C'est "un choc". En apprenant le projet du gouvernement d'augmenter la taxe de solidarité sur les billets d'avion (TSBA) en fin de semaine dernière, Benjamin Smith, le PDG d'Air France-KLM, s'est étranglé. "Si ce projet de taxation était mis en œuvre, il aurait un impact significatif sur la compétitivité de nos compagnies, Air France, KLM et Transavia", a-t-il mis en garde. Et ce n'est pas le seul.
Comme lui, de nombreux professionnels du secteur de l'aérien français font entendre leur désarroi face à cette nouvelle taxation qui devrait être inscrite dans le projet de loi de finances (PLF) de l'année prochaine pour redresser les comptes publics et inciter la population à utiliser des modes de transport plus écologiques.
Lundi 14 octobre, la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (FNAM) et l'Union des aéroports français (UAF), deux organisations professionnelles qui représentent les compagnies aériennes et les sociétés gestionnaires des aéroports, ont donc tenu une conférence de presse pour alerter sur le risque que ferait courir cette nouvelle taxe sur le secteur en général, et sur les liaisons aériennes avec les Outre-mer en particulier.
La hausse de la TSBA, qui devrait être de 850 millions d'euros, "pourrait avoir des conséquences extrêmement négatives sur les prix des billets à destination des liaisons ultramarines", s'inquiète Pascal de Izaguirre, président de la FNAM et PDG de Corsair, compagnie française qui dessert entre autres les Antilles, La Réunion et Mayotte.
Si cette augmentation n'est pas encore officiellement intégrée dans le budget 2025 présenté par les ministres de l'Économie et du Budget jeudi dernier, elle doit prochainement être introduite lors de l'étude du PLF au Parlement via un amendement du gouvernement. "C'est une très mauvaise nouvelle", s'accordent à dire les représentants de la FNAM et de l'UAF.
Un contexte socio-économique explosif
Les critiques des professionnels du transport aérien ne sont néanmoins qu'un moyen de tirer la sonnette d'alarme avant toute décision officielle du gouvernement. Car les contours précis de cette surtaxation sont encore en cours de discussion au sein de l'exécutif.
"Nous n'avons pas d'idée précise sur les modalités d'application, indique Pascal de Izaguirre. Ça peut varier en fonction de la catégorie de clientèle (classe business, première classe ou classe économique) et puis de la durée du vol (vols domestiques, moyen-courrier et long-courrier). Nous ne connaissons pas le barème qui serait appliqué."
Reste que, selon le dirigeant de Corsair, "ça ne pourra qu'être défavorable, puisque 850 millions d'euros, ça veut dire un triplement de la taxe de solidarité sur les billets d'avion".
Si tout le secteur est concerné, les représentants des compagnies aériennes et des aéroports français s'inquiètent particulièrement de l'impact d'une hausse des prix des billets d'avion sur la continuité territoriale entre les Outre-mer et l'Hexagone. D'autant que, localement, le contexte est explosif, avec des tensions économiques et sociales dans plusieurs territoires.
"C'est jamais le bon moment pour une taxation. Mais là, je crois que ce serait véritablement une situation provocante. Je pense qu'il faut au contraire permettre au transport aérien de bien relier l'Outre-mer et de montrer que le lien entre la métropole et l'Outre-mer, c'est quelque chose d'essentiel", estime pour sa part Thomas Juin, président de l'UAF.
Impact sur le tourisme
Les professionnels ne se font pas d'illusions : la hausse de la taxe serait automatiquement répercutée sur les consommateurs, les marges des compagnies étant déjà très faibles, selon eux. "Toutes les compagnies aériennes françaises sont convalescentes à la sortie du Covid. On commence à se rétablir. (...) Tout ceci ne va faire que les fragiliser et les rendre encore plus vulnérables", dit Pascal de Izaguirre.
Sans compter que les avions doivent en parallèle accélérer leur transition énergétique et utiliser davantage de carburant durable pour répondre aux défis environnementaux. Sauf que ce type de carburant est "quatre à huit fois plus cher que le kérosène que nous utilisons", se désole le président de la FNAM.
Dès l'année prochaine, les billets d'avion devraient donc être plus chers pour une population qui connaît déjà de fortes difficultés économiques. Et Thomas Juin, qui représente les aéroports, souligne une autre conséquence que pourrait entraîner cette surtaxation des billets d'avion : la baisse structurelle de la fréquentation touristique dans les territoires ultramarins.
Selon une étude commandée par l'UAF, la demande pour se rendre dans les Outre-mer pourrait baisser de 14 % d'ici à 2031, avec une hausse du prix du billet d'avion de 20 %. En Guadeloupe, cela pourrait représenter 61 millions d'euros de manque à gagner dans le secteur du tourisme. Cette étude prend en compte les nouvelles normes décidées à l'échelle européenne sur le transport aérien. En revanche, elle n'intègre pas la surtaxation française des billets d'avion envisagée par le gouvernement.
Une exemption pour les destinations ultramarines ?
Déjà, les élus ultramarins sont montés au créneau pour dénoncer ce projet de surtaxation, à l'instar du député de la Guadeloupe Christian Baptiste (Parti socialiste), rapporteur de la mission Outre-mer du budget 2025. "Cette mesure est non seulement injuste, mais totalement déconnectée", a-t-il lancé aux ministres de l'Économie, Antoine Armand, et du Budget, Laurent Saint-Martin, lors de leur audition à l'Assemblée nationale, vendredi. "Le barème n'est pas figé, il est en cours de discussion", lui a répondu Laurent Saint-Martin.
"Les prix ne vont pas cesser d'augmenter", présage Pascal de Izaguirre. La région Réunion a demandé à exempter les territoires d'Outre-mer de cette hausse de taxation sur les billets d'avion, comme ce fut le cas pour une précédente taxe aérienne censée financer le développement du transport ferroviaire en 2023. Le gouvernement sera appelé à trancher la question dans les prochains jours alors que l'examen du projet de loi de finances a commencé à l'Assemblée nationale.
"Je ne peux pas vous dire qu'il n'y aura pas une contribution, même minime, de chacun dans cette nouvelle taxation et dans ce nouveau barème. Cela ne veut pas dire que nous ne prenons pas en compte ce que vous dites, et que nous n'allégeons pas l'effort pour celles et ceux qui sont directement concernés", a voulu rassurer le ministre de l'Économie Laurent Saint-Martin devant les députés.