieu du sport, a lui préféré réserver son témoignage aux seules oreilles des députés et a été interrogé à huis clos. Son audition ne sera pas rendue public. Mais le Guadeloupéen n'est pas inconnu des élans racistes que l'on retrouve dans le sport. L'ancien sélectionneur de l'équipe de France de handball avait révélé avoir été assimilé à un "esclave" par son ancien mentor Claude Onesta. Celui-ci s'était expliqué devant les députées Béatrice Bellamy et Sabrina Sebaihi. Sans vraiment convaincre.
Pour les deux parlementaires, qui ont mené les travaux de la commission d'enquête, "les manifestations de haine et les actes discriminatoires ont longtemps été minimisés par des responsables sportifs de premier plan, en dépit de l’évidence". Le rapport ne manque pas de rappeler cette phrase de l'ancien président de la Fédération française de football Noël Le Graët, tenue en 2020 : "Le phénomène raciste dans le sport, et dans le football en particulier, n’existe pas".
Un observatoire des discriminations dans le sport
Un des principaux freins pour lutter efficacement contre les discriminations liées à la couleur de peau ou à l'orientation sexuelle est la difficulté à quantifier le phénomène. C'est pourquoi le rapport formule un ensemble de recommandations pour inciter l'État et les fédérations à être encore plus actifs dans la lutte contre le racisme et l'homophobie.
La commission "invite le ministère des Sports à mettre en place un observatoire national des discriminations dans le sport, qui s’appuierait sur l’ensemble des parties prenantes", précise le document. Il demande aussi à ce que l'ensemble des intervenants dans le mouvement sportif, et en particulier les éducateurs, soient formés sur ces questions.
La rapporteure Sabrina Sebaihi recommande également d'élargir le périmètre de la cellule Signal-sports à l’ensemble des faits de racisme et de discriminations qui surviennent dans le cadre d'une pratique sportive.
Pour lutter contre le racisme, qui prend régulièrement la forme de chants et de cris d'animaux dans les tribunes de supporters, la commission d'enquête préconise par ailleurs d'être plus sévère avec les responsables de tels actes, soulignant que l'arrêt des matchs en cas d'incident n'est pas assez généralisé. C'est pourquoi elle propose d'"inscrire dans le code du sport la possibilité pour le préfet d’interrompre, temporairement ou définitivement, une rencontre sportive en cas d’incident violent ou à caractère discriminatoire" et d'en "interrompre la retransmission audiovisuelle".
En plus des discriminations racistes et homophobes, les parlementaires ont souligné tout un ensemble de dysfonctionnements, qu'ils soient financiers, liés à la gouvernance, ou dans la gestion et la prévention des violences sexistes et sexuelles.
Mais malgré ce travail, difficile d'anticiper les suites politiques, législatives et réglementaires qui seront données à ce rapport. La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, a dores et déjà critiqué un document "militant" et "instrumentalisé à des fins politiques" qui "jette sans nuance l'opprobre sur tous les acteurs du sport français". Elle-même est pointée du doigt pour ses rétributions lorsqu'elle était présidente de la Fédération française de tennis.
"En toutes circonstances, le sport doit rester un plaisir et une passion, un facteur d’émancipation et d’enthousiasme", écrit Béatrice Bellamy, la présidente de la commission. Un vœu bien pieux à six mois des Jeux Olympiques de Paris.