Après s'être rendue en Martinique et Guadeloupe au début de l'année, Edwige Duclay, ingénieure agronome et directrice de projet, prépare pour le printemps le bilan 2023 du plan chlordécone IV. L'occasion de faire un point d'étape à mi-parcours sur les 47 dispositifs lancés par l'État.
De nombreuses critiques s'élèvent contre le fonds d'indemnisation des victimes, jugé insuffisant. Combien de personnes ont été indemnisées à ce jour ?
En 2021, on avait seulement 11 dossiers. Aujourd'hui, 176 dossiers ont été déposés dont 66 personnes qui ont déjà reçu une rente. On a des progrès à faire en termes de communication, ce fonds d’indemnisation des victimes est encore trop peu connu. On doit notamment aller plus loin sur la mobilisation des médecins parce que ce sont eux qui font le premier certificat médical qui permet d'enclencher la procédure.
Il y a déjà beaucoup d’initiatives pour faciliter la vie des victimes. L’association Phyto-Victimes, qui aide les requérants dans leur demande d'indemnisation, est installée en Martinique depuis deux ans et en Guadeloupe depuis le début de l’année. Ce n'est pas une démarche obligatoire de passer par eux, mais on le conseille vivement parce que c’est une association qui a l’habitude d’accompagner les victimes.
Les scientifiques tentent de trouver une solution pour dépolluer les sols, des progrès ont-ils été faits ?
Il n'y a pas de remède aujourd’hui pour dépolluer les sols, mais il y a des solutions pour ne pas s’exposer au risque chlordécone. Tous les sols ne sont pas contaminés aux Antilles, et toutes les cultures ne sont pas sensibles à la chlordécone. C'est pourquoi la prévention est très importante. Il est notamment possible d'agir sur l'alimentation. Par exemple, une aide aux pêcheurs a été mise en place en 2022, puis simplifiée, afin que les pêcheurs aient une indemnisation par rapport aux zones d'interdiction qu'ils subissent malgré eux.
Il y a aussi une aide pour les éleveurs de bovins depuis le 1ᵉʳ janvier 2024, et, plus globalement, l'analyse de sol gratuite permet d'aider les agriculteurs à faire leur métier, c'est-à-dire produire des aliments sains.
Pour le reste de la population, l'analyse du taux de chlordécone dans le sang, la chlordéconémie, est gratuite en Guadeloupe et Martinique. Cela permet de savoir pour agir. Avoir de la chlordécone dans le sang, ça ne veut pas dire qu’on est malade ou qu’on va l'être. Ça veut dire qu’on a eu une exposition aux cours des derniers mois, donc vous allez être accompagné pour comprendre d'où ça vient. On a près de 30 000 analyses de chlordécone dans le sang, on peut aller plus loin.
Le plan chlordécone IV a été lancé en 2021 et court jusqu'en 2027, nous sommes donc à mi-parcours, quels sont les objectifs pour les années à venir ?
L'objectif, c'est de tendre vers le zéro chlordécone. Ça prendra du temps, mais c’est l’objectif. Le zéro chlordécone est possible avec une alimentation saine sans tourner le dos à la production locale. La priorité, c’est vraiment d’arriver à informer tout le monde, pour faire en sorte que les dispositifs qui existent soient mobilisés.
Quand on parle de chlordécone, on touche à l’alimentation, à l’éducation, à la santé. Une quarantaine d’actions existent, neuf ministères sont mobilisés sur le sujet, ainsi qu'une large communauté scientifique. Il est indispensable de parvenir à collaborer avec tous les acteurs impliqués. Je me réjouis de la signature récente d’une charte d’engagement avec l'association des maires de Martinique. Grâce aux élus, l'information pourra être portée au plus près des populations.