Avec son Cabaret Makoumè Superstar, l'humoriste Noam Sinseau casse les codes de l'identité

Noam Sinseau présente le Cabaret Makoumè Superstar, le 18 octobre 2024, à Paris.
Après une première édition réussie en juin, le Martiniquais a de nouveau réuni une bande d'artistes à La Flèche d'Or, célèbre adresse LGBTQIA+ parisienne, vendredi 18 octobre, pour un spectacle hystérique et politique. Un seul mot d'ordre : la révolte contre le racisme, l'homophobie, le patriarcat... tout en riant.

Noam Sinseau est homosexuel. Il le revendique haut et fort. Il est également noir. Il le revendique aussi haut et fort. Et il a grandi en Outre-mer. En Martinique, plus précisément. Encore une fois, il le revendique fièrement. Sauf que, parfois (et peut-être trop souvent), les multiples facettes de son identité se heurtent à une société qui oublie un peu vite qu’elle habite la patrie des droits de l’Homme. Être homosexuel dans les territoires ultramarins ? C’est loin d’être tous les jours très gai. Être Noir dans l’Hexagone ? Le racisme est sans conteste encore une réalité en France.

Le jeune Martiniquais, un humoriste et danseur âgé de 26 ans, a décidé d’accepter et de chérir sa multi-identité, et d'en faire une arme. "Il faut renverser le système raciste, colonial, homophobe, sexiste, mysogyne, transphobe, capitaliste dans lequel on est aujourd'hui", expose Noam, qui assume clairement son engagement à gauche.

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Son Cabaret Makoumè Superstar – dérivé de son one-man-show qu'il présente tous les mardis soir à la Nouvelle Seine, à Paris – en est un vecteur. Après une première édition réussie en juin, il a décidé de convier de nouveau ses amis-artistes, vendredi 18 octobre, pour monter de toute pièce un spectacle qui revendique fièrement de célébrer la culture queer afrodescendante.

Je voulais faire passer un message de collectif. De dire qu'on doit s'armer collectivement, se soutenir ensemble pour pouvoir avancer et faire en sorte que nos histoires changent. Nos parcours, nos récits de vie prennent une tournure plus glorifiante pour nous tous. On en a marre de vivre en tant qu'opprimés. On est des victimes de ce système.

Noam Sinseau, humoriste martiniquais

Casquette sur la tête, piercing au nez, silhouette fine, le Martiniquais est assis sur une chaise dans ce qui sert de backstage aux stars de la soirée, qui se déroule dans la mythique salle de La Flèche d’Or, très connue dans le milieu LGBTQIA+ parisien. Ce soir-là, Noam Sinseau porte plusieurs casquettes. Il y a d’abord celle du chef d’orchestre du cabaret, qui doit veiller à la bonne organisation de la soirée. "On met les chaises là et des bancs comme ça", ordonne-t-il. Il y a ensuite celle du militant, clairement engagé à gauche, révoltés contre le colonialisme, le patriarcat, le racisme et l'homophobie. "On doit être sur tous les fronts." Et puis il y a la dernière, la plus belle, la plus drôle : la casquette de l’artiste. Ou plutôt, de la superstar.

Noam Sinseau pendant le Cabaret Makoumè Superstar, à Paris, le 18 octobre 2024.

Les LGBTQIA+ invisibilisés en Outre-mer

Noam ne s’en cache pas : son Cabaret Makoumè Superstar ("Makoumè" est un terme familier pour désigner les personnes homosexuelles aux Antilles) accueille la crème de la crème des artistes noirs et queers, qu’ils dansent, chantent, se métamorphosent ou fassent des blagues. Enfin, c'est selon lui. Car, en réalité, ces artistes-là, aussi doués soient-ils, ne sont pas véritablement connus. Ensemble, ils forment une troupe d’amis, qui se connaissent plus ou moins, mais qui partagent le même désir : celui de la révolte. Cette deuxième édition du cabaret est donc une belle vitrine pour à la fois porter un message, mais aussi se faire connaître.

Tandis que Noam Sinseau, le chef de la soirée, répète sur scène, d’autres s’apprêtent en coulisses. Un cabas aux motifs madras trône là, au milieu de la pièce, à côté d'une valise qui porte encore une étiquette d'aéroport. Nicolas Verschaffel Thelcide, plus connu sous le nom de Mystic Balenciaga, se maquille. Cette drag queen de 30 ans est une proche de Noam. Elle aussi vient de Martinique (son accent l'a trahie). Et elle aussi a un message à porter dans ce cabaret pas comme les autres. "On sait très bien que la communauté LGBTQIA+ manque de visibilité dans la Caraïbe. Beaucoup restent en retrait et n'osent pas s'exprimer", regrette Mystic. Pour son numéro, cette drag queen grande et mince performe sur une chanson du Martiniquais Jean-Yves Ruppert (Mété twel anlè pwel), grande figure de la scène humoristique antillaise qui a pour habitude de se grimer en femme dans ses sketchs.

Un clin d'œil aux territoires d’Outre-mer où être homosexuel, lesbienne, bisexuel ou transsexuel est encore une expérience compliquée. La communauté LGBTQIA+ y est largement invisibilisée. Les actes homophobes sont toujours légion. Récemment, une campagne de photographies queers organisée par l'association KAP Caraïbe et par la Martiniquaise Adeline Rapon a été vandalisée dans les rues de Fort-de-France, en marge de la mobilisation contre la vie chère que connaît le département. À La Réunion, les locaux d'OriZon, un des rares lieux consacré à la communauté LGBT+ de l'île, ont été incendiés en février 2023

Pourtant, le soleil commence petit à petit à se lever dans ces territoires. Des personnalités queers émergent sur la scène publique, permettant à beaucoup de jeunes de s’identifier et de mieux appréhender leur identité. Des marches des fiertés se tiennent ici et là. Les drags queens n’hésitent pas à présenter leur art chez elles, dans les îles, comme la Martiniquaise Soa de Muse ou la Réunionnaise Norma Bell, révélées par l’émission Drag Race France sur France Télévisions.

"Il y a du sperme dans la salle ?"

En tant que personnes LGBTQIAT+, "on peut se sentir invisibilisés", déplore la Guadeloupéenne Tahnee, humoriste qui joue beaucoup de son orientation sexuelle dans son spectacle. "C'est bien d'avoir des espaces pour le faire." C'est donc sans douter une seconde qu'elle a répondu à l'invitation de Noam Sinseau pour participer à son cabaret.

Il est minuit passé quand la comédienne entre sur scène au son de I’m Coming Out de Diana Ross. Hommes, hétérosexuels, blancs... Tout le monde en prend gentiment pour son grade dans ce condensé de son one-woman-show que la Guadeloupéenne a joué à Paris pendant plusieurs mois, qu’elle a présenté à La Réunion récemment, et qui sera à La Cigale le 25 octobre, une grande première. "Il y a du sperme dans la salle ?", demande grivoisement Tahnee en évoquant le projet de PMA qu'elle a lancé avec sa compagne. Elle-même est hilare de sa blague. Le public aussi.

L'humoriste Tahnee au Cabaret Makoumè Superstar, à Paris, le 18 octobre 2024.

La danseuse Sophie May répète sur la scène de La Flèche d'Or, le 18 octobre 2024, à Paris.


Hystérique, politique et sincèrement drôle, le cabaret de Noam Sinseau a vu défiler de nombreuses humoristes (mention spéciale à l’hilarante Natacha Gomez, qui fait la première partie du Martiniquais à la Nouvelle Seine), des drags queens (outre Mystic Balenciaga, Rajah Owens, une Guadeloupéenne, a emballé La Flèche d'Or avec sa prestation sur le son Stand Up de Cynthia Erivo), une danseuse (Sophie May) qui a enflammé la scène avec son voguing (style de danse urbaine prisé de la communauté queer), un poète (Jerry) ainsi qu’une chanteuse canado-haïtienne (Mélissa Laveaux), qui a apporté un peu de douceur à ce grand carnaval. Cette dernière n’a d’ailleurs pas eu de remords à tacler les propriétaires de La Flèche d’Or ("Vous n’êtes pas accessibles pour tout le monde", a-t-elle lancé sur scène) alors qu’elle a eu du mal à se déplacer avec sa canne.

"Tu brûleras"

Noam Sinseau, fil rouge de la soirée, a aussi donné du sien pour rendre la soirée mémorable. Très à l’aise dans ses interactions avec le public, il a même réussi à occuper 30 minutes du spectacle en mettant sous les projecteurs trois hommes hétérosexuels pour savoir lequel d’entre eux était le plus déconstruit (sans cacher le crush qu’il a eu sur l’un d’eux). Le Martiniquais, jonglant avec l'humour et les revendications politiques, a aussi ramené la révolte au cœur du cabaret en évoquant les manifestations contre la vie chère en Martinique. "J'ai écrit le fil conducteur juste avant les révoltes par rapport à la vie chère, dit-il. J'étais en vacances en Martinique et je me suis rendu compte à quel point c'était important pour nous de devoir renverser ce système qui nous écrase. Je suis content que ce cabaret tombe pile-poil sur cette période."

Le jeune homme a pris un moment sur scène pour lire un poème. "Tu n'as jamais brûlé autant qu'ils t'ont brûlé (...). Alors, tu brûleras Palestine. Alors, tu brûleras Liban. Alors, tu brûleras Congo. Alors, tu brûleras Guadeloupe. Alors, tu brûleras Haïti. Alors, tu brûleras Martinique"… Le Cabaret Makoumè Superstar est un coup de poing aux violences sociétales liées au genre, à l'orientation sexuelle, à l'origine ethnique et sociale. Être drôle et grinçant à la fois, faire rire et militer, c'est ça être une superstar. S’il pense déjà à la troisième édition de son cabaret, Noam Sinseau a en tête un de ses plus grands rêves : présenter le Cabaret Makoumè Superstar dans les Outre-mer.

Regardez quelques extraits du Cabaret Makoumè Superstar de Noam Sinseau : 

Extraits du Cabaret Makoumè Superstar de Noam Sinseau, le 18 octobre 2024, à La Flèche d'Or. ©Quentin Menu