"On pourrait toujours faire plus, je le reconnais." Dans un hémicycle de l'Assemblée nationale clairsemé, Philippe Vigier a défendu lundi 6 novembre son tout premier budget en tant que ministre délégué aux Outre-mer face à des députés ultramarins remontés et résignés.
Comme l'année dernière, lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) 2023, ils savaient que la plupart des amendements qu'ils adopteraient passeraient à la trappe dès que le gouvernement aura brandi le 49-3. Mais, coûte que coûte, ils ont défendu nombre d'amendements jusque tard dans la soirée.
"Monsieur le ministre, nos amendements [sont] l'application Waze dont vous avez besoin pour mener à bon port ce budget (...), a interpellé le Réunionnais Frédéric Maillot (GDR). N'ayez pas peur (...), débrayez, ralentissez et regardez dans les angles morts ce que vous avez oublié."
D'entrée, le ministre a souligné la hausse des crédits alloués aux Outre-mer pour l'année prochaine. Le gouvernement prévoit 2,90 milliards d'euros d'autorisations d'engagements (une hausse de 6,8 % sur un an) et 2,66 milliards d'euros de crédits de paiement (contre 2,54 milliards en 2023, soit +4,5 %). "Je ne peux m'opposer à la réalité des crédits supplémentaires", a souligné l'élu martiniquais Jiovanny William. "Mais je ne suis pas dupe", a-t-il ajouté. L'ampleur des dépenses reste insuffisante face aux vastes chantiers des Outre-mer, jugent la plupart des députés d'Outre-mer : pouvoir d'achat, logement, accès à l'eau, risques naturels, santé, sécurité...
2,1 milliards d'euros supplémentaires
"La hausse des crédits de paiement et des autorisations d'engagement reste toute relative en comparaison de l'inflation – près de 5 % cette année", a fait remarquer Christian Baptiste (Parti socialiste, Guadeloupe). "Les nombreux chiffres présents dans cette mission, quelque soit le nombre de zéros accolés à droite, ne se matérialisent pas dans la vie quotidienne de nos peuples respectifs", a quant à lui exprimé son collègue polynésien Tematai Le Gayic. Les deux ont été nommés rapporteurs spéciaux de la commission des finances pour la mission Outre-mer.
En se rendant au Palais Bourbon lundi après-midi, les députés savaient pertinemment que l'exercice parlementaire serait vain, Elisabeth Borne prévoyant d'utiliser le 49-3 pour faire passer le budget 2024 sans vote, comme elle l'a fait au mois d'octobre pour la première partie du PLF dédié aux recettes.
Mais le combat pouvait s'avérer payant et permettre malgré tout aux élus de décrocher quelques crédits à gauche à droite, comme l'année dernière. À l'époque, les Ultramarins, soutenus par leurs collègues de la Nupes, du groupe LIOT et du Rassemblement national, avaient ajouté plus de 200 millions d'euros supplémentaires au budget initial. Après le 49-3 de la Première ministre, quelques 50 millions d'euros avaient été maintenus par l'exécutif.
Cette année, les députés sont allés encore plus loin : ils ont voté pas loin de 2,1 milliards d'euros de crédits supplémentaires, soit un doublement du budget du ministère des Outre-mer. Certains amendements adoptés sont restés relativement modestes, sûrement dans l'espoir d'être conservés par le gouvernement (+300.000 € pour les étudiants non-boursiers, +100.000 € pour aider les nouveaux enseignants à s'installer dans les Outre-mer, + 1 million € pour le logement à La Réunion...).
Mobilisation pour la continuité territoriale
Mais d'autres amendements ont fait exploser les compteurs, contre l'avis du gouvernement. À l'initiative du Guadeloupéen Olivier Serva (LIOT), l'Assemblée nationale a ainsi voté 32 millions d'euros de crédits supplémentaires pour que l'État prenne en charge les factures d'eau en Guadeloupe, comme il le fait à Mayotte. Elle a aussi prévu 86 millions d'euros pour aider les entreprises ultramarines endettées, ou encore 500 millions d'euros pour la rénovation des canalisations Outre-mer.
Accès à l'eau, logement, autonomie énergétique, aide alimentaire... Les députés de l'opposition, mais aussi certains élus du MoDem, ont décroché des nouveaux fonds de toutes parts. Mais c'est surtout la continuité territoriale qui a le plus mobilisé les élus d'Outre-mer. À cet effet, ils ont voté 500 millions d'euros pour élargir le dispositif et lui faire atteindre les mêmes niveaux de financement que la Corse, qui en bénéficie également.
Opposé à la plupart des modifications présentées par les élus, l'exécutif a quand même consenti à certaines évolutions, même si elles sont très modestes. Ainsi, le gouvernement a présenté deux amendements à hauteur de 1 million d'euros chacun portant sur la politique de sécurité routière en Outre-mer et sur la prise en charge des Ultramarins atteints de cancer. Ces amendements devraient être conservés dans le projet de loi de finances final.
Le pouvoir a également accepté d'augmenter le fonds d'investissement exceptionnel pour les Outre-mer (+40 millions d'euros d'autorisations d'engagement et +8 millions d'euros de crédits de paiement) pour financer notamment les réseaux d'eau, le traitement des déchets, les travaux dans les écoles ou encore la lutte contre les sargasses.
"J'espère que, dans le 49-3, sera conservé plus que 5 % des amendements qui ont été adoptés ce soir", a demandé le président de la commission des finances de l'Assemblée Éric Coquerel (LFI), faisant référence au peu d'amendements gardés l'année dernière lors de l'étude du PLF 2023.
À la fin des débats au Palais Bourbon, Philippe Vigier, qui ne s'est pas caché de l'utilisation prochaine du 49-3 sur le PLF 2024, a promis aux députés ultramarins de continuer à travailler avec eux pour s'attaquer aux nombreux problèmes que rencontrent les Français d'Outre-mer. Il leur a donné rendez-vous les 23 et 24 novembre pour une première réunion de suivi des 72 mesures du Comité interministériel aux Outre-mer, annoncées par le gouvernement au mois de juillet.