Le combat des forces vives mahoraises : le temps des barrages

Le combat des forces vives 2/3 : le temps des barrages ©Mayotte la 1ère
Dans un magazine, le combat des forces vives mahoraises, Mayotte la 1ère revient sur ce mouvement contre l'immigration clandestine et l'insécurité qui aura marqué le département. Pour ce deuxième épisode, le temps des barrages, qui fut le quotidien des Mahorais durant près de 40 jours.

Le combat des forces vives mahoraises, c'est le magazine de Mayotte la 1ère qui retrace les près de 40 jours de barrages qui ont secoué le département du 22 janvier au 29 février, de ses origines aux mesures obtenues. Un mouvement contre l'immigration clandestine et l'insécurité à l'initiative d'un nouveau collectif, les forces vives. Dans ce deuxième épisode, le temps des barrages, le quotidien des Mahorais durant plus d'un mois.

Des barrages des plus rustiques aux plus sophistiqués

Quelques jours après la première opération de démantèlement du camp de migrants du stade de Cavani, à l'origine de la colère, le préfet Thierry Suquet ordonne le démantèlement des barrages par la police et la gendarmerie. Le dialogue est rompu avec les barragistes, le mouvement se poursuit et se renforce. Les blocages se multiplient un peu partout dans l'île. Certains sont rustiques, quelques branches d'arbre sur la route, d'autres plus sophistiqués, avec l'installation de portails coulissants à Bandrélé et Chirongui. 

Le barrage de Ngwézi est désormais ouvert

Sur les barrages, l'ensemble de la population est représenté : salariés, fonctionnaires, sans emploi et même des entrepreneurs se mobilisent. Tous dénoncent le climat d'insécurité qui asphyxie l'île. "Nos enfants se font agresser, on ne peut plus dormir ni circuler tranquillement, on en marre. Personne ne se bouge", explique une manifestante au barrage de Passamainty. "On ne peut pas aller à Mamoudzou sans se cacher des jeunes de là-bas, des jeunes comme moi", ajoute un autre barragiste. "J'aimerais bien aller à Mamoudzou, faire ce que j'ai à faire, et rentrer chez moi sain et sauf."

Les femmes âgées et en première ligne

Les femmes, notamment les grands-mères, sont en première ligne de la mobilisation, occupant de nombreux barrages comme à Kangani. "Nous dormons ici, nous préparons à manger et le matin nous faisons des prières pour le succès du mouvement", raconte une femme âgée, assise sous une tente à proximité d'un barrage. Elles contribuent également au moral des troupes, avec des chants traditionnels.

Au plus fort du mouvement, une vingtaine de barrages sont recensés dans le département. Les principaux axes routiers sont bloqués et la circulation des barges entre Petite-Terre et Grande-Terre est interrompue. "On est coincé pour l'instant, il n'y a même pas de bateau clandestin", se désole un habitant de Petite-Terre devant l'embarcadère.

Une foule importante est bloquée à quai à l'embarcadère de Mamoudzou

Montant en intensité, le mouvement se structure et des leaders émergent. Parmi eux, des intellectuels, d'anciens élus et des figures du monde associatif. Une charte du barragiste est rédigée pour limiter les abus et les conflits. "On a trouvé un accord pour faire passer les véhicules de première nécessité, les ambulances, les pompiers, la sécurité civile, les médecins et le reste on verra", énumère un manifestant. Sur le terrain, ce texte n'est pas toujours respecté. 

Parmi les personnes qui sont restées sourdes à la charte du bon barragiste, on a des jeunes qui étaient alcoolisés

Insa de Nguizijou, historien

"On a mis les moyens sur la zone urbaine et périurbaine et on a oublié les campagnes, donc ces jeunes-là étaient là pour dire leur frustration et attirer l'attention sur le fait qu'il y a des personnes en souffrance en dehors de Mamoudzou", analyse l'historien Insa de Nguizijou. "Ils ont trouvé dans les barrages un exutoire, un moyen de s'exprimer."

La santé, l'éducation et l'économie, victimes des barrages

Malgré la charte, se déplacer devient un calvaire pour les professions médicales et les voyageurs. "On est obligé de franchir les barrages, j'ai mis trois heures pour aller à Poroani au lieu de 15 minutes", raconte un passant. Une grande partie de la population, notamment dans les zones rurales, se retrouve confinée. Les services publics fonctionnent au ralenti. Les établissements scolaires ferment, faute d'élèves et d'enseignants. "Je suis très inquiète, parce qu'on est très en retard et l'Education nationale ne va pas nous privilégier juste parce qu'on a subi les barrages", déplore une lycéenne.

Le barrage de Longoni ce mardi 27 février

 

Plus de 5.000 conteneurs sont bloqués au port de Longoni, certains produits sont en pénurie dans les rayons des magasins. De nombreuses entreprises sont à l'arrêt et appellent à l'aide. "Nous sommes responsables de nos collaborateurs, on ne va pas prendre le risque de les faire venir pour qu'ils mettent leur vie en danger", résume Bourahima Ali Ousseni, le président de la CPME, la confédération des petites et moyennes entreprises. "On n'est vraiment désespérée et on ne voit pas le bout du tunnel."

Le retour des congrès

Au fil des semaines, le mouvement perd une partie du soutien de la population, qui conteste ses méthodes. "Barrer dans le sud, ce n'est pas une bonne idée, il faut qu'on aille à Mamoudzou, c'est là-bas que ça se passe !", propose une passante. Pour maintenir l'élan, les forces vives reprennent la tradition des congrès, à Tsingoni le 4 février et à Pamandzi le 14 février, et organisent des manifestations dans les rues de Mamoudzou.

Les manifestants réunis devant le tribunal dont l'accès était barré par les forces de l'ordre

Ces manifestations dans le chef-lieu sont le théâtre de déferlements de colère. Le 6 février, la foule est gazée au lacrymogène quand elle essaye de franchir le cordon de police pour se rendre au tribunal. "Ils veulent nous intimider pour qu'on ne réclame pas nos droits, mais on va les réclamer même s'ils nous tuent !", affirme avec véhémence une manifestante. Plus tard dans la journée, les locaux d'associations comme Solidarité Mayotte sont cadenassés. Là aussi, le cortège essaye de forcer le dispositif policier avant d'être repoussé au lacrymogène. 

"Je suis écouté, pas forcément entendu par les forces vives, mais écouté. Avant que les choses ne dégénèrent, j'appelle à la responsabilité du gouvernement pour écouter maintenant les Mahorais, car je ne serai pas toujours écouté", mets en garde le président du conseil départemental, Ben Issa Ousseni. Mayotte est paralysée par les barrages, les négociations n'avancent pas. Après près de trois semaines de mobilisation, les forces vives attendent toujours une réponse du gouvernement. Elle arrivera le 11 février, avec la visite du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dans le département.