Le chlordécone favoriserait l’apparition de troubles cardiaques, c’est ce que nous apprend l’étude menée par les chercheurs de l’Institut de cardiologie de Montréal publiée dans le Journal of Hazardous Materials. Ces recherches menées sous la direction du docteur Roddy Hiram, originaire de Guadeloupe, ont démontré que l'ingestion prolongée de chlordécone, via l'eau potable, "est associée à une inflammation cardiaque, augmentant ainsi la vulnérabilité aux arythmies cardiaques, notamment la fibrillation auriculaire".
Mais cette hypothèse n’est pas du goût de tous. L'épidémiologiste Luc Multigner, spécialiste de la question du chlordécone appelle à la prudence : "Au moment de communiquer auprès de la population antillaise qui souffre dans leur sang de la pollution environnementale au chlordécone et des conséquences sanitaires qui vont avec, leur faire gober des informations qui peuvent conduire à une angoisse supplémentaire, je trouve ça inapproprié. Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la santé publique."
Pour Luc Multigner, directeur de recherche à l’Inserm, l’information diffusée dans ce communiqué ne précise pas que l’étude a été menée sur des rats et non sur des humains. "Que je sache, les rats ne sont pas des humains", réagit-il.
Aucun aspect de notre méthodologie n’est caché.
Roddy Hiram
Une critique à laquelle a répondu Roddy Hiram : "Nous sommes dans l’environnement canadien, il y a des organismes qui protègent les animaux et nous devons respecter les règles de déontologie et d'éthique. Donc, lorsque nous avons communiqué, nous avons employé le conditionnel pour dire que ce que nous avons observé pourrait avoir des effets sur la santé humaine. Nous montrons très bien dans notre article que nous avons utilisé des modèles expérimentaux."
Deux visions qui s’opposent
Le chercheur d’origine guadeloupéenne soutient la démarche engagée par son laboratoire, notamment en qui concerne les tests menés sur les rats et non les êtres humains. "Nous sommes des scientifiques, nous travaillons au niveau clinique. Nous utilisons des modèles translationnels, c'est-à-dire qu’à chaque étape de la démonstration, nous regardons de quelle manière cela peut être transposé à l’être humain", explique-t-il.
Malgré ses remarques, Luc Multigner juge tout de même que cette étude est intéressante car elle donne des pistes, mais il estime qu’ils auraient pu aller plus loin dans leur démarche.
L’étape suivante serait de tester l’hypothèse que l’exposition au chlordécone serait nocive pour l’être humain. Mais pour cela, il faut la réalisation d’étude épidémiologiste sur les populations humaines pour affirmer ou infirmer les choses.
Luc Multigner
Selon Roddy Hiram, tester le chlordecone en l'administrant à des humains serait non-éthique au regard de la dangerosité de cette molécule. Dr Hiram soutient donc l'importance des modèles expérimentaux qu'il a développé dans son étude et propose en plus, la perspective de réaliser des tests complémentaires : "Ce qui serait intéressant, c'est d’aller voir les personnes qui ont été exposées au chlordécone et voir dans quelles mesures elles développent des troubles du rythme cardiaque."
"Nous avons ouvert une piste, il s’agit maintenant de l’approfondir", se réjouit Roddy Hiram. Ces deux visions qui s’opposent montrent toute la complexité qui existe à ce jour dans la recherche sur le chlordécone et ses effets sur la santé comme le cancer de la prostate, les troubles de la fertilité et les anomalies fœtales et périnatales.