Ce devait être la première destruction de logements insalubres de l'opération lancée par Gérald Darmanin à Mayotte. L'évacuation du bidonville Talus 2, situé dans le quartier de Majicavo à Koungou, initialement prévue mardi à partir de 6h00, a été suspendue dans la nuit par le tribunal judiciaire de Mamoudzou. La justice a constaté "l'existence d'une voie de fait", tenant aux conditions d'expulsion jugées "irrégulières" par les personnes s'opposant à l'expulsion.
"Le préfet de Mayotte prend acte de la décision du tribunal judiciaire de Mamoudzou. Il a demandé aux avocats de l'État de faire appel", a indiqué à l'AFP la préfecture de Mayotte.
"On a gagné"
Peu après 6h00, des affrontements sporadiques avaient lieu sur place entre des jeunes du quartier et des forces de l'ordre déployées en grand nombre, selon une journaliste de l'AFP. Pas très loin, des émeutes ont eu lieu entre les forces de l'ordre et les habitants du bidonville voisin de "Majicavo Dubaï" dès l'aube. Des barricades de poubelles et pneus avaient été installés tout le long de l'axe principal de l'île menant au secteur. Les forces de l'ordre, prises à partie par des jets de pierres, ont répliqué par des tirs nourris de LBD et grenades lacrymogènes.
À Talus 2, femme et enfants célébraient leur victoire contre l'arrêté d'expulsion prévu pour 6h00 sous le survol de l'hélicoptère. "Je suis trop contente, on a été au tribunal, on a gagné, rien ne va être détruit, enfin du repos", a déclaré Mdohoma Hadja, 33 ans, habitante du quartier pointant les mains en l'air en signe de joie vers le ciel.
"Finalement, on nous a fait attendre de deux heures de temps pour le verdict qui est tombé", a déclaré un autre habitant présent lundi pour l'audience, Hamadi Mohamed. "C'est vrai, le terrain ne nous appartient pas, il appartient au conseil général, mais ils nous ont laissé rester ici", ajoute-t-il.
Le Préfet de Mayotte Thierry Suquet avait affirmé lundi que la France "n'arrêtera(it) pas" les opérations de lutte contre la délinquance et l'habitat insalubre pour lesquelles quelque 1.800 membres des forces de l'ordre ont été déployés à Mayotte, archipel français de l'océan Indien.
Refus des Comores
Dans le cadre de l'opération baptisée Wuambushu ("reprise"en Mahorais), la France prévoit de déloger des migrants en situation irrégulière des bidonvilles de Mayotte, 101ᵉ département français, et d'expulser les sans-papiers – pour la plupart Comoriens – vers Anjouan, l'île comorienne la plus proche située à 70 km.
Mais les Comores ont refusé lundi l'accostage d'un navire transportant une soixantaine de personnes. Le Préfet de Mayotte a dit espérer "reprendre rapidement" les rotations de bateaux vers l'île comorienne d'Anjouan.
Les deux députés du département, Estelle Youssouffa (Liot) et Mansour Kamardine (LR), ont apporté leur "soutien" à l'opération controversée, Mme Youssouffa voyant dans les bidonvilles des "foyers d'insécurité, de violence, qui abritent les trafiquants et les gangs".
À l'inverse, l'association Droit au logement (DAL) a appelé dimanche à stopper cette opération "brutale" et "anti-pauvres" et le collectif "Uni-e-s contre une immigration jetable" (UCIJ-2023), qui réunit 400 associations et syndicats, a dit lundi craindre "des violences et atteintes au droit".
De nombreux migrants africains, surtout comoriens, tentent chaque année de rallier clandestinement Mayotte. Ces traversées hasardeuses prennent souvent une tournure dramatique avec des naufrages de "kwassa kwassa", petites embarcations de pêche à moteur utilisées par les passeurs.
Faisant géographiquement partie de l'archipel comorien, Mayotte s'est séparée des Comores en 1974, à la suite d'un référendum où les trois autres îles ont choisi l'indépendance. Elle est devenue département français en 2011, les Comores refusant toujours d'y reconnaître la souveraineté de la France.
En 2019, Moroni s'était engagé à "coopérer" avec Paris sur l'immigration, en échange d'une aide au développement de 150 millions d'euros sur trois ans.