Ministère des Outre-mer : quel bilan pour Sébastien Lecornu ?

Sébastien Lecornu devrait quitter le ministère des Outre-mer dans le gouvernement qui sera constitué par Élisabeth Borne, la nouvelle Première ministre. Des référendums en Nouvelle-Calédonie à la gifle électorale pour LREM lors de la présidentielle, en passant par la crise sanitaire et sociale qui a touché les Outre-mer, quel bilan de ces deux ans ?

Un résultat "qui oblige" et laisse place au bilan... voire aux doutes. Car, si Emmanuel Macron est de nouveau président de la République, sa réélection accompagnée d'un vote record pour l'extrême-droite met un voile sur le bilan de ces cinq dernières années. Un phénomène marqué dans les Outre-mer où Marine Le Pen est arrivée en tête et où beaucoup d'électeurs ne cachent pas leur colère contre le gouvernement

Parmi les alliés du président au sein de celui-ci, Sébastien Lecornu, actuel ministre des Outre-mer, qui a succédé à Annick Girardin en 2020 en pleine crise sanitaire. Avant ce poste, d'abord comme secrétaire d'État à la Transition écologique puis comme ministre chargé des collectivités territoriales, il avait effectué de très nombreuses visites dans les territoires ultramarins. 

Mais sa nomination ne fait pas l'unanimité : Sébastien Lecornu est Normand, né en région parisienne. Une rupture alors que depuis le quinquennat Hollande, tous les ministres à ce poste étaient issus des territoires d'Outre-mer.

Et une pression supplémentaire sur ses épaules alors qu'il hérite de dossiers brûlants comme le référendum en Nouvelle-Calédonie ou la loi de programmation pour Mayotte. Auxquels s'ajouteront, au-delà de la gestion de la pandémie, une violente crise sociale aux Antilles.

De la crise sanitaire... 

Lorsqu'il prend ses fonctions début juillet 2020, le Covid-19 a largement atteint les Outre-mer, à l'exception de Wallis-et-Futuna qui n'enregistrera son premier cas qu'en octobre. La Guyane et Mayotte sont particulièrement touchées à ce moment-là. Par la suite, la plupart des territoires connaîtront des tensions très fortes sur leurs systèmes de santé.

Au point, pour le gouvernement, de devoir envoyer des renforts depuis l'Hexagone et d'instaurer une série de mesures, comme la mise en place à plusieurs reprises par le ministère des Outre-mer de motifs impérieux pour voyager ou des évacuations sanitaires de malades. 

S'il s'était engagé à des déplacements "assez longs" au début de sa prise de fonction afin de "prendre du temps" avec chaque territoire, Sébastien Lecornu a finalement dû consacrer une grande partie de ses visites à la gestion de la crise sanitaire et de ses effets dans les territoires, tant sur l'économie que sur le lien avec l'Hexagone, fragilisé en partie par la multiplicité et la durée des mesures sanitaires.



2... à la crise sociale

Mais dans la foulée, la crise sanitaire s'est transformée en crise sociale, avec une grève générale illimitée lancée à l'automne aux Antilles. Une partie de la population, lassée par la succession des confinements, les couvre-feux sans fin, le ralentissement de l'activité économique, s'est embrasée face au pass sanitaire et à la vaccination. À commencer par les soignants et les pompiers, concernés par l'obligation vaccinale, qui ont été nombreux à refuser de s'y soumettre. 

Au point, fin 2021, de dégénérer en conflit social généralisé en Guadeloupe et en Martinique, alors qu'une quatrième vague meurtrière frappe les îles. La contestation a remis au jour des problématiques plus anciennes et profondément ancrées dans la société, élimant un peu plus une confiance déjà faible envers le gouvernement à cause d'autres scandales, tels que le chlordécone.

Après plusieurs semaines de manifestations et de blocages, émaillées de violences, Sébastien Lecornu avait accepté de déplacer une seconde fois la date de la mise en place de l'obligation vaccinale pour les soignants et les pompiers. Des cellules d'écoute ont été mises en place pour récréer un espace de dialogue. Puis, le ministre annonce qu'une "solution de substitution" sera proposée aux personnes hostiles aux vaccins à ARN messager.

Le ministre finira par se rendre aux Antilles fin novembre, trop tard selon certains à qui il répond qu'il fallait laisser la place aux élus locaux. Quelques jours avant, lors d'une longue allocution, il s'était dit "sans tabou" sur la question de l'autonomie en Guadeloupe. Une demande ancienne et récurrente de la part d'une partie des élus, mais presque jamais évoquée par les gouvernements successifs.  

À l'issue du second tour de l'élection présidentielle, Clément Beaune, secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, concédait sur Franceinfo des "incompréhensions, sans doute, entre Paris et les territoires d'Outre-mer".

3 Les référendums calédoniens

Alors que la situation revenait petit à petit au calme en Guadeloupe et en Martinique, un autre chapitre important s'ouvrait - ou s'apprêtait à se fermer - en Nouvelle-Calédonie. Le troisième et dernier référendum s'y est tenu le 12 décembre. Après deux victoires du Non, c'est de nouveau le choix de rester dans la France qui l'a emporté. Mais ce avec une très forte abstention, le scrutin étant largement boudé par les indépendantistes. 

Sans vraiment de consensus sur la date, quelques mois plus tard, en septembre, le Caillou est rattrapé par la pandémie. Six semaines de confinement strict sont instaurées, plus de 12 000 Calédoniens sont testés positifs et 280 décès liés au coronavirus sont enregistrés. Impossible pour certains que le référendum, ultime étape de l'Accord de Nouméa conclu en 1998, puisse se tenir dans ces conditions. Mais Sébastien Lecornu insiste : l'élection ne sera pas reportée. Les indépendantistes appellent alors à la "non-participation" des électeurs et ne s'impliquent pas dans la campagne, pour respecter le temps du deuil. 

Le résultat est donc sans surprise : 96,5% de votes pour le Non à l'indépendance. Un échec et même un risque de blocages à l'avenir, estiment certains commentateurs, mais une réussite pour le gouvernement français qui souhaitait voir rester la Nouvelle-Calédonie dans son giron.

"Ce n'est pas la fin de l'histoire", avait commenté Sébastien Lecornu au lendemain du vote, expliquant qu'il fallait se concentrer sur la période de transition, ouverte jusqu'en juin 2023. En mars, le Palika, l'une des principales composantes du FLNKS, a demandé la tenue d'un nouveau référendum d'ici à 2024, ne reconnaissant pas la validité du dernier.

Les relations entre l'État français et la Nouvelle-Calédonie avaient aussi été marquées fin 2020 par le conflit autour de la reprise de l'usine de nickel du Sud. Une crise qui s'était invitée dans les échanges sur l'avenir institutionnel du pays, les indépendantistes, partisans d'une "usine pays" ayant claqué la porte des négociations du groupe Leprédour. Mise à l'arrêt le 10 décembre 2020, l'usine du Sud avait commencé à reprendre une activité normale en mars 2021, après la signature d'un accord politique et financier.

La "loi Mayotte" rejetée 

C'était l'un des projets phares du gouvernement pour les Outre-mer, sur proposition des élus et représentants du territoire. Le "projet de loi pour un développement accéléré de Mayotte" a été présenté au cours de l'année 2021 par Sébastien Lecornu, à l'occasion du dixième anniversaire de la départementalisation de l'île.

Il prévoyait une modification du droit du sol pour lutter contre l'immigration clandestine, mais aussi la création d'une Assemblée de Mayotte, sur le modèle existant en Martinique et en Guyane, afin de développer les infrastructures du 101e département, notamment en termes de santé ou de transports.

Mais en janvier 2022, le gouvernement essuie un revers : la loi-programme est rejetée à l'unanimité par le conseil départemental de l'île, qui regrette notamment de ne pas y figurer de proposition sur la sécurité. De quoi susciter l'agacement du ministre des Outre-mer qui a souligné devant l'Assemblée nationale, début février, qu'il fallait "assumer" que ce "vote défavorable" avait "bloqué" ce projet "que tout le monde attendait"

Sébastien Lecornu a expliqué avoir demandé la mise en œuvre des "chantiers qui ne sont pas de nature législative et qui figurent dans les 85 mesures" transmises par le ministère. Mais nombre d'entre elles, comme la convergence des droits sociaux, resteront, à l'issue de ce premier mandat, à l'état de projet. 

Et maintenant ? 

Au bout de cinq ans, le bilan est mitigé. Un projet de loi Mayotte est présenté, mais il est rejeté par une partie des élus locaux. La Nouvelle-Calédonie est restée française, mais le dialogue avec les indépendantistes s'est compliqué. La crise sanitaire s'est apaisée, mais la confiance des Antillais s'est rompue et la colère couve toujours. 

Pourtant, la place de Sébastien Lecornu semble assurée auprès d'Emmanuel Macron. L'ouverture d'une enquête à son encontre pour prise illégale d'intérêts, la polémique après sa participation à un "apéro clandestin" durant le confinement en Nouvelle-Calédonie, ne l'ont pas empêché de prendre activement part à la campagne présidentielle. 

La démission imminente de Jean Castex et la formation d'un nouveau gouvernement devraient donner rapidement des réponses quant à son avenir.