"Le sang a coulé. Ça n'était pas arrivé depuis 1988. Il faut apaiser par le dialogue." Lundi 17 février, à quelques jours d'un long déplacement en Nouvelle-Calédonie, le ministre des Outre-mer Manuel Valls a répété sa méthode pour aboutir à un accord politique entre les indépendantistes et les non-indépendantistes calédoniens. Invité de la matinale de Franceinfo, l'ancien Premier ministre promet qu'il ne "précipiter[a] pas les choses".
Lors de discussions bilatérales avec l'ensemble des mouvements politiques calédoniens ces deux dernières semaines, le ministre a pu écouter les revendications des uns et des autres. Certaines positions, celles du FLNKS (principal mouvement indépendantiste) et celles des Loyalistes et du Rassemblement-Les Républicains (principal mouvement non-indépendantiste), s'avèrent toutefois difficilement conciliables, rendant la tâche ardue, voire impossible.
"Je veux prendre le temps nécessaire. Il n'y a pas un sujet qui doit s'imposer aux autres", dit le ministre des Outre-mer, qui a repris la main sur l'épineux dossier de l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Il se rendra sur le Caillou à partir du 22 février pour au moins huit jours afin d'avancer dans les discussions.
"Nous sommes dans un processus de décolonisation", dit Valls
Les relations entre l'État, les indépendantistes et les non-indépendantistes se sont fortement dégradées depuis les émeutes de 2024. "Les émeutes du 13 mai ont tout fichu par terre", déplore Manuel Valls.
Conscient des enjeux, il avance pas à pas, prenant garde de ne froisser aucun camp. "Je me situe d'une certaine manière dans la continuité de Michel Rocard et de Lionel Jospin et des accords de Matignon et de Nouméa qui avaient permis près de 30 ans de paix et aussi de développement", dit le ministre.
À rebours des précédents ministres en charge du dossier, accusés d'avoir attisé les tensions localement, l'ancien socialiste n'hésite pas à parler de décolonisation. Une position qui conforte les indépendantistes partisans de la Kanaky.
Il reste beaucoup d'inégalités [en Nouvelle-Calédonie]. Le rattrapage économique, social, culturel du peuple premier, du peuple kanak, n'a pas été totalement réalisé. Nous sommes toujours dans un processus de décolonisation, il ne faut pas l'oublier.
Manuel Valls dans le 8.30 de Franceinfo
Sur l'éternelle question du corps électoral, Manuel Valls se montre rassurant pour les militants nationalistes kanak, peu enclins à le dégeler, alors que les loyalistes réclament son ouverture pour permettre aux citoyens récemment installés en Nouvelle-Calédonie de voter aux élections locales. "On ne peut pas uniquement élargir le corps électoral s'il n'y a pas une réforme globale", rappelle le ministre sur Franceinfo.
Le courroux des non-indépendantistes
À force de donner des gages aux indépendantistes, l'autre camp risque de se crisper. Virginie Ruffenach, représentante du parti Rassemblement-Les Républicains (droite non-indépendantiste) s'est montrée frustrée de l'issue des dernières discussions à Paris lors d'une interview au journal de Nouvelle-Calédonie la 1ère, dimanche. Selon elle, l'Union calédonienne (UC), premier parti indépendantiste du territoire, "paralys[e] l’avenir des Calédoniens" en s'obstinant à réclamer la souveraineté pleine et entière. Elle envisage des discussions trilatérales sans les représentants de l'UC. Or, l'État souhaite rassembler tous les acteurs autour de la table.
Le député loyaliste Nicolas Metzdorf a également fait entendre son mécontentement lorsque Manuel Valls, cité dans un article du Monde, a déclaré que "la trajectoire [de la Nouvelle-Calédonie] est celle d’une souveraineté partagée à une souveraineté pleine et entière". Les non-indépendantistes n'ont pas apprécié cette référence à l'indépendance potentielle du Caillou.
Pour les rassurer, le ministre des Outre-mer, qui s'envolera pour Nouméa en fin de semaine, a tenu à rappeler la légitimité des Calédoniens partisans d'un maintien du territoire au sein de la République. "Il y a [eu] des votes. Les Calédoniens se sont exprimés pour rester au sein de la France", précise-t-il sur Franceinfo, même s'il reconnaît que "le troisième référendum a laissé un goût amer".
Les deux camps accepteront-ils de se parler à la venue du ministre des Outre-mer ? Un compromis, primordial pour reconstruire le Caillou après les émeutes, est-il possible ? Les élections provinciales pourront-elles se tenir sereinement en fin d'année ? Le voyage de Manuel Valls sera crucial pour répondre à ces questions. "Je pense qu'on est dans un moment où chacun doit prendre ses responsabilités", estime-t-il.