Les cartes sont-elles entre les mains des 23 députés LIOT ? Lundi 9 décembre, dans la matinée, le président de la République a continué ses consultations des différents groupes politiques du Parlement depuis la chute du gouvernement Barnier, renversé par l'Assemblée nationale la semaine dernière. En plus des communistes et des écologistes, Emmanuel Macron a reçu deux représentants du petit groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires (LIOT) du Palais Bourbon, Christophe Naegelen (élu des Vosges) et Martine Froger (Ariège). Tous deux ont demandé au chef de l'État de nommer un Premier ministre le plus rapidement possible. "Le pays est dans une situation d'urgence", a alerté Christophe Naegelen, vice-président du groupe.
Petit en taille (il ne compte que 23 députés), le groupe LIOT est néanmoins parvenu à devenir influent depuis sa création au lendemain des élections législatives de 2022. Dans une Assemblée nationale complètement éclatée en trois blocs difficilement conciliables (la gauche, le centre et l'extrême droite), le groupe d'élus hétéroclites – composé d'anciens socialistes, de transfuges de droite, de régionalistes corses et bretons, d'élus ultramarins – peut facilement tirer son épingle du jeu.
L'ouverture du PS
Refroidi par l'expérience Michel Barnier – le Premier ministre Les Républicains (LR) n'a tenu que trois mois à la tête d'une coalition bancale entre le bloc central et la droite –, Emmanuel Macron ne peut plus jouer les apprentis sorciers et espérer que les divergences idéologiques profondes des oppositions permettront de sauver son gouvernement. Il a désormais besoin d'une majorité beaucoup plus solide s'il veut que la France soit gouvernée convenablement (au moins jusqu'à la prochaine dissolution, qui ne peut intervenir avant le mois de juillet 2025).
On voit difficilement comment les trois grands blocs politiques qui composent le Palais Bourbon pourraient s'entendre. À l'extrême droite, personne ne veut travailler avec le Rassemblement national (RN). À gauche, le Nouveau Front populaire (NFP) pâtit de la réputation sulfureuse de la France insoumise (LFI). Et le bloc central, composé d'Ensemble pour la République, les Démocrates et Horizons, est indubitablement associé au bilan d'Emmanuel Macron depuis 2017, que beaucoup rejettent, voire pourfendent.
Néanmoins, les positions des uns et des autres ont quelque peu évolué depuis la chute du gouvernement Barnier. Le Parti socialiste (PS) d'Olivier Faure a fait savoir qu'il pourrait soutenir un gouvernement avec les centristes et la droite républicaine, au prix de concessions mutuelles. Mais le seul ralliement des socialistes ne serait pas encore suffisant pour assurer une stabilité gouvernementale.
C'est ici que le groupe LIOT entre en piste. Pour le politologue Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po, "l'arithmétique est favorable à tout le monde" : chaque groupe a un poids suffisamment important pour faire basculer la balance dans un sens comme dans l'autre. Mais, avec sa position centrale, "LIOT a une réelle position de pivot", estime le chercheur. En jeu : le seuil des 289 députés, qui octroierait une majorité absolue au futur gouvernement.
Un "gouvernement d'urgence nationale"
Depuis sa création, le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires, présidé par le député de Saint-Pierre et Miquelon Stéphane Lenormand, se veut constructif dans les débats à l'Assemblée nationale. LIOT s'est déjà montré crucial lors de la précédente législature et avait failli renverser le gouvernement sur la question de la réforme des retraites en 2023.
Cette fois-ci, le groupe pourrait bien peser dans la formation d'un gouvernement stable, qui permettrait de passer des textes de loi cruciaux, dont celui du budget. Dans l'hypothèse où le PS décide de s'embarquer avec les macronistes et la droite, le gouvernement ne serait soutenu que par 276 députés. Si l'on ajoute les 23 élus LIOT dans le lot, la majorité passerait à 299. De quoi assurer la gouvernabilité du pays. Ce qui donnerait une influence considérable aux membres du groupe transpartisan, qui bénéficierait d'une sorte de droit de veto sur chaque texte débattu à l'Assemblée.
Depuis la chute du gouvernement de Michel Barnier, le groupe milite pour la mise en place d'un "gouvernement d'urgence nationale". "Michel Barnier ne pouvait pas réussir, car il ne rassemblait pas l'ensemble des forces politiques, des sociaux-démocrates à la droite républicaine", grondaient les députés LIOT dans un communiqué.
C'est ce que sont venus répéter les deux vice-présidents du groupe, Christophe Naegelen et Martine Froger, au président Emmanuel Macron, lundi. Ils n'excluent d'ailleurs pas de travailler avec le prochain Premier ministre (ou la prochaine Première ministre), y compris en tant que membres du gouvernement. "Les critères pour participer au gouvernement sont très clairs : on veut quelque chose qui regroupe les différentes sensibilités, du travail en commun, pour l'intérêt du pays et l'intérêt des Français", a dit l'élu des Vosges aux journalistes qui l'attendaient à la sortie de l'Élysée.
LIOT, modèle de compromis
Mais l'affaire s'annonce délicate. Si quatre groupes parlementaires ont difficilement cohabité pendant trois mois (et n'ont pas réussi à s'entendre sur un budget, pourtant crucial pour l'année prochaine), comment six, sept, voire huit groupes parviendront-ils à s'entendre ? "Il faut faire un grand écart pour aller des socialistes à Bruno Retailleau", rappelle le spécialiste de la vie politique française, Olivier Costa.
Pour Olivier Serva, député de la Guadeloupe, ce n'est pas un problème : le futur exécutif pourrait au contraire se reposer sur l'expérience politique de LIOT, habitué aux discussions et aux compromis. "Nous sommes des hommes et des femmes politiques libres, d'obédiences politiques différentes", rappelle-t-il. Il faut "dupliquer ce modèle au sein du gouvernement", propose l'élu guadeloupéen.
Sauf qu'avoir des avis divergents au sein d'une coalition est parfois tout sauf un avantage pour assurer la stabilité du pays. Le groupe LIOT est l'un des moins homogènes dans ses votes à l'Assemblée nationale. D'après le site d'analyse de données politiques Datan, la cohésion des 23 élus est de 75 %, bien moins élevée que la moyenne des autres groupes (91 %).
"C'est un groupe qui comporte de fortes personnalités", souligne par ailleurs le politologue Olivier Costa. Or, l'intérêt général l'emporterait-il sur les intérêts particuliers de ces élus qui, par définition, ont un mandat pour défendre leur territoire ? Dans le cadre d'un accord de gouvernement, il n'est pas impossible que certains posent leurs conditions en échange de leur soutien. Par exemple, la présentation rapide d'une grande loi Mayotte, défendue par l'élue mahoraise Estelle Youssouffa.
"Nous pouvons travailler ensemble"
"Il faut révolutionner la façon de faire de la politique en France et à l'Assemblée nationale", dit Olivier Serva. L'élu guadeloupéen plaide pour qu'un accord de non-censure soit signé entre les forces politiques, puis que le futur gouvernement puisse trouver des majorités texte par texte. Mais les accords de principe ne sont pas les plus durables.
Une autre solution, qui permettrait davantage de stabilité, serait de conclure un accord de gouvernement au sein d'une grande coalition. Un programme de gouvernement serait donc préparé avant l'entrée en fonction de la prochaine équipe ministérielle. Mais ce modèle prendrait "des semaines et des semaines de négociations", estime le politologue Jean Petaux, ancien professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux. D'autant que, contrairement à l'Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas, habitués à la démocratie parlementaire, "le temps fait défaut et la France n'a pas cette culture du compromis", dit-il. Mais Olivier Serva refuse la fatalité : "Il ne faut pas avoir d'a priori. (...) Nous avons démontré que nous [les forces politiques de sensibilités différentes] pouvons travailler ensemble."
Lundi, Emmanuel Macron a dit aux représentants des partis qu'il a reçus qu'il voulait réunir toutes les forces politiques pour former un gouvernement, sans dépendre de l'assentiment du Rassemblement national, comme ce fut le cas sous Michel Barnier. Pour Christophe Naegelen, la diversité des opinions au sein de son groupe LIOT doit inspirer le futur locataire de Matignon : "On arrive toujours à travailler ensemble, à trouver des compromis, à faire un consensus... C'est ce qu'on demande, nous, pour un futur gouvernement."