"It's time to say goodbye". ("C'est le moment de dire au revoir"). Sur la petite place aux pavés beiges de Saint-Germain des Prés, entourés par les cafés littéraires les plus connus de Paris - Les Deux Magots et le Café Flore -, des centaines de personnes se sont rassemblées ce vendredi 12, pour adresser un dernier au revoir à Maryse Condé.
Devant l'église, les proches de l'écrivaine guadeloupéenne se cherchent, s'enlacent, se soutiennent. Des bouquets et des gerbes de fleurs passent au-dessus des têtes pour fleurir son cercueil. Les anonymes sont plus en retrait. Ils n'osent pas approcher, de peur de déranger. Pour autant, manquer cet évènement serait impensable.
Une femme admirée
De l'autre côté de la route, Françoise observe silencieusement la scène. La Martiniquaise est seulement venue dire un mot : "merci". "Pour l'écrivain, pour la femme, pour la mère qu'elle était", Françoise a tenu à être présente, sans même savoir si elle pourrait assister à la cérémonie funéraire.
Assises sur un banc, "à l'abri des caméras", Chrislène et Juliette papotent joyeusement. La première est originaire du Bénin, la deuxième de Martinique. Pour ces deux femmes, Maryse Condé est un modèle. "J'ai beaucoup d'admiration pour cette femme, et la sensibilité de sa plume, clame Juliette. C'est une femme, une femme noire qui s'est assumée."
Une mère aimante
Venue par "solidarité féminine", Chrislène connaît moins l'œuvre de Maryse Condé que sa voisine, mais prévoit de s'y plonger. "Je suis très admirative de la femme résiliente, inspirante et battante qu'elle a été, confie Chrislène. Mais maintenant, j'ai l'envie et j'ai hâte de découvrir son œuvre."
"Maryse Condé, l'écrivain est restée. Mais Maryse Condé, la mère, est partie."Sur l'autel, face à une église bondée, les trois filles de Maryse Condé prennent la parole tour à tour pour raconter leur Maryse. Pas seulement l'écrivain, mais la femme. "Cette mère, grand-mère et arrière-grand-mère aimante" qui ne sera plus assise dans son fauteuil à Gordes, "en face de la porte". Cette femme, qui juste en prêtant à sa fille son "pull violet", lui partageait une "force immense".
Des discours émouvants
Cette cuisinière hors pair, qui continuait de préparer des plats malgré sa cécité. " Je ne sais pas si je suis une grande écrivaine, mais je sais que je suis une grande cuisinière", aimait à dire la Guadeloupéenne, comme le rappelle l'évêque de Guyane, Monseigneur Ransay, pendant la cérémonie.
Dans un discours émouvant, le mari de Maryse Condé, Richard Philcox lui adresse ses derniers mots : " It's time to say goodbye" (" c'est le moment de dire au revoir"). En anglais, Richard Philcox transpose le poème de W. H Auden "Funeral Blues". " She was my North, my South, my East and West (...) I tought that love would last for ever : I was wrong. " (" Elle était mon Nord, mon Sud, mon Est et mon Ouest (...) Je pensais que l'amour durerait pour toujours, j'avais tort.")
Un morceau chanté par Laurent Voulzy
Après une homélie centrée sur le thème de l'amour, l'évêque de Guyane, spécialement dépêché pour l'occasion, lance la prière finale : "Chère Maryse, nous te disons adieu, jusqu'au jour bienheureux où nous te reverrons." Les premières notes de l' Ave Maria résonnent et les têtes se tournent vers l'orgue, où la voix d'un religieux entonne cette mélodie cristalline.
Un dernier hommage retient les admirateurs sur leurs bancs. Ultime requête de la Guadeloupéenne, Laurent Voulzy clôture la cérémonie. Le chanteur ne s'embarrasse de discours, la musique en dit beaucoup plus. Il monte sur l'autel, branche sa guitare et entame sa chanson "Belle-Ile-en-Mer - Marie-Galante". Comme une invitation à un dernier voyage, Laurent Voulzy chante avec douceur et lenteur cette hymne d'amour aux îles, qui résonne sous les voûtes de l'église.
Rendre hommage
" Ça me touche beaucoup qu'elle m'ait demandé de chanter cette chanson. C'était une de ses volontés que je vienne chanter pour la messe. Je ne pouvais pas refuser, c'est une personne tout à fait exceptionnelle, une grande dame."
Laurent Voulzy
À la sortie de l'église, les personnalités et les anonymes se mélangent. Les souvenirs s'échangent et les émotions se partagent. "C’était une très belle cérémonie, il y avait une émotion palpable, détaille George Pau-Langevin, ancienne ministre des Outre-mer. Je pense que véritablement, il était important que nous puissions lui rendre hommage à la hauteur de son talent."
"Une Guadeloupéenne indépendantiste"
Pour la réalisatrice martiniquaise Euzhan Palcy, cet hommage ne devrait pas seulement être réservé aux défunts."Quand j’ai vu cette église bondée, ça m’a fait chaud au cœur. Mais ce n’est pas quand ils meurent qu’il faut penser à eux. Il faut célébrer les gens de leur vivant. Les artistes ou les gens qu’on aime."
Avant le départ du corbillard vers le cimetière du Père Lachaise, le mari de Maryse Condé s'avance vers le cercueil. Dans ses mains tremblantes, le drapeau indépendantiste de la Guadeloupe. Il le pose délicatement sur le cercueil et murmure à l'assemblée : " J’ai fait ça pour elle, pour qu’elle pense à la Guadeloupe. " Sa dernière volonté est accomplie, car comme l'avait déclaré Maryse Condé : "Je mourrai guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne indépendantiste."