Linia Opoya vit à Taluen, un village amérindien sur les bords du fleuve Haut-Maroni en Guyane. Il y a quelques jours, elle a reçu les résultats de prélèvements effectués en février dernier sur les cheveux de sa mère et de son mari. Ceux-ci montrent des taux de mercure anormalement élevés dans leur corps. "Ma mère est à 22,5 µg/g de cheveux et mon mari 15 µg/g. Quand j'ai eu le message, je me suis dit 'waw'. Je suis allée voir ma mère tout de suite pour lui expliquer que c'était pour ça qu'elle était malade.", raconte Linia, encore affolée. Les résultats sont plus qu'alarmants, car le seuil maximal fixé par les autorités sanitaires est de 4,4 µg/g de cheveux pour les adultes. Presque toute la population testée de Taluen et de Kayodé, le village voisin, dépasse largement ces taux.
Scandale sanitaire
Pour qualifier cette situation, Marine Calmet, présidente de l'association Wild Légal, à l'origine du dépistage, n'hésite pas à parler de "scandale sanitaire". "Les résultats montrent des taux dix fois plus élevés que les recommandations de l'agence française de sécurité sanitaire et environnementale, poursuit-elle. C'est très inquiétant d'un point de vue de la santé humaine et des taux qui sont globalement très élevés d'une année sur l'autre". Une étude de dépistage similaire avait été réalisée en 2023, mais les résultats d'alors ne dépassaient pas les 13 µg/g de cheveux." Cette année, ce sont vraiment des résultats catastrophiques, conclut Marine Calmet. J'ai été extrêmement choquée en les découvrant."
De fait, des taux aussi élevés peuvent entrainer de nombreux problèmes de santé. Problèmes dont souffre déjà depuis plusieurs années la mère de Linia Opoya. "Elle tombe, elle fait des malaises. Elle est très maigre et très malade maintenant.", se désole la jeune femme qui est devenue l'une des figures de la lutte contre l'orpaillage illégal. L'une des principales sources de contaminations de la population est le fleuve Haut-Maroni qui passe tout près du village. Fleuve dans lequel les habitants pêchent et dont ils ont même eu l'habitude de boire l'eau lorsque les réseaux sont en panne.
Le Haut-Maroni est contaminé au mercure depuis des décennies à cause de l'orpaillage illégal. Cet élément chimique permet en effet aux garimpeiros, les chercheurs d'or clandestins, de séparer les pépites d'or de la boue, contaminant le fleuve après leur passage. L'aimara, l'un des poissons les plus prolifiques dans le Haut-Maroni, constitue un aliment de base pour les habitants de Taluen. "Moi, je ne me sentais pas bien, donc je n'en mange plus depuis septembre, déclare Linia Opoya. Je n'ai plus de douleurs, je me sens mieux. Avant, mes mains gonflaient, c'est le mercure qui me donne ça et maintenant tout est stoppé, parce que j'ai vraiment arrêté l'aimara." Pourtant, les résultats de Linia Opoya dépassent toujours des taux dangereux pour la santé avec plus de 5 µg/g de cheveux.
Responsabilité de l'État
Ce dépistage sur les habitants du Haut-Maroni n'est pas le premier. En 1994 déjà, une étude alertait déjà sur la contamination au mercure des populations amérindiennes guyanaises. Le problème pour Marine Calmet, c'est le manque de suivi depuis 30 ans. "On n'a pas mené cette enquête de manière régulière pour suivre la contamination mercurielle sur le Haut-Maroni. C'est extrêmement choquant d'un point de vue de la responsabilité de l'État d'assurer la santé des populations. D'autant plus quand on sait qu'il y a une crise environnementale, l'État aurait dû, de manière constante et efficace, tester régulièrement les populations." Par manque d'action de l'État ce sont donc les fonds privés des associations qui permettent de réaliser les campagnes de dépistage. Les derniers résultats sont par exemple le fruit de prélèvements réalisés en février 2024 directement sur une soixantaine d'habitants. Les prélèvements ont ensuite été envoyés dans un laboratoire indépendant spécialisé dans l'analyse du mercure au Japon.
On est face à un échec de l'État.
Marine Calmet, présidente de Wild Légal
Wild Légal, cinq autres associations et des habitants des villages concernés, dont Linia Opoya, ont déposé un recours devant la justice en janvier pour "carence fautive" de l'Etat dans la lutte contre l'orpaillage illégal. "Les résultats vont nous permettre de justifier que l'État connaissait la situation, mais n'a pas agi en conséquence, explique la présidente de Wild Légal. Ils montrent que cette situation dure depuis très longtemps et que l'État n'y a pas fait face. Donc, de cette manière-là, on va démontrer la violation des droits humains, du droit à la santé et du droit à un environnement sain." Les associations d'habitants et de protection des populations réclament la mise en place de mesures concrètes pour lutter contre l'orpaillage illégal, mais aussi pour venir en aide à la population contaminée. À Taluen, les habitants et les autorités coutumières ont par exemple demandé la construction d'une pisciculture pour produire et consommer des poissons sains, et non contaminés au mercure.