Sainte-Hélène, l’île aux esclaves libérés

Cinq esclaves libérés à SAinte-Hélène en 1900
Au 19ème siècle Sainte-Hélène, île britannique située dans l’Atlantique sud a accueilli des esclaves libérés par la Royal Navy. Les récents travaux de construction d’un aéroport ont ravivé ce chapitre méconnu de l’histoire de l’esclavage.
« J’aimerais qu’ils reposent en paix, humainement et pour toujours. Ne plus jamais les déterrer ! » Comme beaucoup d’Héléniens (habitants de Sainte-Hélène) Gavin Ellick, conseiller du parlement local trouve que l’affaire des « Africains libérés » n’a que trop duré.

Sainte-Hélène, lieu stratégique sur la route de l’esclavage

Les « Africains libérés », c’est ainsi que l’on nomme les esclaves qui se trouvaient dans les bateaux capturés par la Royal Navy et ramenés sur l’île de Sainte - Hélène au 19ème siècle. En 1840 les Anglais qui avaient aboli l’esclavage sept ans plus tôt décident de lutter contre le trafic d’esclaves entre l’Afrique et le continent américain. Pendant une trentaine d’années ils arraisonnent des navires négriers en partance vers l’Amérique latine,  et les amènent à Sainte-Hélène où le capitaine et les officiers du bateau sont jugés par un tribunal de la marine militaire. « Sainte-Hélène est un lieu stratégique comme toujours dans son histoire, car l’île se trouve à mi-chemin entre l’Afrique et l’Amérique du sud », explique Adam Sizeland, historien et directeur du musée de Sainte-Hélène à Jamestown, la capitale de ce territoire britannique d’Outre-mer.

Ecoutez le reportage de Tessa Grauman sur l'île de Sainte-Hélène

10.000 esclaves enterrés à Sainte-Hélène

Les esclaves entassés dans les cales des navires sont débarqués sur l’île et amenés dans des baraquements : 25.000 Africains libérés sont ainsi passés par Sainte-Hélène entre 1840 et 1870. Mais beaucoup arrivent dans un état physique déplorable, et le taux de mortalité sur place est aussi très élevé : « Un recensement de l’époque indique qu’entre 1840 et 1849, 4760 esclaves libérés meurent sur l’île » raconte l’archéologue Andrew Pearson dans son  livre « Distant Freedom ». Soit 31.6% des Africains libérés au cours de cette décennie. Au total, environ 10.000 esclaves libérés meurent à Sainte-Hélène. La plupart d’entre eux sont enterrés à Rupert’s Valley.

Ceux qui survivent seront ensuite envoyés dans des îles anglophones de la Caraïbes. « Beaucoup ne voulaient pas retourner chez eux, de peur d’être à nouveau capturés », explique Adam Sizeland.

« Un squelette de femme avec un enfant »

Aujourd’hui Rupert’s Valley est un vaste chantier. Situé au nord de l’île tout près de Jamestown, il se transforme progressivement en site industriel et portuaire de Sainte-Hélène. Les travaux ont commencé il y a une dizaine d’années avec la construction d’une route qui mène du haut de Rupert’s Valley au tout nouvel aéroport de Sainte-Hélène, à quelques kilomètres de là. En 2008, Andrew Pearson a été chargé d’exhumer avec une équipe d’archéologues les ossements de 325 esclaves dont les sépultures se trouvaient sur le futur tracé de la route. « Il y avait notamment un squelette de femme avec un enfant » souligne Helena Bennett, la responsable de l’Office du Tourisme qui, comme beaucoup d’habitants de Sainte-Hélène a été particulièrement touchée par cette image.

Un lieu de sépulture pour les ossements des esclaves libérés

Tous ces ossements ont été transportés à Jamestown, dans un édifice en pierre du 18ème siècle attenant à la prison de Sainte-Hélène. Une pancarte est fixée sur la porte. On peut y lire : « ceci est pour marquer le lieu provisoire où reposent les restent de 325 esclaves Africains libérés et amenés à Sainte Hélène contre leur gré. Leur vie s’est arrêtée à Rupert’s valley. Ils attendent ici de connaître leur ultime lieu de repos ».
Lieu de stockage des ossements d'esclaves libérés à Sainte-Hélène

Car le gouvernement et les habitants de Sainte-Hélène n’arrivent pas à s’entendre sur un lieu de sépulture. L’idée initiale était de replacer les ossement dans Rupert’s valley, « C’est un lieu désolé. Je n’aime pas beaucoup cet endroit », avoue Adam Sizeland, le directeur du musée de Sainte-Hélène. Il n’est pas le seul à trouver le lieu inapproprié. L’alternative serait Lemon Valley (la Vallée du citron), un lieu beaucoup plus paisible, qui a également accueilli des esclaves libérés au 19ème siècle. Un groupe de travail a été mis en place pour tenter de trancher sur l’ultime lieu de sépulture de ces esclaves libérés. "Il ne s'agit pas juste de ré-enterrer les dépouilles, il faut aussi s'assurer de ne pas enterrer leur histoire avec", explique Heidi Bauer-Clapp, une anthropologue américaine qui a écrit une thèse sur la mémoire des esclaves libérés de Sainte-Hélène. "Il faut que cette histoire continue d'être racontée". Créer un mémorial, un jardin de la mémoire... En attendant des habitants de l’île viennent régulièrement se recueillir devant le dépôt où se trouvent les ossements exhumés.