"2468, 2476, 2491 et 2492" égrène au micro un agent de la plate-forme Covid tahitienne, sous le grand chapiteau de la présidence de la Polynésie française. Toutes les cinq minutes, il annonce une série de numéros : les personnes positives au Covid-19. Devant lui ce lundi après-midi, plusieurs centaines de Polynésiens attendent leur test PCR dans ce bâtiment qui tient pourtant plus du palais que de l'hôpital.
Vingt-trois personnes sont décédées du Covid-19 dans les trois jours précédents, la pire série depuis le début de l'épidémie dans cette collectivité d'outre-mer de 280 000 habitants. Le taux d'incidence atteint le total vertigineux de 2 252 pour 100 000 habitants dépassant même les chiffres des Antilles où la pandémie fait aussi des ravages.
Loins d’en avoir fini avec l’épidémie
Les Polynésiens ont boudé le vaccin pendant plusieurs mois, se croyant débarrassés du virus: début juillet, plus personne n'était hospitalisé, et les nouveaux cas quotidiens se comptaient sur les doigts d'une main. Mais depuis deux semaines, ils se ruent dans les centres de vaccination, où plus de 2 000 doses sont administrées chaque jour.
J'ai un cas à la maison donc je suis cas contact et puis j'ai des symptômes grippaux, pour moi rien de grave mais je ne veux pas transmettre le virus à mes parents, qui sont septuagénaires et non vaccinés.
Après une diffusion rapide du variant Delta, la moitié des 412 lits du Centre hospitalier sont occupés lundi par des Polynésiens positifs au Covid et 36 patients sont en réanimation. Selon sa directrice Claude Panero, l'hôpital doit chaque jour "pousser les murs". Certains malades arrivent par avion d'autres archipels, moins habités et peu équipés en structures de santé. Mais le centre hospitalier est contraint de refuser des patients. La saturation gagne aussi la morgue : à côté de l'hôpital, deux conteneurs réfrigérés permettent d'accueillir de nouveaux corps.
Un Polynésien sur trois vacciné
Pour l'hôpital et le gouvernement local, cette situation dramatique est liée au faible taux de vaccination. Seul un Polynésien sur trois est vacciné. Et selon le ministre de la Santé Jacques Raynal, 98% des patients admis en réanimation ne sont pas vaccinés. Le diabète, l'obésité, les maladies cardio-vasculaires et l'insuffisance rénale, très présentes en Polynésie, augmentent les risques de développer des formes graves.
Le samedi, la présidence se mue en vaccinodrome. Toute la semaine, c'est un centre de tests. "J'en fais un toutes les trois minutes : il faut rester aimable même si c'est un peu du travail à la chaîne", sourit, derrière son masque, une infirmière fatiguée qui souhaite rester anonyme.
"Nous sommes dans une situation critique et malgré ça, certains sont toujours contre le vaccin parce qu'ils regardent n'importe quoi sur les réseaux sociaux, et ils respectent peu les gestes barrières, puisque le président lui-même ne les respecte pas", regrette Tere Ena, une étudiante de 21 ans.
Un mariage qui a fait polémique
L'étudiante fait allusion à la fête de mariage du vice-président Tearii Alpha durant laquelle le président Edouard Fritch a été filmé en train d'assurer, sans masque, l'animation musicale devant plusieurs centaines de convives, quelques jours après avoir interdit ces rendez-vous festifs. Pour le moment, le confinement est limité au dimanche, avec de nombreuses dérogations, notamment pour aller à la messe. Le couvre-feu est instauré depuis une semaine, de 21 heures à 4 heures du matin.
L'industrie touristique, moteur de l'économie locale, accuse le coup. Quinze Américains, déclarés positifs au Covid, n'ont pas pu embarquer sur leur vol retour. La Polynésie craint le retour du scénario catastrophe de l'année 2020 : elle avait accueilli trois fois moins de visiteurs qu'en 2019.
Au palais présidentiel, les équipes épuisées rangent leur matériel. "Ici, on a testé 2 007 personnes aujourd'hui, on a renforcé nos équipes mais on refuse du monde", constate la biologiste Sophie Olivier pendant que les équipes de la présidence désinfectent plusieurs centaines de chaises. Le lendemain matin, il faudra recommencer.