Il est un peu plus de 6 h du matin, ce samedi 14 décembre, lorsque les habitants de Mayotte reçoivent un message d'alerte de la préfecture. "Danger exceptionnel", avertit le SMS. Le système dépressionnaire Chido, un cyclone tropical intense de catégorie 4, s'approche dangereusement de l'archipel. L'alerte violette, niveau de vigilance maximal, est déclenchée quelques minutes plus tard, à 7 h. La population reçoit l'ordre de se confiner. Les services de sécurité aussi. La journée sera éprouvante.
Quand ils se réveillent, les Mahorais et Mahoraises s'étonnent du calme qui règne à Pamandzi, à Mamoudzou ou encore à Bouéni. Cette accalmie n'est qu'un leurre. C'est le calme avant la tempête. Car, très vite, le vent se lève. Les prévisionnistes s'alarment face à la puissance annoncée de la tempête. Le phénomène sera d'une violence inédite.
Il faut remonter à 1984 pour retrouver dans les archives le passage du dernier cyclone dévastateur dans ce petit archipel de l'océan Indien. À l'époque, Kamissi avait détruit le logement de 25.000 personnes, devenues sans abris. Or, depuis les années 1980, la population de Mayotte a bien changé. Elle a été multipliée par plus de quatre, atteignant aujourd'hui plus de 320.000 habitants. En parallèle, l'habitat informel a explosé dans ce territoire qui reste le département le plus pauvre de France.
Des rafales dévastatrices
Dans la matinée, les vents se renforcent. Ça y est, Chido est arrivé. Il entraîne dans son sillage des vents dévastateurs. 190 km/h. 200 km/h. Des rafales allant jusqu'à 226 km/h sont enregistrées à Pamandzi, sur la Petite-Terre. Sur cette petite île de l'archipel, l'aéroport Marcel Henry qui relie Mayotte au reste du monde subit de gros dégâts, annonce le ministre démissionnaire des Transports François Durovray. Le toit de la tour de contrôle est arraché. Les vitres sont brisées.
Ailleurs, c'est aussi le chaos. Le toit de la MJC de Kawéni s'envole. Une barge se décroche. Des arbres se brisent et tombent ici et là, bloquant les routes, abimant les voitures et les habitations. Les plus solides d'entre elles tremblent. Les moins solides – les cases faites de tôle – ne résistent pas. Le paysage est méconnaissable.
À la station de Mayotte la 1ère, les journalistes, mobilisés, assurent une édition spéciale pendant des heures pour informer la population. Ils suivent l'avancée du cyclone. Ils relaient les consignes données par les autorités. Et surtout, ils permettent aux auditeurs et aux téléspectateurs de rester connectés en cette période angoissante.
Mais c'était sans compter sur les bourrasques, venues briser les vitres de l'antenne locale de France Télévisions. Les directs radio et télé sont interrompus. Le personnel de Mayotte la 1ère est mis à l'abri. Pourtant, "même dans la panique, il fallait qu'on continue de vous informer, de vous dire ce qu'il se passe", relate une journaliste qui a repris l'antenne une demi-heure après l'interruption. L'information continue, dans un lieu plus sûr.
"Je crains le pire", dit le préfet
Tandis que Chido continue sa route vers l'ouest, les Mahorais et Mahoraises se retrouvent coupés du monde. Des dizaines de milliers d'habitants sont sans électricité. Impossible d'obtenir des nouvelles de ses proches. Les secondes, les minutes sont interminables.
Après plusieurs heures de pluies diluviennes, de vents ravageurs, après la destruction de plusieurs habitations, le naufrage de bateaux dans le port de Mamoudzou, le préfet François-Xavier Bieuville décide de lever l'alerte violette. L'archipel est dévasté. Le cyclone est "le plus violent et destructeur" depuis 1934. "Beaucoup d'entre nous ont tout perdu", écrit le représentant de l'État.
Les secours peuvent enfin intervenir. La tache s'annonce périlleuse. Les collines qui abritaient encore la veille des centaines de bidonvilles colorés ne sont désormais qu'un cimetière de tôle et de débris végétaux. Malgré l'alerte rouge, qui n'autorise toujours pas les habitants à sortir de chez eux, certains bravent tout de même l'interdiction. Des images montrent des individus dans les rues. Certains semblent s'adonner aux pillages de magasins. D'autres paraissent fouiller les décombres, à la recherche d'affaires. Voire d'un proche.
Dans l'après-midi, l'AFP informe de la mort de deux personnes, qui ont péri à Petite-Terre. Les autorités, elles, ne s'avancent pas sur un bilan. Car il risque d'être dramatique. Contacté par Mayotte la 1ère, le préfet qui se situe à Petite-Terre évoque une "catastrophe". "Vous parlant de Petite-Terre, je crains le pire sur certaines parties de Grande-Terre", avance-t-il, inquiet.
Combien de personnes sont mortes ? Combien de Mahorais sont blessés ? Combien d'habitations ont été terrassées ? Combien d'entreprises ont été saccagées ? Il est encore trop tôt pour faire le bilan, quelques heures seulement après le passage du cyclone. "Personne n'aurait imaginé un tel désastre", se désole le géographe Said Said Hachim.
Réunion de crise à Paris
À des milliers de kilomètres du désastre, on assiste impuissant au ravage de Mayotte. Le président Emmanuel Macron déclare suivre de près la situation. À peine nommé, le nouveau Premier ministre François Bayrou est jeté dans le bain de la gestion de crise. Il préside une réunion de crise interministérielle samedi à 19 h, heure de Paris.
Le ministre de l'Intérieur démissionnaire, Bruno Retailleau, annonce l'envoi dès dimanche de 140 personnels militaires de la sécurité civile et sapeur-pompiers pour appuyer les secours sur place. Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, annonce de son côté qu'un avion militaire doit décoller avec du fret humanitaire et des moyens de sécurité civile. Une frégate et un hélicoptère sont également dépêchés sur place.
Chose rare ces temps-ci, l'ensemble de la classe politique française s'émeut de la situation mahoraise. Olivier Faure (Parti socialiste) appelle l'État à "mobiliser tous les leviers de la solidarité nationale" pour aider les Mahorais. Même son de cloche chez Mathilde Panot (La France insoumise), Laurent Wauquiez (Les Républicains) ou encore Marine Le Pen (Rassemblement national).
À quelques centaines de kilomètres de Mayotte, meurtrie, La Réunion aussi s'organise. Plusieurs renforts ont déjà été dépêchés pour soutenir les autorités mahoraises. D'autres devraient affluer dans les prochains jours. Notamment pour venir en aide aux personnels du Centre hospitalier, déjà en sous-effectif. Sur le plateau de Mayotte la 1ère, un représentant syndical du CHM fait savoir que les urgences et plusieurs services de l'hôpital sont inondés. "Je ne pense pas qu'on pourra s'en sortir tout seul", lance-t-il. "Le système de santé est gravement touché et l’accès aux soins fortement dégradé", s'inquiète pour sa part la ministre démissionnaire de la Santé, Geneviève Darrieussecq, sur X.
Les prochains jours seront peut-être les plus durs, craignent déjà beaucoup. "Tout reste à faire", dit le préfet François-Xavier Bieuville. Avant de s'adresser aux Mahorais et aux Mahoraises : "Je voulais vous souhaiter bonne chance dans les jours qui viennent".