La pièce est lumineuse, accueillante. Autour de la table, dans la salle à manger de l'appartement où vit toujours sa mère, Max Orville offre une bouteille de Royal Soda, une boisson sucrée martiniquaise. À 60 ans, dont une grande partie passée à Créteil, le Martiniquais raconte avec allégresse et nostalgie ses souvenirs dans cette ville qui l'a vu grandir. "Malheureusement, j'ai vu beaucoup de départs, beaucoup de décès, raconte-t-il. J'ai perdu beaucoup de monde, dont mon père. C'est peut-être ça qui m'a marqué."
En présence de Max Orville, on a envie d'agripper fermement son cartable et se ranger deux par deux dans la queue avant d'entrer en classe. L'homme inspire le respect. Celui qu'on doit à son professeur. Il l'a d'ailleurs été très longtemps. Aujourd'hui, il a troqué la blouse de l'enseignant pour la cravate du parlementaire. Depuis maintenant un an, Max Orville siège au Parlement européen de Bruxelles et de Strasbourg. Lorsqu'on le rencontre, il est de passage à Créteil.
Témoin de l'évolution de sa ville
Max Orville se souvient de la première fois qu'il a mis les pieds à Créteil. C'était en 1971. Il avait neuf ans. Avant cela, le jeune Max avait déjà beaucoup voyagé. Né en Côte d'Ivoire, il a vécu quelque temps au Congo-Brazzvaille. Son père était expert UNESCO. Sa mère, enseignante.
Après sept ans sur le continent noir, la famille Orville rentre en France. Les parents s'installent à Paris. Mais le retour au pays peut être déstabilisant. Ils envoient donc Max en Martinique, d'où ils sont tous les deux originaires. Le garçon vit alors chez sa grand-mère. Dans l'Hexagone, ses parents tombent entre temps sous le charme de Créteil. "À l'époque, Créteil, c'était ça", montre Max Orville. "Le Mont-Mesly, le Vieux-Créteil... Toute cette partie, qui fait le nouveau Créteil, ça n'existait pas."
Lui retrouve ses parents après un an passé aux Antilles. Arrivé en CM1, il restera dans le Val-de-Marne pendant 22 ans. Passé par le collège Pasteur, le collège Clément Guyard, et le collège Louis Issaurat, avant de finir sa scolarité au lycée Léon Blum – inauguré à l'époque par le premier secrétaire du PS, qui n'était autre que François Mitterrand, précise-t-il avec fierté –, le jeune Orville a vu la ville évoluer.
J'ai grandi et j'ai joué dans les fondations du centre commercial Créteil Soleil. J'ai joué également au lac. Ce lac, c'était des champs, des maraîchers. Ce n'était pas du tout une base de loisir. J'ai vu Créteil se transformer, grandir. Et j'ai grandi avec.
Max Orville, eurodéputé
Le père de l'eurodéputé, Léo Orville, qui est le cousin de l'ancien président du Sénat Gaston Monnerville, officiait en tant qu'inspecteur des écoles à Créteil. Ami personnel de celui qui est devenu maire de la ville en 1976 (et qui l'est toujours aujourd'hui), Laurent Cathala, le père de famille veut marquer la ville de sa touche antillaise.
"On a été parmi les premiers martiniquais, antillais, [à Créteil], raconte le fils. Il y avait une grosse communauté antillaise, dans les hôpitaux notamment. Mais Créteil n'était pas encore une ville nouvelle, avec ses tours." Avec des amis, Orville père lance l'ACRAG, l'Association culturelle des ressortissants antillo-guyanais, pour faire vivre la communauté caribéenne. Parmi les fondateurs, on retrouve Georges Aurore, que le maire nommera par la suite adjoint à la mairie.
À la fin des années 1970 et dans les années 1980, la communauté antillaise grossit à Créteil. On organise des kermesses géantes, on fait venir Malavoi, des orchestres antillais, on visionne Rue Cases-Nègres d'Euzhan Palcy... Max Orville se rapproche alors de ses racines caribéennes.
J'ai commencé à fréquenter beaucoup plus d'Antillais. J'ai animé une émission antillaise à Paris sur Radio 3, puis sur Bonheur FM, à Ivry, qui était la radio de Francis et Mariette Cabrel. J'avais un créneau de deux-trois heures tous les samedis.
Max Orville, eurodéputé martiniquais
Une école en hommage à son père
En bon enfant républicain, Max Orville décide de marcher dans les pas de ses parents et d'intégrer à son tour l'Éducation nationale. À 21 ans, il devient ainsi instituteur à Créteil. "J'aime Créteil, j'aime ma ville. Je connais tous les différents quartiers, et donc les environnements et les spécificités. Vous n'enseignez pas de la même manière à Victor Hugo, dans le Vieux Créteil, qu'au quartier des Bleuets, où, là, c'est l'immigration", dit-il.
Mais, malgré cet attachement presque charnel à sa ville, l'instituteur décide d'aller s'installer en Martinique, l'île de ses parents, qui sont retournés y vivre une fois à la retraite. Max Orville y devient directeur et professeur des écoles.
En 2008, Léo Orville, son père, décède. Dans l'Hexagone, son vieil ami Laurent Cathala veut lui rendre hommage. Il décide de renommer une école du quartier du Mont-Mesly à son nom. Lorsqu'on le rencontre à Créteil, Max Orville tient absolument à nous montrer l'école élémentaire en question, située à quelques pas de l'immeuble où vit sa mère, revenue depuis dans l'Hexagone. L'établissement est rouge vif. Le nom "Léo Orville" s'affiche en grand sur un panneau au niveau des grilles. Au même titre qu'Aimé Césaire ou Félix Éboué, le nom Orville est gravé dans le marbre de Créteil.
De retour en Martinique, Max Orville continue sa carrière, et devient même inspecteur. En 2009, cet amoureux de l'éducation s'engage en politique, avec le MoDem de François Bayrou. "À ma grande surprise, François Bayrou m'a demandé d'être tête de liste de la région Antilles / Guyane pour le MoDem [aux élections européennes de 2009]. J'avais trouvé ça super ambitieux", se remémore-t-il. Sa liste obtient un peu moins de 10 %. Un score honorable, estime-t-il. Mais il n'est pas élu. En 2017, il fait un score qu'il qualifie lui-même de "pitoyable" aux élections législatives, avec 5,34 % des suffrages, derrière Serge Letchimy et Francis Carole.
Puis vient 2019. François Bayrou, allié au parti d'Emmanuel Macron, place le Martiniquais en 24ᵉ position sur la liste Renew qui compte 79 noms. Une position "charnière". La liste présidentielle termine deuxième, derrière celle menée par Jordan Bardella du RN, et peut donc envoyer 23 eurodéputés à Bruxelles. Max Orville rate donc de peu son siège au Parlement européen... jusqu'à ce jour de 2022, où Emmanuel Macron remanie son gouvernement après sa réélection et nomme Chrysoula Zacharopoulou secrétaire d'État. Eurodéputée, elle quitte son siège de parlementaire. Et mécaniquement, Max Orville est nommé député européen.
Depuis bientôt un an, il œuvre donc au sein des institutions bruxelloises pour faire entendre une voix supplémentaire des Outre-mer, aux côtés des Réunionnais Stéphane Bijoux et Younous Omarjee, de la Guadeloupéenne Maxette Pirbakas et du Polynésien Éric Minardi.
Dans un an, de nouvelles élections européennes auront lieu. Max Orville ne le cache pas : il aimerait se retrouver de nouveau sur une liste. Car au-delà des grands projets qu'il a pour les régions ultrapériphériques européennes (les territoires d'Outre-mer des pays membres de l'UE), il y a un autre avantage à être élu à Bruxelles : tous les week-ends, il peut prendre le Thalys et rentrer chez lui, dans sa ville, à Créteil.
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Pendant une semaine, Outre-mer La 1ère part à la rencontre des Ultramarins de Créteil
À l'occasion du 10 mai, date de commémoration de l'abolition de l'esclavage dans l'Hexagone, Outre-mer La 1ère vous emmène dans le Val-de-Marne, qui compte une des plus grosses communautés antillo-guyanaise de France. Food-truck de bokits, groupe de carnaval, écrivaine... Découvrez celles et ceux qui donnent un air d'Outre-mer à Créteil en cliquant sur ce lien.