Deux mois après les commémorations du Débarquement de Normandie, le président Emmanuel Macron et plusieurs dirigeants africains célèbrent jeudi matin le 80ᵉ anniversaire de l'opération "Dragoon", son équivalent en Provence, épisode méconnu, mais essentiel de la Libération, lors d'une cérémonie largement amputée en raison de la météo.
Si les difficultés diplomatiques de la France en Afrique ont réduit la liste des présents, cet anniversaire, nouvelle occasion de rendre hommage aux combattants des ex-colonies françaises, a surtout été perturbé par les risques de violents orages sur le littoral varois, avec l'annulation en dernière minute ou presque jeudi matin de toute la seconde partie des cérémonies.
En 1994, 2004 ou 2014, plus d'une quinzaine de dirigeants africains avaient participé aux commémorations du Débarquement de Provence. Cette année, à la cérémonie internationale prévue à la nécropole de Boulouris, ils seront seulement six : Paul Biya (Cameroun), Faure Gnassingbé (Togo), Faustin-Archange Touadéra (Centrafrique), Azali Assoumani (Comores), Brice Oligui Nguema (Gabon) et Aziz Akhannouch (chef du gouvernement marocain).
Des pays comme la Tunisie, la Côte d'Ivoire ou le Sénégal ont envoyé un ministre, d'autres comme le Tchad ou le Bénin leur ambassadeur. Parmi les pays récemment brouillés avec Paris, le Burkina Faso sera représenté par un chargé d'affaires, mais le Niger, le Mali ou l'Algérie n'ont envoyé personne.
Des représentants des alliés (Royaume-Uni, États-Unis, Canada) ainsi que l'ambassadeur d'Allemagne seront également présents. Mercredi, une statue de Robert Frederick, commandant américain des troupes parachutées dans la nuit du 14 au 15 août 1944, a été dévoilée à La Motte, premier village libéré, entre Fréjus et Draguignan. Après son discours, M. Macron remettra la Légion d'honneur à six anciens combattants, cinq Français et un étranger.
"Rattraper le temps perdu"
Le 15 août 1944, quelque 100.000 soldats, essentiellement américains, canadiens et britanniques, avaient débarqué sur les plages du Var, ouvrant la voie à plus de 250.000 Français de l'Armée "B", composée essentiellement de troupes venues des colonies françaises en Afrique, qui allaient reprendre Toulon puis Marseille en moins de deux semaines.
Ce succès avait contribué à la libération de l'Europe grâce au matériel acheminé via ces deux ports méditerranéens. Mais il avait aussi permis à la France, humiliée en 1940, de s'assoir à la table des vainqueurs grâce à l'engagement massif de ses forces en Provence alors qu'il n'était que symbolique en Normandie. Depuis une trentaine d'années, les autorités françaises ont à cœur de souligner l'apport des troupes coloniales au sein de ces forces.
Placée sous les ordres du général de Lattre de Tassigny, l'Armée "B", future "Première armée", comptait 84.000 Français d'Afrique du Nord, 12.000 soldats des Forces françaises libres (FFL) fidèles au général de Gaulle et 12.000 Corses, mais aussi 130.000 soldats dits "musulmans", d'Algérie et du Maroc, et 12.000 soldats de l'armée coloniale, comme des tirailleurs sénégalais, ou des marsouins du Pacifique et des Antilles.
Retrouvez notre série de vidéos sur les "Libérateurs d'Outre-mer" (Épisode 1 : La genèse, les préparatifs. Épisode 2 : L’engagement des troupes d'Outre-mer. Épisode 3 : Le combat des Ultramarins. Épisode 4 : Les soldats ultramarins engagés dans la libération).
"Officiers de l'Empire ou enfants du Sahara, natifs de la Casamance ou de Madagascar, (...) ils n'étaient pas de la même génération, ils n'étaient pas de la même confession, (...) ils étaient pourtant l'armée de la nation, armée la plus fervente et la plus bigarrée", a rappelé le chef de l'État français à la nécropole internationale de Boulouris-sur-Mer. "Ces hommes s'appelaient François, Boudjema, Harry, Pierre, Niakara", a insisté Emmanuel Macron, rappelant qu'"un grand nombre d'entre eux, spahis, goumiers, tirailleurs africains, antillais, marsouins du Pacifique, n'avaient jamais foulé le sol de la métropole" avant d'être envoyés participer à la libération de la France.
"La part d'Afrique en France est aussi ce legs qui nous oblige", a plaidé le président, insistant sur le fait que les noms de ces soldats devaient "continuer d'être donnés à nos rues, nos places, pour inscrire leurs traces impérissables dans notre histoire". "Lorsqu'il s'agit de défendre l'intérêt vital de la nation, tous ceux qui se reconnaissent comme Français ont vocation à être ensemble", a-t-il ajouté.
"Si la France a pu écrire sous son drapeau 'Liberté, égalité, fraternité', c'est en partie grâce aux tirailleurs sénégalais", a insisté mercredi auprès de l'AFP N'Dongo Dieng, tirailleur ayant participé aux guerres d'Indochine et du Cameroun. "La France nous avait oubliés, mais ils sont en train de rattraper le temps perdu", a ajouté de son côté Oumar Diémé, invité, comme son compatriote, parmi une délégation de cinq anciens tirailleurs à la nécropole de Boulouris, où reposent 464 soldats tués sous l'uniforme français en août 1944.
Après cette première séquence à Boulouris, les chefs d'État et de gouvernement auraient dû participer à un déjeuner à bord du porte-hélicoptères Dixmude, dans la rade de Toulon, d'où ils auraient ensuite pu observer une reconstitution du Débarquement sur les plages toulonnaises du Mourillon. Mais cette seconde partie, lors de laquelle devaient participer des navires amphibies, des véhicules d'époque, des avions de collection, voire des parachutistes, a donc été purement et simplement annulée.