Le trésor du roi Béhanzin, exilé en Martinique, rendu au Bénin

Emmanuel Macron s'est rendu au Musée du Quai Branly aujourd'hui pour célébrer la restitution par la France au Bénin de 26 œuvres pillées pendant la colonisation Une restitution d'une telle ampleur est une grande première, en France mais aussi en Europe.

Les visiteurs se penchent devant des trônes en bois ouvragés, des sceptres cérémoniels, une tenue d’apparat, et, surtout, des statues totem en bois peintes. De la taille d’un homme, elles représentent une figure mi-humaine mi-animale, celle du roi Béhanzin, à qui ce trésor appartenait. Le roi, défait militairement, avait été envoyé en exil en Martinique par les autorités coloniales. Il y restera 12 ans. Les 26 œuvres, pillées par la France lors de la colonisation du Bénin en 1892, sont exposées une dernière fois à Paris, au musée du Quai Branly. Dans les prochaines semaines elles retourneront au Bénin, où un musée a été construit spécialement pour les accueillir.

Une restitution de cette envergure par l’ancienne puissance coloniale à un pays anciennement colonisé est une première. Dès 2005, Christiane Taubira, alors députée de Guyane, réclamait la restitution de ce trésor au Bénin. Présent au Musée du Quai Branly ce mercredi, Emmanuel Macron a salué "l’aboutissement d’un travail qui vient de très loin". Selon lui, il n’y a "aucune raison que la jeunesse africaine soit condamnée à ne pas avoir accès à ce patrimoine".

"Je suis convaincu que la France ne pouvait pas rester passive devant le fait que 95% du patrimoine africain se situerait en dehors du continent."

Emmanuel Macron.


"Le Bénin est le premier pays d’Afrique à obtenir de l’Europe une restitution majeure de son capital culturel", a salué l’historienne de l’art Bénédicte Savoy, chargée par Emmanuel Macron, avec son collègue Felwinn Sarr, de rédiger un rapport sur les restitutions. Leurs conclusions, rendues publiques en 2018, recommandent clairement le transfert des œuvres vers leurs pays d’origine. "Les restrictions n’effacent rien et ne remplacent rien", a rappelé la chercheuse, qui salue néanmoins un "évènement historique".

Contourner le principe d’inaliénabilité

Dès 2017, lors d’un discours à Ouagadougou, Emmanuel Macron a évoqué sa volonté de rendre à l’Afrique une partie de son patrimoine, spolié pendant la colonisation. Mais en France, les collections des musées publics sont inaliénables, elles ne peuvent être ni vendues ni cédées. Pour permettre la restitution d’une œuvre à son pays d’origine, il faut faire voter une loi d’exception. En décembre 2020, le Parlement a voté une loi autorisant le retour des 26 œuvres au Bénin et d’un sabre au Sénégal.

Emmanuel Macron entend continuer sur la voie des restitutions, un "sujet sensible" et "historiquement clivant". Pour faciliter les restitutions à venir, il souhaite "définir une loi qui permettra de cadrer dans la durée les choses", en établissant "une doctrine et des règles précises de restitutiabilité." Car si elle est éminemment politique, la question de la restitution est aussi pratique. Comment faire la différence entre une œuvre volée et une œuvre achetée légalement ? Comment s’assurer que, une fois rendus, les objets seront conservés et exposés dans de bonnes conditions ?

Les statues royales bochio, exposées une dernière fois au musée du quai Branly, à Paris.

Rendre les objets d’Outre-mer à leurs territoires ?

La question des restitutions n’épargne pas les Outre-mer. En 2014, à la demande du chef kanak Bergé Kawa, la tête du chef rebel Ataï a été rendue à la Nouvelle-Calédonie par le Muséum national d'histoire naturelle. Des prêts permettent également aux musées hexagonaux de faire voyager dans les territoires ultramarins des objets de leurs collections. Ces prêts peuvent courir sur de très longues périodes : des pagaies cérémonielles exposées au Musée de Tahiti ont été prêtées par le Musée de la marine il y a plus de quarante ans.

Reste une question : faut-il restituer l’ensemble des objets pillés pendant la colonisation ? Jean-Marie Tjibaou, figure du nationalisme kanak assassiné en 1989, proposait de faire l’inventaire des objets conservés hors de Nouvelle-Calédonie. Mais selon lui, il ne fallait pas demander le retour de la totalité des œuvres pour permettre à ces "objets ambassadeurs" de faire rayonner la culture kanak à travers le monde. Une notion que n’a pas renié Emmanuel Macron dans son allocution. Pour le président, l’objectif n’est pas de "renationaliser de manière parfaite les patrimoines". Ce serait "terrible" si "la France se débarrassait de tous les patrimoines des autres". S’il est nécessaire de "restituer les choses indûment acquise", il faut aussi continuer d’exposer les œuvres africaines dans les grands musées occidentaux, car "les peuples victimes, ceux [qui] ont été dépossédés de leur mémoire (…) se réjouissent que d’autres femmes et d’autres hommes puissent admirer le travail de leurs ancêtres".

Détail de l'un des panneaux de bois qui décorait le palais du roi Béhanzin.

Début octobre, l’Etat français a entamé des démarches pour rendre un tambour cérémoniel à la Côte d’Ivoire. L’Allemagne s’est engagée à restituer des bronzes au Nigéria à partir de 2022. L'ancienne puissance coloniale qu'est la Grande Bretagne ne s’est pas encore prononcée sur la question des restitutions. Pourtant, en Polynésie française, certains voudraient voir revenir sur le territoire une statue du Dieu A’a qui dort dans les réserves… du British Museum.

A lire aussi : La grande scène de l’histoire : Restitutions. Faut-il rendre les œuvres prises dans les Outre-mer ?