Une croix gammée surplombe le visage souriant de Babette de Rozières. Derrière elle, Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), et Éric Ciotti, le patron des Républicains (LR), arborent une moustache semblable à celle d'Hitler. L'affiche électorale, qui trône dans une rue pavillonnaire de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, est violente. Tout comme la campagne électorale dans laquelle s'est lancée la cheffe guadeloupéenne.
Attablée avec son mari sur la terrasse d'une brasserie située près des bords de Seine, Babette de Rozières affirme être victime d'insultes racistes et de menaces de mort depuis l'annonce surprise de sa candidature sous l'étiquette d'union des droites LR-RN. Mais ces attaques ne la découragent guère. Au contraire.
"Si j’ai quitté mes fourneaux momentanément pour être là, en campagne, c’est parce qu’il y a quelque chose à défendre. La France est en danger, estime-t-elle. La seule alternative qu'elle a pour être sauvée, c’est l’union des droites."
Un quart des votes
La conseillère régionale d'Île-de-France et ancienne proche de Valérie Pécresse n'en est pas à son coup d'essai électoral. Cela fait des années qu'elle lorgne sur un siège à l'Assemblée nationale. En 2017, lancée par Les Républicains dans une circonscription parisienne, elle n'avait obtenu que 6,53 % des voix. Cinq ans plus tard, fâchée avec LR, elle se présente dans la 9ᵉ circonscription des Yvelines en se revendiquant de la majorité présidentielle (sans en avoir été investie). Elle fait de nouveau chou blanc en ne recueillant que 2,91 % des votes.
Mais, cette fois-ci, la donne a changé. Portée par la vague d'extrême droite qui a frappé le pays aux élections européennes, Babette de Rozières obtient de très bons résultats dans la 7ᵉ circonscription des Yvelines, où elle est désormais candidate : 25,79 %. "Ce score, j'ai été le chercher", se félicite-t-elle.
Mais, même si le Rassemblement national, allié à la frange "ciottiste" des Républicains, a obtenu un résultat historiquement élevé dans cette circonscription d'ordinaire plutôt centriste, l'ancienne animatrice de télévision n'a fini que troisième à l'issue du premier tour des législatives.
Avec quelques points d'avance, les anciens ministres Aurélien Rousseau (18.810 voix, soit 36,68 %), passé sous la bannière du Nouveau Front Populaire, et Nadia Hai (15.903 voix, 29,32 %), la députée sortante, terminent respectivement premier et deuxième. 13.987 personnes ont voté pour la Guadeloupéenne.
Des appels au désistement
Depuis dimanche soir, Babette de Rozières prétend avoir reçu des appels de la part de conseillers de l'exécutif, qui voudraient qu'elle se désiste pour permettre la réélection de la parlementaire Renaissance. En échange, elle obtiendrait un poste prestigieux. Des manigances politiques confirmées par l'hebdomadaire L'Express. "Je trouve ça honteux", rage la cheffe, qui s'esclaffe à l'idée de renoncer à sa candidature : "Alors là, il n’en est pas question !"
C'est donc une triangulaire qui opposera la gauche, le camp présidentiel et l'extrême droite dimanche prochain. Aurélien Rousseau, ancien directeur de l'Agence régionale de santé d'Île-de-France pendant la crise du Covid-19, passé par le cabinet d'Élisabeth Borne lorsqu'elle était Première ministre avant d'être nommé ministre de la Santé en juillet 2023, part avec une longueur d'avance. Fermement opposé à la loi sur l'immigration adoptée en décembre, l'homme de gauche avait décidé de quitter le gouvernement. C'est aujourd'hui avec Place publique, le mouvement de Raphaël Glucksmann signataire du Nouveau Front Populaire, qu'il espère l'emporter dans la circonscription.
"Le sujet pour moi aujourd’hui, et il faut être extrêmement clair, c’est : est-ce que M. Bardella aura une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ou une majorité relative ? (...) Je pense que le vote utile, c’est le vote que j’incarne dans ce rassemblement démocrate, républicain et humaniste", défend-il à Conflans-Sainte-Honorine, ville qui l'a placé en tête dimanche dernier.
L'ancien ministre pourfend l'attitude de la députée sortante, ancienne ministre déléguée chargée de la Ville entre 2020 et 2022, qui refuse obstinément de se désister pour faire barrage à l'extrême droite. En tractage devant la gare, Nadia Hai n'en démord pas. "Je me maintiens parce que je ne veux pas laisser les électeurs face à un choix dont ils ne souhaitent pas, c'est-à-dire choisir entre l’extrême droite et l’extrême gauche", argumente-t-elle. Elle reconnaît néanmoins que le score du RN dans les Yvelines est "inquiétant". "Il ne faut pas s'en satisfaire."
Un racisme désinhibé
Si elle accuse un retard sur ses deux adversaires, Babette de Rozières veut encore y croire. Lors du premier tour, un candidat LR opposé à l'alliance nouée entre Éric Ciotti et Marine Le Pen, a reçu 4.142 voix. Une réserve potentielle de voix pour la candidate chevronnée.
Je ne suis pas défaitiste. Je suis sur le terrain pour le deuxième tour. Et là, je vais encore plus me battre, parce qu’il faut arracher cette circo. (...) J’appelle tous mes compatriotes des LR, tous mes compatriotes de droite, à me rejoindre, à rejoindre Bardella, à rejoindre Ciotti, parce que l’alternance est là !
Babette de Rozières, candidate LR-RN dans les Yvelines
"À l'aise dans ses baskets", comme elle le répète souvent, elle refuse qu'on l'associe à l'image d'un parti raciste, accusé d'attiser la haine au sein de la société. Elle s'offusque : "Moi, je suis raciste ? Je suis noire, non ?, dit-elle en désignant son visage. Je ne comprends pas pourquoi on parle de racisme. Le parti est tout nouveau. Bardella, c’est un jeune. Ça n’a rien à voir avec le Front national. Les gens se méprennent."
Pourtant, depuis le lancement de cette campagne électorale express, dont l'issue pourrait bien être l'accès de l'extrême droite au pouvoir, une parole raciste – qui existait déjà – semble se libérer davantage en France. Dans son rapport publié juste avant le premier tour des législatives, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) soulignait que la tolérance avait tendance à diminuer dans le pays. Sans parler des affiches, des agressions physiques et verbales, des publications sur les réseaux sociaux qui témoignent d'un racisme de plus en plus désinhibé. Babette de Rozières elle-même s'en dit victime.
La prétendante à un siège de députée n'a désormais plus que quelques jours pour convaincre les électeurs et électrices de sa circonscription de voter pour elle. Mais la tache ne sera pas simple, alors que le Rassemblement national peine encore à séduire en région parisienne. À Conflans-Sainte-Honorine, sur la terrasse de la brasserie, des clients venus boire un café reconnaissent la candidate guadeloupéenne. Ils se lèvent soudainement et décident de partir. "J'ai pas envie du Front national ici", lui lance un homme, dégoûté.