Dans le froid parisien, Marie-Rose Séverin sort de l'Élysée, l'air léger et satisfait. La productrice d'huiles essentielles à La Réunion a pu offrir un échantillon de son produit à Emmanuel Macron. Même repartie du palais présidentiel, la Réunionnaise, qui tient un stand au Salon de l'agriculture de Paris, récite sans relâche : "On peut faire de beaux parfums avec notre géranium !"
Mercredi, elle et 400 autres personnes étaient invitées par le président de la République, à l'heure du déjeuner. Si le chef de l'État a déambulé pendant 13 heures dans les allées du plus célèbre salon agricole français lors de son inauguration samedi, il n'a pas fait de saut au pavillon des Outre-mer. Mais, pour se rattraper, il a pris l'habitude ces dernières années de convier les agriculteurs, producteurs, représentants des chambres d'agriculture et élus d'Outre-mer à l'Élysée, à l'occasion d'un grand banquet.
"Notre agriculture ultramarine est en quelque sorte un continent en soi, a lancé Emmanuel Macron, au début de son discours. Et si nous voulons défendre la force de la souveraineté alimentaire française, elle passe aussi par cette ferme des Outre-mer."
Mieux couvrir les risques climatiques
Mais l'agriculture ultramarine est en crise, rappelait la Cour des comptes, en 2023. Concurrence des pays voisins, dépendance alimentaire, dérèglement climatique, effritement de la main d'œuvre agricole...
Le locataire de l'Élysée se savait donc particulièrement attendu par les professionnels ultramarins, alors que les agriculteurs de l'Hexagone ont obtenu de nombreux gains de cause en manifestant en début d'année. Les mesures annoncées par le gouvernement, et notamment la simplification des normes, s'appliquent aux Outre-mer. Mais les principaux concernés rappellent que chaque territoire a ses spécificités, et ses propres problématiques.
À commencer par l'exposition aux aléas climatiques. Ces derniers mois, plusieurs territoires d'Outre-mer ont été frappés par des intempéries ou la sécheresse, mettant à mal l'ensemble de leur filière agricole. "À Mayotte, on a deux saisons : la saison des pluies et la saison sèche. La saison des pluies, c'est là où on lance les cultures. Mais, aujourd'hui, avec le dérèglement climatique, il n'y a plus de saison", s'inquiétait Saïd Anthoumani, le président de la chambre de l'agriculture, de la pêche et de l'aquaculture de Mayotte, rencontré en début de semaine au Salon de l'agriculture.
À La Réunion, le passage du cyclone Belal en début d'années a causé plusieurs millions d'euros de dégâts, notamment agricole. Le président a donc promis d'accélérer les indemnisations liées aux catastrophes naturelles. "Avant, lors du passage d'un cyclone, les délais étaient longs, ça mettait un an. Aujourd'hui, il nous a promis que, d'ici le mois de juin, les premières indemnisations seront versées", a indiqué un représentant de la chambre d'agriculture de La Réunion en sortant de la rencontre avec Emmanuel Macron.
Plus largement, le président souhaite "mieux couvrir les risques" en Outre-mer. Mercredi matin, en Conseil des ministres, le gouvernement a présenté une ordonnance ouvrant et adaptant le dispositif d'assurance-récolte dans les départements et régions ultramarines.
Objectif : souveraineté alimentaire
Boris Damase a quitté son exploitation en Guadeloupe pour venir une semaine au Salon de l'agriculture. Producteur de volaille bio, ce jeune agriculteur est administrateur du syndicat Jeunes agriculteurs sur son île. Mercredi, à l'Élysée, il voulait entendre le président sur l'avenir des nouvelles générations dans ce secteur en perte de bras. "On a une multitude de jeunes qui sont investis et qui veulent développer leur territoire", assure-t-il.
Emmanuel Macron a annoncé vouloir travailler sur l'attractivité du secteur agricole, et promet que des dispositions spécifiques à ce sujet et aux Outre-mer seront présentes dans le projet de loi que doit présenter le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau le 20 mars prochain.
Le renouvellement générationnel concerne aussi bien les Antilles, La Réunion que la Nouvelle-Calédonie. Là-bas, dans le territoire du Pacifique, "les agriculteurs ont 58 ans de moyenne d'âge", rappelle Caroline Faivre, apicultrice et élue à la chambre de la pêche et de l'agriculture de Nouvelle-Calédonie. Elle est donc ravie que le chef de l'État a confirmé la construction d'un nouveau lycée agricole à La Foa, dans la Province Sud.
Mais l'avenir du secteur agricole en Outre-mer passe surtout par la souveraineté alimentaire, a longuement détaillé Emmanuel Macron, devant ses invités. "On ne peut pas continuer à avoir des territoires qui ont des filières très subventionnées par la France et l'Europe, qui vivent sur une ou deux filières, et qui continuent à importer 60-70 % de leur alimentation."
L'État s'engage donc à continuer de financer les plans d'autonomie alimentaire signés l'année dernière dans plusieurs territoires ultramarins, rappelant être passé de 45 millions d'euros dans le budget 2023 à 60 millions d'euros dans celui de 2024 dédiés à cet objectif précis.
Lors des annonces du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) en juillet 2023, le gouvernement avait réaffirmé son objectif prioritaire de lutter contre les monopoles en Outre-mer, en partie coupable de la cherté de la vie dans les territoires ultramarins. "Ne soyons plus dépendants de monocultures sur un territoire, ne soyons plus dépendants de systèmes trop oligopolistiques, voire monopolistiques, pour la production et la distribution", a proféré le président en fin de discours, appelant à avoir le courage "de bousculer les intérêts acquis".
Son allocution a bien résonné aux oreilles de Pierre-Michel Jean-Baptiste, gérant d'une société de confiserie traditionnelle en Martinique. Alors que les Antilles sont principalement tournées vers la culture de la banane et de la canne à sucre, il doit trop souvent importer des fruits pour produire ses bonbons. Il profiterait largement d'une agriculture plus diversifiée sur son île.
"Il faut qu'on trouve des solutions"
Reste un domaine qu'Emmanuel Macron n'a pas évoqué : l'inadaptation des normes françaises et européennes dans les Outre-mer. Patrick Labranche, éleveur et président d'Intervig (Interprofession élevage et viandes de Guyane), ne les remet pas en cause. Mais il souligne qu'elles peuvent être à l'origine d'une concurrence déloyale. "Les normes nous sont imposées, à nous Français. Mais les autres, qui viennent sur notre marché de manière légale ou illégale, ne les respectent pas", dit le Guyanais. Résultat : les acheteurs ont accès à des produits moins chers, de moins bonne qualité, et fabriqués parfois avec des produits censés être interdits. Les agriculteurs ne peuvent pas rivaliser.
Les DOM [départements d'Outre-mer], nous sommes à 8.000 km. Tout ce qu'on veut faire pour produire vient de l'Hexagone. Donc forcément, on a des coûts. Avec la guerre en Ukraine, le Covid... les coûts ont augmenté de manière exponentielle ! À un moment donné, il faut qu'on trouve des solutions.
Patrick Labranche, éleveur et président d'Intervig
Après avoir attentivement écouté Emmanuel Macron parler d'agriculture en Outre-mer et tenté d'échanger quelques mots avec le président de la République, les acteurs du monde agricole ultramarins ont petit à petit quitté l'Élysée. Beaucoup devaient retourner au Salon de l'agriculture, où la ministre déléguée chargée des Outre-mer avait prévu de faire un tour dans l'après-midi.
Cette rencontre au sommet de l'État a permis aux Ultramarins de faire valoir leur voix singulière. "Le président a énoncé ses perspectives et ses volontés sur les territoires. Maintenant, on va voir comment ça se retranscrit dans la réalité", indique Patrick Labranche. Il aura probablement l'occasion de recroiser rapidement le chef de l'État, qui a prévu de se rendre en Guyane à la fin du mois de mars.