"Si vous ne savez pas faire, on va faire nous-mêmes" : au bilan d'étape du CIOM, des élus guyanais remontés réclament plus d'autonomie

Le sénateur Georges Patient, le député Jean-Victor Castor et le président de l'association des maires guyanais Michel-Ange Jérémie au ministère des Outre-mer, le 23 novembre 2023.
Invités par le ministre délégué chargé des Outre-mer pour faire un point sur l'avancée des 72 mesures du Comité interministériel aux Outre-mer, les représentants de la Guyane ont vivement exprimé leur désir d'autonomie, qui n'était pas à l'ordre du jour.

"Les échanges ont été très tendus et houleux." Au sortir du premier bilan du Comité interministériel des Outre-mer (CIOM) jeudi 23 novembre, en fin d'après-midi, Gabriel Serville, le président de la collectivité territoriale de Guyane, et le député Jean-Victor Castor (Gauche démocrate et républicaine) ont tapé du poing sur la table, réclamant au ministre délégué aux Outre-mer, Philippe Vigier, une accélération sur le sujet de l'évolution institutionnelle, alors que la question n'était pas à l'ordre du jour.

Invités à échanger sur les 72 mesures du CIOM, présentées par le gouvernement au mois de juillet et dont dix sont déjà opérationnelles selon le ministère des Outre-mer, les parlementaires, le président de l'association des maires de Guyane, le préfet et le président de la collectivité territoriale ont évoqué plus largement les problèmes dont souffre le département. Enclavement, extrême pauvreté, destruction de l'environnement...

Si le gouvernement assure qu'une des mesures qui sera prochainement concrétisée permettra de mieux sécuriser le transport scolaire des enfants guyanais obligés de prendre une pirogue pour aller à l'école, les élus ne voulaient en réalité pas entendre parler du CIOM, considéré comme un ensemble de "réformettes" selon les mots du député Jean-Victor Castor. "Notre feuille de route, c'est d'abord l'évolution institutionnelle" et "l'éradication définitive de l'orpaillage illégal", a exprimé Gabriel Serville. Or, aucun de ces deux thèmes ne fait partie des mesures du Comité interministériel des Outre-mer.

Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane, après le point d'étape sur le CIOM au ministère des Outre-mer, le 23 novembre 2023.


Une méthode critiquée

"On n'aura pas le chaos, on est déjà dans une situation chaotique", a tancé le député Castor sur le perron du ministère, après 2 h 30 de réunion. "Nous avons sept communes sur 22 qui sont totalement enclavées", "Vous capitulez face aux garimpeiros !", "Le changement radical qui doit être opéré, c'est maintenant"... Jean-Victor Castor n'a pas retenu sa colère face à Philippe Vigier.

Le dialogue semble rompu entre l'État et les représentants guyanais de la CTG et de l'Assemblée nationale. Le député Davy Rimane (Gauche démocrate et républicaine), par ailleurs président de la Délégation aux Outre-mer, a même préféré décliner l'invitation du ministre et ne s'est pas présenté au point d'étape proposé par le ministre.

"Il va falloir que l'on change la méthode. [Celle] qui est utilisée en ce moment ne nous convient pas", a critiqué Gabriel Serville, signataire d'un courrier avec d'autres chefs d'exécutifs d'Outre-mer décriant le "procédé de discussion infantilisant" du ministère. Pour lui, donner une large autonomie à la Guyane est primordial pour répondre aux défis du territoire. Or, il a l'impression que le pouvoir recule sur le sujet.

Je rappelle qu'en septembre 2022, [Emmanuel Macron] nous avait dit que les Outre-mer étaient arrivés au bout d'un cycle, qu'il fallait changer de logiciel (...). À ce jour, j'ai vraiment l'intime conviction que ce que dit le président de la République ne trouve pas véritablement d'écho auprès des membres du gouvernement.

Gabriel Serville, président de la Collectivité territoriale de Guyane

Une mission lancée par Emmanuel Macron

Philippe Vigier, qui voulait avant tout évoquer les mesures du CIOM – même s'il a laissé libre champ aux élus pour évoquer les sujets qui les préoccupent plus largement –, a dit rester ouvert pour discuter plus en profondeur des revendications des Guyanais. "Je leur ai dit ma disponibilité pour travailler sur l'institutionnel, (...) ma disponibilité pour travailler sur les questions de sécurité, (...) ma disponibilité pour parler de l'orpaillage illégal... (...) On se reverra, on aura des séances de travail", a-t-il promis.

"Il nous faut une intention, il nous faut un calendrier et il nous faut une méthode", a admonesté Gabriel Serville. Le ministre délégué a renvoyé vers l'intervention d'Emmanuel Macron il y a un mois sur l'évolution institutionnelle des territoires d'Outre-mer. "Deux personnalités qualifiées [...] vont voir l'ensemble des collectivités pour savoir quelles sont leurs attentes. Ce travail va être réalisé dans les toutes prochaines semaines." 

La réunion à Paris de ce jeudi, qui se voulait être une démonstration de la méthode de co-construction prônée par le ministre Philippe Vigier, a en réalité exposé le fossé qui se creuse entre Paris et les Outre-mer et qui s'était exprimé dans les urnes en 2022. "Si vous ne savez pas faire, on va faire nous-mêmes. Mais laissez-nous faire !", a exigé Jean-Victor Castor avant de quitter le ministère des Outre-mer, remonté.