"Quand j'ai fait mon coming-out, ma mère m'a rasé le crâne en me disant que c'était pour enlever le diable." Bradley Chan Tsun Ching a 25 ans. Né à l'île Maurice, il a vécu dix ans à La Réunion, entre le collège et ses trois premières années d'études supérieures. "Depuis que je suis enfant, j'ai le souvenir d'un malaise. À chaque fois que je jouais avec une poupée de mes cousines, ma famille avait tendance à m'en empêcher." En grandissant dans une famille très religieuse, il a dû affronter l'homophobie de sa mère : "Elle m'a emmené chez mon médecin traitant et lui a dit que je ne savais pas qui j'étais, que j'étais sans doute malade", raconte-t-il. Aujourd'hui, il ne lui parle plus.
Samedi 24 juin, avec des milliers de lesbiennes, de gays, de bisexuels, de personnes transgenres et queers, il sera présent à la Pride de Paris, où il vit désormais. Mais il n'y sera pas en tant que jeune homosexuel voulant revendiquer fièrement son identité (ça, il le fait tous les jours). Cette année, il y sera pour le travail. Car, depuis peu, ce passionné de politique est collaborateur parlementaire de la députée Renaissance Clara Chassaniol, dont la circonscription s'étend sur les lieux où se déroulera la Marche des Fiertés parisienne. Pour Bradley, qui est également porte-parole Outre-mer du mouvement des Jeunes avec Macron, l'engagement en politique est intrinsèquement lié à son combat pour la minorité LGBT.
L'année où je suis arrivé à La Réunion, c'est l'année où on a commencé les débats sur le mariage pour tous. Ça a été le projet de loi qui m'a secoué, qui m'a fait dire : "Si je veux être libre, c'est à moi de me battre pour ma liberté".
Bradley Chan Tsun Ching, 25 ans, Réunionnais
Comme Bradley, Ève, qui préfère ne pas donner son nom, est originaire de La Réunion. Et, comme Bradley, sa mère a eu une réaction malheureuse en apprenant que sa fille était lesbienne. "Et mes petits-enfants ? J'en aurais pas", lui a-t-elle lâché, irritée. "On s'est fait la gueule pendant plusieurs semaines (...). C'est vraiment très égoïste. Elle se disait : 'Mon Dieu, qu'est-ce que j'ai loupé ?'. Elle m'a envoyé voir un pédopsychiatre, comme si j'en avais besoin, moi. Mais je ne lui en veux pas", dit Ève. "Aujourd'hui, tout se passe très bien. Je suis mariée et c'est une maman extraordinaire."
Une communauté LGBT invisible en Outre-mer
La Réunionnaise de 36 ans, qui travaille dans l'achat de gros alimentaire à Rungis, a un souvenir heureux de sa jeunesse à Saint-Pierre. "Mon adolescence a été extraordinaire. J'étais dans un collège et lycée privé catholique. J'ai jamais eu autant d'expérience de ma vie ! Et j'ai jamais eu de soucis", dit-elle, s'excusant presque de ne pas avoir d'histoires dramatiques et traumatisantes liées à son orientation sexuelle à raconter. Bradley Chan Tsun Ching n'a pas que des souvenirs douloureux non plus. Il se souvient, par exemple, avoir été agréablement surpris par la réaction de sa grand-mère – "C'est la seule qui n'a pas voulu me changer" –, ou de soirées passées au Prince Club, la seule boîte gay de Saint-Denis de La Réunion, avec ses camarades de l'université.
Pourtant, les deux Réunionnais le reconnaissent : "La communauté [LGBT] n'est pas visible à La Réunion". Et c'est partout le cas dans les territoires d'Outre-mer, ou cette invisibilité s'accompagne très souvent de violences accrues. Lors de la Marche des visibilités réunionnaise de l'année dernière, le président de l'association Requeer a été violemment tabassé. En début d'années, les locaux du centre LGBT+ de l'île ont été incendiés... En 2018, un rapport parlementaire soulignait que la haine anti-LGBT était plus virulente en Outre-mer que dans l'Hexagone. Ces territoires, pour l'essentiel insulaires, manquent d'infrastructures et d'associations pour accueillir les jeunes lesbiennes, gays, bisexuels, transsexuels et personnes queers.
Pour beaucoup d'Ultramarins, c'est en s'installant dans les grandes villes de l'Hexagone qu'ils apprennent à vivre pleinement leur homosexualité, loin des pressions familiales. "Arriver à Paris, c'était la liberté, se rappelle Bradley. Déjà, rien que de voir qu'il y avait des hommes qui se tenaient la main dans la rue, qu'il y avait le Marais [quartier LGBT de Paris]..." Ève, elle, s'est inscrite dans plusieurs associations sportives queers de la capitale, dont le FC Arc-en-ciel, un club de foot LGBT, où elle tient le poste de goal. Elle déplore qu'à La Réunion, ce genre d'association n'existe pas.
Je trouve que, par rapport à la métropole, il n'y a pas assez d'associations à La Réunion. Il y a le centre LGBT, point. Si on se sent seul, on ne va pas juste aller au centre LGBT. Tu vas ressortir avec des prospectus et des capotes. Mais c'est tout. On devrait beaucoup s'inspirer de ce qui se fait en métropole, à Paris.
Ève, 36 ans, Réunionnaise
L'homophobie, "c'est devenu une habitude"
James Paris, jeune homme queer de 23 ans, a grandi de l'autre côté de l'Atlantique, en Guyane. Né en Colombie, il a vécu une grande partie de sa vie à Cayenne, avant de venir s'installer à Bordeaux pour ses études de stylisme. Depuis tout petit, ce passionné de mode savait qu'il ne rentrait pas dans les cases créées par la société. "J'avais très peur du regard des autres, du regard de la famille, parce que le milieu [de la mode] était considéré comme un milieu pour les femmes", explique-t-il. Sa famille l'a très vite accepté. Mais, en Guyane, les mentalités sont différentes de l'Hexagone, où il vit aujourd'hui. "Comme partout, tu te fais juger, tu te fais critiquer, tu te fais pointer du doigt, tu te fais observer... Ça ne change pas. Mais en Guyane, c'était un peu plus sévère."
Le jeune styliste en herbe en est venu à intégrer une certaine homophobie. Faut-il s'habiller librement, quitte à briser les codes de genre (ce qu'il adore faire) ? Pas partout. Faut-il répondre aux insultes ? Pas tout le temps. "C'est devenu une habitude, admet-il. À chaque coin de rue [à Cayenne], c'était 'PD', ou d'autres insultes en créole guyanais. C'était par mes propres potes, donc limite je le prenais comme un bonjour. Pour moi, c'était normal." À force d'être insulté au lycée, le Réunionnais Bradley Chan Tsun Ching en est, lui, devenu cynique : "Des fois, ça m'arrivait d'avoir du répondant, raconte-t-il. Quand des garçons se moquaient de moi et qu'ils me traitaient de 'sale PD' en créole réunionnais, je me retournais et leur disais : 'Ah, bah, c'est pas ce que tu m'as dit hier soir au lit'. C'était le genre d'insolence que j'avais développé pour me défendre, pour revendiquer qui j'étais."
Adeline Rapon, une métisse martiniquaise, se dit chanceuse d'avoir grandi dans un milieu tolérant et ouvert. Elle est née et a toujours vécu à Paris, où il est plus facile d'être anonyme et de vivre sa vie. Mais, régulièrement, elle fait des allers-retours en Martinique, l'île de son père. "Le fait que ce soit tout petit, où tout le monde se connaît, ça influe énormément sur la façon dont on peut vivre son homosexualité", pense-t-elle.
Même si elle-même ne se sent pas discriminée quand elle se rend aux Antilles, elle relativise avec sa position particulière de métropolitaine martiniquaise de passage : "Par rapport aux personnes qui sont locales, moi, je m'en vais." Les locaux, eux, doivent s'accommoder ou, parfois, se cacher. Mais cette photographe militante et queer profite de ses passages en Martinique et de son appareil photo pour leur donner plus de visibilité. Par exemple, du 20 juin au 4 juillet, elle présente à Fort-de-France l'exposition "Lien·s" consacrée aux LGBT de l'île.
J'ai demandé à chaque personne qui a répondu à mon appel qu'elle me raconte une petite histoire, mais en inventant des façons de communiquer. Parce que la communauté LGBT est quand même très habituée à avoir des façons alternatives de communiquer, ne serait-ce que par sécurité. [L'exposition], c'est donc plusieurs portraits (...) avec des récits à la fois profondément martiniquais, et profondément LGBT.
Adeline Rapon, Martiniquaise, photographe
Intimement liée à son île, et fervente militante queer, cette Martiniquaise œuvre pour donner à toutes ces personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers, intersexes, asexueelles, et toutes les autres minorités, une voix. Avec un objectif : "Que ce récit de la marge devienne un récit aussi central."