Charlotte Desfontaine n'a qu'une chose en tête. C'est sa petite obsession. Sa "mission", comme elle le dit elle-même. Depuis qu'elle est jeune, elle attend le jour où la Nouvelle-Calédonie deviendra indépendante. Depuis le troisième et dernier référendum organisé en 2021 sur le Caillou – qui a vu le "non" à l'indépendance l'emporter alors que les partisans de l'indépendance ont massivement boycotté le scrutin –, elle suit avec attention les discussions engagées entre les loyalistes, le FLNKS et l'État sur l'avenir de cette collectivité d'Outre-mer du Pacifique.
Charlotte, ou Maalewe, son nom kanak, est née dans l'Hexagone. À Bitche, plus précisément, une commune située en Moselle, surnommée "la petite Sibérie" tellement les températures y sont glaciales l'hiver. Loin du climat tropical de la Nouvelle-Calédonie. Elle a passé son enfance entre le Grand Est, l'Afrique (son père était médecin militaire), et Bordeaux, où elle arrive dans les années 1990, à l'âge de 14 ans.
Mission Kanaky
Jusqu'à son adolescence, rien ne la rattachait réellement au territoire d'où était originaire sa mère. Car les kanak parlent peu, pense-t-elle. "Je crois que c'est dans la culture kanak de ne pas parler. Les choses se savent, mais on ne met pas les mots dessus." Dans le salon de son appartement bordelais, une vieille carte encadrée représentant la Calédonie est posée sur un meuble. Charlotte pointe du doigt le nord de l'île. C'est de là que vient sa mère. De Balade, près de Pouébo. "C'est là où tout le monde est arrivé", raconte-t-elle, en référence aux explorateurs du XVIIIᵉ siècle. En 1774, James Cook y débarque lors d'un de ses longs voyages dans le Pacifique. C'est aussi là où s'installent les premiers missionnaires, en 1843.
Sa mère fait partie des dernières générations à avoir été blanchies par la colonisation française. Les populations kanak étaient arrachées de leur tribu, et envoyées dans des écoles de bonnes sœurs. "Ils ont effacé la langue, la culture, le lien à la Terre", déplore Charlotte. À tel point qu'elle et ses sœurs n'ont appris que tardivement que leur mère pouvait parler une autre langue que le français.
Lorsqu'elle avait 14 ans, Charlotte Desfontaine se souvient d'un voyage en Nouvelle-Calédonie. "C'est là que s'est créé mon lien avec mon grand-père, se remémore-t-elle. C'est lui qui m'a mis cette graine dans mon cerveau, qui m'a dit : 'Fais tes études, et ensuite tu reviens, parce que tu as ton rôle à jouer dans la construction de la Kanaky-Nouvelle-Calédonie'. Depuis là, c'est ma mission de vie." Dès lors, elle a fouillé dans son passé, fait des recherches sur ses origines kanak, sa tribu, sa famille, son peuple...
J'ai tout découvert. Je suis capable de remonter sur cinq générations, sur plusieurs clans. J'ai découvert l'histoire de ma mère, l'histoire des kanak, l'histoire de la colonisation en Nouvelle-Calédonie...
Charlotte Desfontaine, créatrice de bijoux
"Quand un projet vient à moi, je change de métier"
Depuis Bordeaux, Maalewe s'adonne donc à défendre sa culture en promouvant les artistes et artisans du Pacifique, et particulièrement de Nouvelle-Calédonie, dans une boutique en ligne qu'elle a lancé pendant la période du Covid-19. "Il y a très peu de commerçants de Nouvelle-Calédonie, il y a très peu de produits kanak [dans l'Hexagone]", remarque la Bordelaise. Elle a donc créé son Pop Up Pacific Store, sorte de marché virtuel où se vendent des objets farfelus ou utiles, en lien avec les territoires français du Pacifique. Dans une pièce lumineuse de son appartement qui lui tient lieu d'atelier, la vendeuse entrepose ses produits : des baumes mélanésiens, des sacs à dos et des tasses floqués de symboles calédoniens imaginés par l'artiste Will Style, des petites figurines dansantes...
Elle l'admet, sa vie professionnelle est très instable : "J'ai eu plusieurs métiers. À chaque fois, ce sont les projets qui me parlent. Quand un projet vient à moi, je change de métier." Ainsi, depuis cinq ans, cette maman écolo s'est mise à créer ses propres bijoux. "Quand je voyais dans les vide-greniers tous ces colliers qui avaient été ramenés du Pacifique avec tous ces coquillages qui étaient morts pour rien", dit-elle en critiquant les Européens pillant les lagons de Polynésie, et ramenant sable et coquillages dans leurs valises.
Je récupère ces coquillages, et je les remets en circulation en faisant de nouveaux bijoux, plus modernes et plus faciles à porter.
Charlotte Desfontaine, créatrice de bijoux
Autodidacte, elle s'est munie de pinces et a acheté de l'acier inoxydable pour fabriquer colliers, bracelets, bagues et boucles d'oreilles avec ces coquillages. Elle les vend sur son Pop Up Store ou bien lors de villages polynésiens ou grandes foires organisés un peu partout dans l'Hexagone. "Je suis ambassadrice de la culture kanak", revendique-t-elle.
Charlotte Desfontaine, forte de son rôle de diplomate en mission pour défendre la Kanaky, fait régulièrement l'aller-retour en Nouvelle-Calédonie, pour y voir sa famille et continuer d'explorer son histoire, qu'elle aimerait raconter dans un livre. Interrogée sur ce qu'elle ferait si jamais son pays venait à obtenir l'indépendance, cette femme, tout de même très attachée à Bordeaux, a le cœur qui balance : "Mes enfants sont ici, donc c'est compliqué. La famille est là-bas, donc ça donne envie... Mais pourquoi pas un six mois / six mois ?" De toute façon, elle sait que tous ses plans peuvent drastiquement changer du jour au lendemain. "Je vis vraiment à la dernière minute. Je suis vraiment une îlienne", reconnaît Maalewe.