Abolition de l'esclavage : une cérémonie du 10 Mai portée par la jeunesse

Commémoration de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitons au Jardin du Luxembourg le 10 mai 2022, à Paris.
Près de 400 élèves ont participé à la commémoration de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions mardi 10 mai dans le Jardin du Luxembourg, à Paris. Cette année, les femmes comme Joséphine Baker et la Mulâtresse Solitude étaient à l'honneur.

Le temps d'une chanson, la vie s'est figée cet après-midi dans le Jardin du Luxembourg, à Paris. En créole, la chanteuse réunionnaise Christine Salem a récité son Mersi pour entamer la cérémonie marquant la Journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leurs abolitions devant un parterre d'invités venant de toute la France. "Mersi, c'est un remerciement aux ancêtres de nous avoir laissé le maloya, cette musique qui vient des esclaves et qui était interdite à La Réunion", raconte la musicienne après sa prestation. 

Mardi 10 mai, dans le jardin jouxtant le Sénat, la Fondation pour la mémoire de l'esclavage a convié des centaines de personnes à se rappeler. Se rappeler qu'un temps, la France a exploité des êtres humains dans ses colonies. Se rappeler qu'un temps, la France a envoyé des esclaves aux Antilles, en Guyane et à La Réunion, et qu'elle les a utilisés, humiliés et déshumanisés. Mais aussi se rappeler qu'un temps (ou plutôt deux, en 1794 et en 1848), la France a rompu avec son passé esclavagiste et qu'elle a voulu faire briller les idéaux de la République - occultant parfois que Napoléon réinstaura l'esclavage en 1802.

Ce 10 mai, qui marque l'anniversaire de la loi Taubira de 2001 reconnaissant l'esclavage et la traite négrière comme des crimes contre l'humanité, les invités, parmi lesquels des parlementaires, des ambassadeurs, les ministres et le président Emmanuel Macron se sont rassemblés à Paris, protégés du soleil frappant par de grandes tentes blanches. Près de 400 jeunes, accompagnés de leurs professeurs, étaient conviés.

Les Petits Ecoliers Chantant de Bondy, une chorale venant de région parisienne, ont interprété la Marseillaise à la fin de la cérémonie, le 10 mai 2022.

Transmettre et valoriser l'histoire de l'esclavage

Les élèves se sont succédés au pupitre. Lauréats du prix de la Flamme de l'égalité, un concours sur l'esclavagisme auquel participe de nombreux établissements scolaires partout en France, les jeunes se sont emparés du micro. En face, Emmanuel Macron, entouré de Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage, et de Sébastien Lecornu, ministre (pour quelques jours encore) des Outre-mer.

Les premiers à se lancer racontent la vie de Joséphine Baker, la première femme noire à être entrée au Panthéon. Loin d'avoir été esclave, la danseuse afro-américaine devenue française de cœur représente l'émancipation, la liberté. Elle qui venait des États-Unis, ségrégationniste, a été adoptée par la République française. Tout un symbole.

Mais quatre élèves de l'école Immaculée Conception de Saint-Denis de La Réunion sont venus rappeler que l'histoire de Joséphine Baker n'a pas été l'histoire de tous les Noirs. Avec Shabouké - qui veut dire fouetter -, une composition originale, les jeunes réunionnais racontent, tantôt en français, tantôt en créole, le parcours, de la capture au marronnage, des esclaves. Devant les officiels, les quatre jeunes âgés de 12 et 13 ans arborent fièrement leur pin's Réunion. La chef de l'établissement, ravie de voir ses élèves représenter leur île lors de cette journée aussi symbolique, rappelle que "l'histoire est importante. Nous nous devons de la transmettre et de la valoriser".

Les quatre élèves originaires de La Réunion ont interprété leur chanson lors de la cérémonie du 10-Mai, à Paris. Ils sont venus accompagnés de leur maîtresse et de leur chef d'établissement.

"La jeunesse a besoin de connaître cette histoire"

Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage et ancien Premier ministre sous François Hollande, assume auprès d'Outre-mer La 1ère avoir voulu placer la jeunesse au cœur de cette 17ᵉ cérémonie de commémoration de l'abolition de l'esclavage.

Ces 400 jeunes avaient un message à nous adresser. Et ce n'est pas n'importe quel message. C'est un message qui parle au cœur, qui parle à tous ceux qui se battent pour la liberté, pour l'égalité et la fraternité.

Jean-Marc Ayrault, président de la Fondation pour la mémoire de l'esclavage

"La jeunesse a besoin de connaître cette histoire [de la France esclavagiste]. Elle veut la connaître", abonde l'ancien chef du gouvernement, qui voit dans le vote en faveur de Marine Le Pen chez de nombreux Ultramarins le "symptôme d'une histoire qui ne s'est pas refermée, des blessures qui ne se sont pas refermées".

Cet après-midi, la Fondation a aussi souhaité mettre à l'honneur une femme : la Mulâtresse Solitude. Une femme symbolisant la lutte des esclaves pour leur liberté. Et une manière de rappeler que la fin de la servitude n'est pas le seul fait des décideurs de la métropole. Des élèves d'un lycée du Sud de l'Hexagone ont lu quelques extraits du roman qu'a consacré André Schwarz-Bart à cette héroïne guadeloupéenne. Elle s'était rebellée contre la réinstauration de l'esclavage en 1802, avant d'être mise à mort après son accouchement. "Femme dobout c'est aussi un message qu'il ne faut pas oublier", lance Jean-Marc Ayrault. En fin de journée, une statue de la figure historique a été inaugurée dans le 17ᵉ arrondissement de la capitale.

Pas de discours officiel d'Emmanuel Macron

À la fin d'une cérémonie sobre et solennel, Emmanuel Macron et le président du Sénat Gérard Larcher ont déposé une gerbe près de la sculpture "Le cri, l'écrit" de Fabrice Hybert, représentant des chaînes d'esclaves, nichée au cœur du Jardin du Luxembourg depuis 2007. Une minute de silence débute alors. Nous rappelant au calme du maloya de la Réunionnaise Christine Salem.

Le président de la République Emmanuel Macron et le président du Sénat Gérard Larcher ont déposé une gerbe près de la sculpture "Le cri, l'écrit".


Dans la foulée, une quarantaine de jeunes, formant la chorale des Petits Écoliers Chantant de Bondy, ont entonné La Marseillaise. Parmi ces jeunes, Roseberthe et Cassandre, deux jeunes filles de 16 et 18 ans originaires de la Guyane. Elles sont arrivées dans l'Hexagone quand elles étaient petites et font partie du groupe de chant depuis neuf ans.

La Marseillaise, c'est l'hymne national qui nous rassemble. Elle prône l'égalité, la fraternité entre les peuples.

Roseberthe, élève de 1ère

Dans une belle harmonie, les voix aiguës des plus jeunes vibrent avec la voix plus grave des aînés. Face à eux, les deux présidents - celui de la République, récemment investi pour un second mandat, et celui du Sénat - écoutent solennellement. Avant de les remercier et de quitter le Jardin, après avoir fait un tour de tous les invités. Certains attendaient sa parole, d'autres ont préféré la sobriété d'Emmanuel Macron : comme l'année dernière, le chef de l'État est reparti sans faire de discours officiel.