Un regard langoureux. Une démarche sensuelle. Norma Bell s'avance avec aplomb. Ses chaussures bleues à talon scintillent. Sa robe aux couleurs du drapeau réunionnais resplendit. Sa coupe afro se balance au rythme de ses pas. "Oté ! Volcan sa pété !", crie-t-elle soudainement. La Réunionnaise fait une entrée explosive dans la saison 3 de Drag Race France.
Depuis le 31 mai, les téléspectateurs peuvent l'admirer dans l'émission diffusée tous les vendredis sur France 2 et la plateforme France.tv. Cette saison, et pour la toute première fois, le divertissement compte une artiste originaire de l'île de La Réunion parmi ses candidates. En 2022, la Martiniquaise Soa de Muse, première Ultramarine du show, était parvenue à se hisser jusqu'en finale de la première saison.
L'objectif pour les participantes à ce concours ? Affronter les autres queens lors de défilés de mode, de chorégraphies et de lip syncs légendaires (performances en playback en synchronisant les lèvres) pour tenter de décrocher le titre de reine des drags françaises.
Une communauté LGBT invisible
Norma Bell (Nicolas Boinette à l'état civil) est née à Saint-Denis, dans le nord de La Réunion. À 20 ans, il décide de quitter son île pour s'envoler vers la capitale. "J'avais besoin de découvrir de nouveaux horizons et voir ce que Paris pouvait m'apporter", raconte-t-il à Outre-mer la 1ère.
Dans la ville Lumières, Nicolas, passionné de maquillage et grand habitué des défilés (il a fini premier dauphin de Mister Réunion en 2018), découvre le drag. "Non pas qu'il n'y en avait pas à La Réunion. Mais ce n'était pas forcément perçu comme ça. C'est en arrivant sur Paris que cet art-là m'a réellement touché."
Sur son île, la communauté LGBT reste largement invisible et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres se retrouvent souvent marginalisées. Même si, de plus en plus, une scène queer réunionnaise émerge. Pourtant, il a fallu attendre 2021 pour que le département accueille sa première Gay Pride. À Paris, la première marche des fiertés a eu lieu en... 1981.
À La Réunion, c'est assez étonnant parce qu'on a un certain vivre-ensemble qui est naturel, une tolérance qui est assez naturelle. Mais, pour autant, la communauté LGBT, la communauté queer n'était pas aussi ouverte et représentée que maintenant.
Norma Bell, drag queen réunionnaise
"Je côtoyais déjà le milieu de la scène, et donc des personnes queers, des personnes qui faisaient un art performatif, qui est de l'ordre du drag, raconte Nicolas. Mais c'est vrai qu'on n'appelait pas forcément ça des drags queens, et elles n'étaient pas nombreuses." À Paris, le jeune Dionysien découvre alors un autre monde, plus libre, plus queer. Il décide de se lancer : Norma Bell est née.
Beauty queen
"Norma, c'est l'extension de moi-même. Le drag m'a permis de pratiquer différentes passions, et différents arts en un seul. C'est plutôt une forme d'expression pour Nicolas", indique le jeune homme de 25 ans. Dès qu'il retire sa perruque, défait ses boucles d'oreilles et enlève son maquillage, il retrouve tout de suite un air un peu plus timide et moins extravagant.
"Pourquoi 'Norma' ? C'était pour jouer avec les codes, les normes, aller sur quelque chose d'un coup très féminin et partir ensuite sur une performance un peu plus musclée, jouer avec le côté très sensuel, mais avec une voix hyper grave", explique la Réunionnaise. "Bell", c'est pour le jeu de mot entre la beauté et la cloche (en anglais) : "J'ai envie de faire résonner cet art et mes influences de La Réunion à travers la France et le monde entier."
Dans Drag Race France, Norma Bell est une beauty queen (reine de beauté), une danseuse, une chanteuse... Une drag queen complète, en somme. Et pour faire la différence, elle dégaine aisément la carte "Rényon" pour éblouir le jury, composé de Nicky Doll, de l'animatrice Daphné Bürki et du DJ Kiddy Smile. Et ça marche. "Pour moi Norma, sur scène, il y a eu plusieurs hic : hypnotique, magnétique, iconique", lui a lâché Nicky Doll lors du premier épisode, qu'elle a brillamment remporté.
Dans un des défilés, Nicolas, alias Norma, est apparu tel le Piton de la Fournaise, majestueux et prêt à entrer en éruption. "J'ai voulu créer une tenue inspirée d'une coupe Christian Dior, avec cette robe un peu cloche, très sculpturale. Pour la créer, j'ai utilisé des techniques de cosplay [qui consiste à se déguiser, jouer le rôle d'un personnage issu des mangas, de la science-fiction et des jeux vidéo]." Malheureusement, alors que de la lave devait surgir de sa création, un problème de branchement a laissé Norma complètement pantoise devant le jury.
"La Fi du Piton"
Depuis maintenant deux ans, Norma Bell fait partie de la troupe King Chefs and Drag Queens – un spectacle cabaret qui mêle repas gastronomique et performance drag. Depuis son passage dans Drag Race France (dont la finale sera enregistrée en public le 12 juillet, à Paris), la queen réunionnaise vit pleinement de son art.
Début juin, elle a même sorti son premier titre, "La Fi du Piton", une chanson en créole réunionnais qui reprend les standards du maloya. "Je dis que je suis la fille du Piton, que je représente ma nation, toutes les cultures mélangées, décrit Norma. Je passe un petit message d'amour et d'espoir. Je pense qu'on en a cruellement besoin actuellement en France."
Samedi 29 juin, le jour de la Gay Pride parisienne, Nicolas sera à La Réunion pour une performance inédite aux côtés de la Martiniquaise Soa de Muse, de Mami Watta (drag queen originaire de Côte d'Ivoire) et de Shei Tan, une artiste réunionnaise. Toutes les quatre, elles vont présenter Diaspora, un cabaret afro-futuriste, au Kabardock, dans la commune du Port. Une grande première pour Norma depuis qu'elle est devenue la coqueluche de Drag Race France.