Vie chère en Outre-mer : pour la Cour des Comptes, il faut complètement refonder l'octroi de mer

Le port commercial de Fort-de-France, en Martinique, le 15 juin 2022.
Dans un rapport publié mardi 5 mars, l'institution estime que la taxe sur les produits importés dans les départements et régions d'Outre-mer "tend à enfermer les économies ultramarines dans un modèle peu porteur d'avenir". Poussant le gouvernement à avancer rapidement sur sa réforme prévue pour 2025, la Cour préconise néanmoins une refonte totale du dispositif, en le remplaçant par une "TVA régionale" d'ici à 2027.

Tout le monde s'accorde à le dire : l'octroi de mer est "à bout de souffle". Cette taxe, appliquée sur les produits importés dans les cinq départements et régions d'Outre-mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion, Mayotte), est à la "croisée des chemins", expose la Cour des Comptes dans un rapport publié mardi 5 mars. Ressource financière non négligeable pour les collectivités locales ultramarines, l'octroi de mer est aussi accusé de contribuer à la cherté de la vie en Outre-mer, où l'écart des prix avec l'Hexagone étouffe les ménages. L'institution administrative, chargée d'examiner et de juger l'utilisation de l'argent public, préconise de le "réformer en profondeur".

Taxe mise en place pour la première fois en Martinique au XVIIᵉ siècle, l'octroi de mer a aujourd'hui un double objectif de financement et de protection. Ses recettes, qui se sont élevées à 1,644 milliard d'euros en 2022 (un montant historique), financent en moyenne un tiers du budget des communes d'Outre-mer, leur assurant une certaine liberté administrative et autonomie financière, chères aux élus locaux. Dans certaines municipalités, les recettes fiscales issues de l'octroi de mer représentent même plus de 50 % du budget. 

Cette taxation permet également de protéger le tissu économique local, fragilisé par l'insularité et l'éloignement propres aux territoires d'Outre-mer. Prélever une taxe sur les importations venues de France hexagonale, de l'Union européenne, des autres DROM ou de l'étranger assure ainsi une certaine compétitivité aux acteurs économiques ultramarins.

Les modalités de prélèvement de l'octroi de mer, différentes selon les territoires, et propres à chaque produit, sont déterminées par les conseils régionaux ou leur équivalent. Certains biens peuvent être taxés jusqu'à 135 %. D'autres bénéficient de dérogations ou d'exonérations.

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Un des facteurs de la vie chère en Outre-mer

Dans son rapport publié quelques mois après l'annonce par le gouvernement d'une réforme de cette taxe, la Cour des Comptes étrille un dispositif qui "connait des problèmes sérieux de cohérence et d'efficience, et est marqué par une complexité excessive au regard des recettes collectées"

"L'octroi de mer aurait pu en théorie se traduire par un cercle vertueux (....), écrit la Cour. En réalité, il tend à enfermer les économies ultramarines, à des degrés divers, dans un modèle peu porteur d'avenir." Ce système, unique en France, aurait créé une dépendance des DROM aux importations, promouvant un protectionnisme économique qui empêche toute concurrence, toute innovation, et qui bénéficie exclusivement aux acteurs déjà installés. 

Cette taxe est par ailleurs "un facteur explicatif de la cherté de la vie dans les Outre-mer, parmi de nombreux autres", précise l'institution administrative. Mais "son effet est plus marqué sur certains biens et sur les populations les plus fragiles". 

Il [l'octroi de mer] participe (…) à un cumul d’éléments négatifs sur le niveau des prix, dans un contexte où son assiette même (incluant les frais de fret et d’assurance) contribue de façon mécanique à la hausse des prix, et où de nombreux biens de première nécessité, non produits dans les départements et régions d’Outre-mer, ou produits dans une proportion limitée, sont assujettis à des taux parfois très élevés.

Rapport de la Cour des Comptes sur l'octroi de mer

En plus d'avoir un impact négatif sur le portefeuille des ménages ultramarins, l'octroi de mer est aussi une contrainte pour l'État, note la Cour des Comptes. Depuis 2017, ce dernier a déboursé 159 millions d'euros de taxe pour assurer les services publics, notamment sa mission de santé. "Cette charge a notamment pesé sur les budgets des structures hospitalières déjà financièrement fragiles, mais aussi sur les administrations régaliennes pour l'importation de biens destinés à des missions relevant exclusivement de l'État", est-il écrit.

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Réformer "en profondeur"

L'évaluation de la Cour des Comptes se montre sévère vis-à-vis de l'octroi de mer, alors que de nombreux élus locaux d'Outre-mer craignent de perdre une source importante de revenus en cas de suppression de la taxe. "L’octroi de mer, c’est essentiel, détaillait Serge Hoareau, le président de l’association des maires de La Réunion, lors d'une rencontre avec le ministre des Outre-mer au mois de novembre. On n’est pas opposés à ce qu’il y ait un toilettage, mais en aucun cas une réforme en profondeur." Lors d'une réunion d'élus guadeloupéens début février, le président du conseil régional, Ary Chalus, a, lui aussi, défendu la nécessité de maintenir le dispositif.

La Cour des Comptes préconise pourtant de supprimer complètement l'octroi de mer d'ici à 2027, afin de le remplacer par un dispositif plus adapté et plus transparent, comme une "TVA régionale".

Contrairement aux élus locaux, le milieu économique semble lui plutôt favorable à une refonte de la taxe. "À un moment, il va falloir réformer, estimait Simon Vainqueur, le président de la chambre des métiers et de l'artisanat de Guadeloupe, début décembre. Il n'est pas normal que les produits de première nécessité soient taxés. Il n'est pas normal que la production locale soit taxée."

Une réforme "en profondeur", comme le recommande la Cour des Comptes, reste néanmoins à inventer. Et cela nécessitera du temps, des études et des concertations avec les différents acteurs concernés. En attendant, l'institution administrative pousse donc le gouvernement à mener à bien sa réforme, annoncée par Bruno Le Maire l'année dernière, afin d'améliorer le dispositif sur le court-terme. 

Le ministre de l'Économie et des Finances s'est fixé pour objectif d'inscrire les nouvelles modalités de l'octroi de mer réformé dans le projet de loi de finances 2025, qui sera débattu au Parlement en fin d'année. Son objectif est double : lutter contre la vie chère, qui empoisonne la vie des Ultramarins, tout en préservant les ressources des collectivités locales.