Les enfants qui grandissent dans les Outre-mer sont plus exposés aux violences qu'ailleurs en France. Et les structures pour leur venir en aide sont défaillantes. C'est ce que démontrent les parlementaires de La Réunion, Karine Lebon (NUPES), de Nouvelle-Calédonie, Philippe Dunoyer (Renaissance) et de Guadeloupe, Olivier Serva (LIOT), dans leur rapport sur la lutte contre les violences faites aux mineurs dans ces territoires, qu'ils ont présenté mercredi 29 mars à la Délégation aux droits des enfants.
Il y a un manque de coordination, de communication et de moyens sur la question de la protection de l'enfance. Et ça se traduit par un encadrement insuffisant.
Karine Lebon (La Réunion), co-rapporteure de la mission d'information, à Outre-mer La 1ère
Pendant quatre mois, les élus ultramarins ont auditionné une vingtaine de responsables d'association, de responsables administratifs, de chercheurs, de magistrats exerçant dans les Antilles, en Guyane, à La Réunion, à Mayotte, en Polynésie et en Nouvelle-Calédonie. "Dans tous ces territoires, on relève des taux importants de violences physiques, psychiques ou sexuelles", transposent-ils dans leur rapport.
Des données parcellaires
Les élus basent leur constat sur l'enquête Virage (Violences et rapports de genre) de l'Institut national d'études démographiques (INED). D'abord réalisée dans l'Hexagone en 2015, l'enquête a été étendue à La Réunion et aux Antilles en 2018. Dans les îles, rappellent les trois élus d'Outre-mer, entre 26 % et 27,5 % des femmes interrogées (selon le territoire ultramarin) ont déclaré avoir subi au moins un fait de violence dans la famille ou l'entourage proche avant 18 ans. Dans l'Hexagone, c'est 17,6 %. Pour les hommes, entre 18 % et 21 % ont indiqué avoir subi des violences étant jeunes, contre 12,9 % dans l'Hexagone.
Ces enquêtes, qui commencent à dater, soulignent la grande vulnérabilité des jeunes ultramarins. Mais, selon la chargée de recherche à l'INED Stéphanie Condon, auditionnée par la Délégation aux droits des enfants, ces données sont néanmoins à nuancer. Les études dans l'Hexagone et dans les trois départements d'Outre-mer ont été réalisées dans deux contextes très différents : celle en France métropolitaine a été réalisée avant le mouvement Me Too, qui a permis la libération de la parole des victimes de violences sexuelles ; celles à La Réunion, en Guadeloupe et en Martinique l'ont été après.
Par ailleurs, il est difficile de prendre une photo générale de la situation dans les Outre-mer en se basant uniquement sur l'enquête Virage de l'INED. Les rapporteurs se sont donc également appuyés sur les données collectées par les cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP). Ces organismes présents dans chaque département français agrègent les signalements préoccupants concernant les mineurs. Mais là encore, les données ne sont que parcellaires : les rapporteurs ont obtenu les chiffres de 2021 pour La Réunion (4600 enfants ont fait l'objet de signalement), la Martinique (1720), la Guadeloupe (1178) et la Province Sud de la Nouvelle-Calédonie (900). Karine Lebon, députée de La Réunion et co-rapporteure de la mission d'information, admet ne pas avoir eu les moyens ni le temps d'étudier tous les territoires d'Outre-mer, et notamment Wallis et Futuna, Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Le fléau des violences intra-familiales
Mais pourquoi donc les enfants sont-ils plus exposés aux violences dans les territoires ultramarins ? Les députés pointent du doigt la prééminence des violences intra-familiales dans ces territoires, alimentées par des problèmes d'addiction spécifiques aux Outre-mer (alcool, drogue...). Plus qu'ailleurs, les violences conjugales sont un fléau dans ces collectivités françaises. Les enfants en sont des victimes collatérales. "Lorsqu'un parent est violent dans le système familial, il y a un risque élevé qu'il soit violent sur son enfant", exposait le juge Edouard Durand, vice-président de la Commission Indépendante sur l'Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (Ciivise) lors de son audition par les parlementaires.
Des particularités socio-économiques, mais aussi des rapports différents à l'enfant selon les territoires et les communautés, expliquent en partie ces violences. C'est pourquoi une des recommandations des trois députés est d'adapter les différents dispositifs d'aides aux réalités locales. Par exemple, le rapport plaide pour une généralisation du bilinguisme pour que les numéros d'aide aux mineurs (119, 3919, 3018 et 3020) soit accessibles à tous en français, en créole, en tahitien, en shimaoré. Ils prônent aussi la mise en valeur du rôle de médiateur dans les communautés, "que ce soit les autorités religieuses (pasteurs ou prêtres aux Antilles, à La Réunion, en Polynésie, cadis à Mayotte) ou les chefs coutumiers en Nouvelle-Calédonie et en Guyane".
Il faut également mieux sensibiliser les enfants, dès le plus jeune âge, demandent les rapporteurs. Car, dans ces territoires insulaires, où les familles peuvent parfois vivre dans la promiscuité, la libération de la parole n'est pas une option pour certains jeunes, qui n'arrivent pas à dénoncer leurs agresseurs : c'est ce que Jessy Yongpeng, présidente de l'association réunionnaise Écoute-moi, protège-moi, aide-moi appelle le "verrou de la honte".
C'est en sensibilisant dès le plus jeune âge sur ce qui est du champ du personnel et du privé (comme le respect de son corps, dès la maternelle) qu'on va réussir à se rendre compte des frontières à ne pas franchir pour les enfants.
Karine Lebon, députée et co-rapporteure de la mission d'information
La prise en charge des mineurs défaillante en Guyane et à Mayotte
Dernier point sur lequel se penche le rapport : la défaillance du système de prise en charge des mineurs en danger. "L'Outre-mer est confronté à un manque de familles d'accueil et leur professionnalisation est à parfaire", notent les députés. Et c'est d'autant plus le cas en Guyane et à Mayotte : ces deux départements sont soumis à une forte pression démographique.
En Guyane, il n'y a pas assez de familles d'accueil pour les enfants placés à l'aide sociale à l'enfance (ASE). Résultat : "le mode d’accueil majoritaire est celui des assistants familiaux qui peuvent accueillir jusqu’à dix enfants par famille d’accueil alors que la limite légale est fixée à trois enfants par foyer". Et il est d'autant plus compliqué de placer un enfant que les lieux d'accueil sont tous concentrés sur le littoral, au grand dam de l'Ouest guyanais.
La prise en charge n’est pas personnalisée alors même qu’en Guyane on constate que le taux de suicide des enfants amérindiens est dix à vingt fois supérieur à celui de l’Hexagone. Isolés de leur famille afin de poursuivre leurs études à Maripasoula ou à Cayenne, ils éprouvent un sentiment de déracinement culturel et sont victimes de discriminations. Logés dans des familles, ils peuvent, de plus, être victimes d’abus sexuels.
Rapport sur la lutte contre les violences faites aux mineurs dans les Outre-mer
À Mayotte, le rapport souligne une "immigration de mineurs non accompagnés incontrôlée". "Leur accueil est complexe, le placement en famille d’accueil est saturé et ils ne sont pas tous scolarisés", pointent Karine Lebon, Olivier Serva et Philippe Dunoyer. La départementalisation de l'île étant relativement récente (2011), la mise en place des structures de protection judiciaire est toujours en cours, ce qui ne facilite pas la prise en charge des enfants en danger.
Validé par la Délégation aux droits des enfants, le rapport va être présenté au ministère des Outre-mer et à la secrétaire d'État à l'Enfance Charlotte Caubel. Certaines recommandations des trois députés ultramarins pourraient ainsi être intégrées dans une proposition de loi ou mises en place par arrêté ou par décret. "Il faut éviter que le rapport prenne la poussière sur les étagères", espère la députée réunionnaise.