Peine d'inéligibilité : le cas de l'ex-élu mahorais Rachadi Saindou devant le Conseil constitutionnel

Installation des membres du Conseil constitutionnel avant l'audience du 18 mars 2025 qui se penche sur la question prioritaire de constitutionnalité du Mahorais Rachadi Saindou.
Le Conseil constitutionnel se penchait ce mardi 18 mars sur la peine d'inéligibilité avec exécution immédiate du Mahorais Rachadi Saindou. Cette question prioritaire de constitutionnalité est guettée par d'anciens maires mahorais. Si le parallèle avec la situation de Marine Le Pen a été avancé, les avocats restent plus prudents.

Cinq avocats et un représentant du Premier ministre défilent devant les Sages ce mardi matin. Égrenant des numéros d'articles du Code électoral, de la Constitution et des Droits de l'Homme et du Citoyen, tous sont là pour répondre à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur les peines d'inéligibilité.

Une question soulevée par un élu mahorais, Rachadi Saindou, ex-président de la communauté d'agglomération de Dembéni-Mamoudzou (Cadema). Jugé pour des faits de détournement de fonds public, recels et prise illégale d'intérêt, ce dernier a été condamné le 25 juin 2024 à deux ans de prison dont un avec sursis et 50.000 euros d'amende.

Le juge a également prononcé une peine d’inéligibilité de deux ans et une interdiction d'exercer une fonction publique de quatre ans. Bien que l'élu mahorais ait fait appel de cette décision et doive donc être à nouveau jugé, il a été démis d'office de ses mandats de conseiller municipal et de conseiller communautaire, car sa peine était assortie d’une exécution provisoire, c'est-à-dire d'une application immédiate.

Une mise à mort politique

C'est ce dernier point précisément que Rachadi Saindou conteste, comme l'explique son avocate Me Myriam Gougeon : "C'est le fait qu'on le condamne définitivement au niveau politique, alors même que la décision pénale, elle, n'est pas définitive."

Cette condamnation est une "mise à mort" politique d'un élu, souligne un autre conseil lors de l'audience. "En pratique, dès lors qu'un élu va être démis d'office de son mandat, on sait très bien qu'il aura du mal à le récupérer, rebondit Me Gougeon. Le représentant du Premier ministre a beau dire que l'arrêté prononçant sa démission d'office devra être abrogé [en cas d'annulation de la décision en première instance, NDLR]. Oui mais en pratique, on fait comment ? Surtout si le mandat est fini, il ne risque pas de pouvoir le récupérer."

Ce qui prime donc pour elle est "la liberté des électeurs de déterminer quels peuvent être leurs élus" tant qu'ils ne sont pas définitivement condamnés. Bafouer cette liberté pourrait in fine remettre en cause "la séparation des pouvoirs" : "Parce que si on permet, sur la simple base d'une décision pénale qui n'est pas devenue définitive, qu'un élu soit privé de tous ses mandats, on voit bien qu'on est à la limite du juridique, du politique."

"On n'est plus sous l'Ancien régime"

La séparation des pouvoirs et le poids des contre-pouvoirs, c'est aussi et paradoxalement l'argument avancé par l'avocat de l'association anticorruption Anticor, Me Jérémy Afane-Jacquart. "S'il n'y a pas la possibilité de démettre des élus qui outrepassent leur pouvoir, les contre-pouvoirs n'existent pas, décrypte-t-il. Donc les séparations des pouvoirs n'existent plus non plus."

"Je ne me prononce pas sur le cas spécial de Monsieur Saindou, ce qui m'intéresse c'est l'application de la loi dans le respect de la Constitution, poursuit-il. Si le tribunal a estimé que l'exécution provisoire devait s'appliquer, c'est que le tribunal avait des bonnes raisons d'estimer qu'il devait être démis de ses fonctions immédiatement."

Il rappelle que ce n'est pas la liberté des électeurs ou la présomption d'innocence qui sont en jeu, mais "la probité publique". Ajoutant que l'on "n'est plus sous l'Ancien régime", il précise que "ce n'est pas une charge publique que les personnes possèdent, c'est un mandat de représentation. S'il y a un problème de confiance dans la représentation, le mandat doit prendre fin".

Corrompus par des puissances étrangères

Me Jérémy Afane-Jacquart se dit surtout très inquiet si jamais le Conseil constitutionnel tranchait en faveur des élus condamnés qui font appel des décisions de justice.

"En l'absence de l'exécution provisoire, on pourra avoir des élus qui sont corrompus, achetés par les puissances étrangères, surtout dans le contexte actuel, alerte-t-il en faisant un parallèle avec l'affaiblissement des contre-pouvoirs aux États-Unis d'un côté, et les pays accusés d'ingérence comme l'Azerbaïdjan ou la Chine de l'autre. Il faut qu'on puisse très rapidement assurer des contre-pouvoirs en les démettant de leurs fonctions."

L'avocat d'Anticor reconnaît cependant qu'il faudrait changer deux aspects : à savoir que le juge doive donner les raisons pour lesquelles il décide d'une exécution immédiate, et que cette décision soit prise à l'issue d'un débat contradictoire.

Et le lien avec Marine Le Pen ?

Les avocats lors de l'audience du Conseil constitutionnel du 18 mars 2025 qui se penche entre autres sur le cas du Mahorais Rachadi Saindou.

Dans la salle d'audience, un certain nombre de journalistes étaient présents non pas pour le cas de Rachadi Saindou mais de Marine Le Pen. Cette dernière attend la décision du tribunal le 31 mars prochain dans l'affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national. Le procureur a requis contre elle cinq ans de prison, dont deux ans de prison ferme, et surtout cinq ans d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire, ce qui l'empêcherait de se présenter à l'élection présidentielle.

Beaucoup ont fait le rapprochement avec le cas de Rachadi Saindou, inéligible pendant deux ans de par sa condamnation. Mais pour son avocate, il y a confusion. Elle précise que sa question prioritaire de constitutionnalité "ne porte que sur les mandats en cours, pas sur les mandats à venir". Donc Marine Le Pen ne devrait pas être impactée directement par cette décision du Conseil constitutionnel mais bien par le juge qui doit statuer sur son cas.

Mise en délibéré, la décision des Sages sera rendue le 28 mars prochain.