Des Outre-mer trop dépendants de l'Hexagone et pas assez intégrés dans leur espace régional, que ce soient les Caraïbes, l'océan Indien ou le bassin Pacifique. C'est l'un des problèmes qui entraînent sur place la vie chère, une empreinte carbone trop importante et "une certaine fracture entre les territoires ultramarins et la France Hexagonale " comme le montrent actuellement les mobilisations en Martinique.
Ce constat, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) le fait dans son avis intitulé "Mieux connecter les Outre-mer" présenté ce mardi 22 octobre. Un document dans lequel les deux co-rapporteurs, Danielle Dubrac et Pierre Marie-Joseph, mettent en avant des solutions qui passent par le numérique, l'aérien et le maritime "pour avoir un développement économique plus cohérent", explique Pierre Marie-Joseph.
Ce chef d'entreprise martiniquais, président du groupe des Outre-mer au sein du CESE, a ainsi listé avec sa collègue 17 préconisations "transversales à l'ensemble des territoires", même s'ils ont conscience des spécificités de chaque Outre-mer.
Aux standards internationaux
Le rapport soulève par exemple le cas de la Guyane, "territoire particulièrement enclavé" qui nécessite "l’élaboration d’un plan de rattrapage des infrastructures routières, fluviales, portuaires et aéroportuaires, ainsi que numériques".
"Effectivement, si nous mettons en avant le fait que les équipements au niveau de la connexion [portuaire, aérienne et numérique] sont de bon niveau, ils sont de standards mondiaux voire internationaux, reconnaît le Martiniquais, nous avons des territoires qui sont un peu en retard et c'est pour ça qu'il faut se pencher dessus, pour améliorer leur desserte."
Leur ambition affichée est donc d'utiliser ces atouts afin "de rééquilibrer le développement des territoires", car "le gros problème de nos Outre-mer, c'est ce déficit de compétitivité auquel nous devons faire face", pointe Pierre Marie-Joseph.
Pour ce faire, les co-rapporteurs ont privilégié "trois axes de travail" :
- les infrastructures, liaisons maritimes, aériennes et numériques
- l’égalité de traitement et le renforcement de l’accès aux services publics
- un développement qui parte des territoires favorisant ainsi leur insertion dans leur espace régional.
Plus d'argent pour la continuité territoriale
Alors que le gouvernement Barnier a annoncé une coupe budgétaire de 250 millions d'euros pour le ministère des Outre-mer, ce rapport du CESE préconise plus de crédits pour les territoires ultramarins ! En plus d'une hausse des subventions françaises et européennes pour "la mise à niveau des infrastructures aéroportuaires de Mayotte, de Guyane, de Miquelon-Langlade, de Futuna et des îles habitées de Polynésie française", le rapport demande une continuité territoriale plus ambitieuse.
Le montant de l’aide, destinée à faciliter les déplacements des Ultramarins vers l'Hexagone dans un souci d'égalité, est fixé par département et collectivité : elle va de 340 € pour les Antilles à 1.235 € pour Wallis et Futuna. Une aide plus ou moins importante quand on regarde le prix moyen d’un billet d’avion depuis Paris.
Se basant sur le rapport sénatorial consacré à la continuité territoriale, "le CESE préconise de renforcer les dispositifs de continuité territoriale" et se déclare "en faveur d’un rehaussement significatif des crédits alloués à LADOM [l'Agence de l'Outre-mer pour la mobilité, NDLR] pour l’aide à la continuité territoriale".
Le rapport va même plus loin en voulant élargir le principe de continuité territoriale au transport de marchandises entre l'Hexagone et les Outre-mer.
C'est un véritable service public qui conclut à l'égalité de traitement des populations et des territoires.
Pierre Marie-Joseph
Le cœur du problème est surtout de limiter le coût du transport aérien. En plus des aides d'État pour la continuité territoriale, le CESE penche pour une coopération entre compagnies aériennes et la potentielle exonération d'une taxe sur le kérosène pour que les dessertes soient plus avantageuses pour les consommateurs.
Des zones franches portuaires
Mais le principal secteur à améliorer semble être celui de la mer vu que six des 17 préconisations ont pour but de développer une économie maritime durable. Ainsi, le Conseil propose la mise en place d'une stratégie portuaire spécifique aux Outre-mer, avec des formations professionnelles pour développer les métiers de la filière (réparation navale, manutention, logistique).
Il préconise la création de zones franches portuaires, avec une fiscalité réduite, "afin de constituer des plateformes de transbordement, de logistique et de stockage à l’échelle régionale".
L'idée principale pour les Outre-mer est de devenir à la fois attractifs et compétitifs pour développer les échanges maritimes dans les bassins Atlantique, Indien et Pacifique, ce qui pourra permettre ensuite d'améliorer le coût de la vie.
Or, pour l'heure, les importations de biens dans la zone Antilles-Guyane ou l'océan Indien proviennent principalement de la France hexagonale, et les échanges commerciaux avec la zone régionale restent relativement limités, comme le montre ce graphique.
Dans le cadre de la transition énergétique, les co-rapporteurs suggèrent aussi le développement de la voile pour le fret maritime afin de baisser l'empreinte carbone des cargos et navires, aujourd'hui polluants, ainsi que la mise en place de "couloirs maritimes verts" entre l'Hexagone et les Outre-mer.
Des préconisations qui font écho au projet de la CMA CGM de desservir la Martinique et la Guadeloupe avec des navires propulsés au biogaz, en parallèle du projet de "Hub Antilles" qui a suscité beaucoup d'interrogations sur son impact économique et environnemental.
"Il ne faut jamais oublier ce côté verdissement des ports et préservation de notre écosystème, de notre biodiversité, de nos océans, de nos fonds marins, qui sont extrêmement importants pour nous", insiste Pierre Marie-Joseph.
Des "hubs numériques internationaux"
À l'instar des hubs portuaires ou aéroportuaires, le CESE propose de réfléchir à des "hubs numériques internationaux" car "les Outre-mer sont très bien positionnées sur des voies de passage mondiales de câbles sous-marins".
En clair, cela consisterait à déployer des "data center" et de nouveaux câbles sous-marins de communication, notamment à La Réunion, en Polynésie française ou en Martinique. Mais ces grands bâtiments étant très énergivores, "il faudra installer des sources énergétiques renouvelables et vertes (photovoltaïque, éolien, géothermie, hydroélectrique) en conséquence, afin que le développement du numérique ne se fasse pas au détriment de l’impact environnemental", prévient le Martiniquais.
Enfin, et toujours dans l'idée de favoriser l'émancipation économique des Outre-mer, il préconise avec sa co-rapportrice l’accompagnement de la transformation numérique des petites et moyennes entreprises en Outre-mer, pour répondre aux besoins concrets et attirer de jeunes talents.