En France, il existerait plus de 75 langues régionales, dont plus de 54 rien que dans les départements et territoires d’Outre-mer, selon un rapport "sur les langues de la France" datant de 1999 du linguiste Bernard Cerquiglini.
Mais toutes les langues régionales de l’Outre-mer ne sont pas logées à la même enseigne, certaines méritent des "mesures de précautions" d’après Véronique Bertille, maître de conférences en droit public à l’université de Bordeaux. "Les langues régionales ultramarines connaissent différentes situations, certaines sont inscrites par l’UNESCO dans l’atlas des langues en danger comme certaines langues calédoniennes, alors que d’autres sont très vivantes comme les différents créoles", constate-t-elle.
"On parle créole en région parisienne"
Un avis partagé par le linguiste Bernard Cerquiglini, pour qui le patrimoine linguistique des Outre-mer est gigantesque. "Ces langues ne sont pas régionales mais nationales, car on parle créole en région parisienne, déclare-t-il. En revanche, il y a des langues en Nouvelle-Calédonie qui sont parlées par une petite population et on peut s’inquiéter parce que ce sont des langues qui sont victimes de tout et en particulier du prestige de la langue nationale. C’est-à-dire qu’il y a des langues qui sont parlées par très peu de population et qui ont un déficit de transmission."
L'exemple calédonien fait beaucoup parler dans le milieu des linguistes. "La Nouvelle-Calédonie, c'est un cas particulier, indique le professeur en sociolinguistique de l'université de Rennes 2, Philippe Blanchet. À Nouméa, la majorité de la population est d'origine européenne, donc la transmission des langues Kanak diminue beaucoup et c'est assez frappant de voir que beaucoup de jeunes n'ont pas appris la langue et ont été élevés en français."
Mais comme dans tous les départements et territoires d'Outre-mer, il ne faut pas généraliser, car les langues régionales restent tout de même beaucoup parlées.
Importantes pour le développement des sociétés
En plus de la journée de la Francophonie, il existe une journée des langues maternelles célébrée, elle, le 21 février. Elle rappelle que les langues régionales cheminent avec le Français et sont importantes pour le développement des sociétés. "Dans l’Hexagone, les langues régionales sont en recul, alors que dans les Outre-mer, même si cette situation se retrouve, beaucoup de locuteurs ne parlent que leur langue régionale et ne maîtrisent que ça", précise Véronique Bertille. Il est donc important de valoriser et protéger ces richesses linguistiques.
Depuis quelques années, plusieurs académies éducatives des Outre-mer ont décidé de mettre en place des classes bilingues, c’est notamment le cas à La Réunion, en Guyane ou encore en Polynésie. Le député réunionnais Frédéric Maillot a lui aussi tenté d’apporter sa pierre à l’édifice en proposant un projet de loi sur l’apprentissage des langues régionales pour une meilleure réussite scolaire. Adopté par l’Assemblée nationale en mai dernier, juste avant la dissolution, ce projet de loi est toujours dans le flou et attend de savoir s'il sera débattu au Sénat.
Lutter contre le décrochage scolaire
Mais l’enseignement des langues régionales à l’école est une bonne chose pour le Bernard Cerquiglini, car le bilinguisme est une "richesse". "Les enfants bilingues apprennent mieux les langues car ils ont compris par comparaison ce qu’était une langue", note-t-il.
Comme Frédéric Maillot, Bernard Cerquiglini pense que les langues régionales ont aussi beaucoup de bienfaits, notamment pour lutter contre l’illettrisme ou encore le décrochage scolaire. "Pour certains enfants qui viennent de milieu difficile, passer au français directement, c'est un obstacle de plus à franchir. Si l’enfant est créolophone d’éducation maternelle, on peut mettre en place l’écriture en créole et après passer français."
Un avis que partage aussi le linguiste Philippe Blanchet. "Il faut ajouter le français progressivement, sinon le choc serait terrible, abonde-t-il. C'est leur langue, celle de leur famille, donc ils ont le droit de la recevoir en enseignement, tout comme les Français qui ont comme langue familiale le français."
Leur disparition serait une "perte"
Les langues régionales se doivent d’être protégées, car même si la langue officielle de la nation est le français, beaucoup d’Ultramarins "ne maîtrisent que leur langue maternelle", souffle Véronique Bertille.
En Outre-mer, les langues régionales restent très présentes dans la sphère privée, notamment dans le cadre familial quand le français, lui, n’est présent que dans la sphère publique. Cette utilisation à deux vitesses n’est pas favorable pour tout le monde et crée des "inégalités fondamentales" selon Philippe Blanchet. "Ça donnerait deux sortes de citoyens, ceux qui ont le français comme langue première, qui sont très à l’aise et accès à tout ; et ceux qui sont obligés de changer de langue en allant dans la sphère publique. Du fait que la langue n'est pas présente dans la sphère publique, ça la dévalorise. Indirectement, ça leur passe un message de rejet de leur langue."
La disparition de ces langues serait une "perte" pour le linguiste Bernard Cerquiglini. "Les langues régionales sont un élément de la culture, on est élevé en créole, il y a une littérature en créole, on doit absolument préserver ça. C’est une richesse, la France est riche de ces langues".