Le chlordécone, un scandale d’Etat

Plantation de bananiers en Guadeloupe à Capesterre-Belle-Eau en 2012
De 1972 à 1993, le chlordécone a été utilisé pour sauver la monoculture de la banane aux Antilles avec une certaine efficacité. Mais les conséquences de ce pesticide interdit dès 1976 aux Etats-Unis se sont avérées durablement néfastes pour la Guadeloupe et la Martinique.
 
Le chlordéchone aux Antilles, c’est l’équivalent des essais nucléaires en Polynésie ou de l’amiante dans l’Hexagone. Cet insecticide utilisé pendant plus de 20 ans de 1972 à 1993 dans les bananeraies de Guadeloupe et de Martinique a empoisonné les sols, les rivières et la mer pour des siècles. Sans oublier les conséquences sanitaires sur la population dont les scientifiques commencent peu à peu à mesurer la gravité.

Neuf antillais sur dix ont du chlordécone dans le sang selon l'étude Kannari de Santé publique France parue en octobre 1998 (consultable ci-dessous), 95% de la population de la Guadeloupe et 92% de la population de le Martinique sont touchés. La Martinique est championne du monde des cancers de la prostate sans que l’on sache encore précisément le rôle du chlordécone dans cette anomalie.
►Pour en savoir plus, consultez l'étude Kannari ci-dessous :

Etude Kannari

 

#1 Genèse d’une molécule empoisonnante

Dans son documentaire passionnant intitulé Pour quelques bananes de plus diffusé sur France Ô/Les 1ères, le réalisateur Bernard Krutzen note que "ce monstre chimique est comme les anges il n’a pas de sexe". Certains disent la chlordécone, d’autres le chlordécone. Le chlordécone fait référence à l’insecticide utilisé aux Antilles pour lutter contre les charançons dans les bananeraies tandis que la chlordécone évoque la molécule qui entre dans la composition de ce produit. 

Regardez notre décryptage (décembre 2017) ci-dessous :
©la1ere

L’histoire du chlordécone débute aux Etats-Unis. Le pesticide est fabriqué dans la ville d’Hopewell en Virginie. Mais en 1975, de nombreux ouvriers de l’usine ont des troubles neurologiques. L’eau chargée de chlordécone pollue la rivière James située à proximité. Dans "l’usine à farine" comme ils la nomment, les ouvriers ont les mains qui tremblent et pour certains, de terribles problèmes de peau. Ils appelaient ça "le frémissement du kepone".

Par ailleurs, des tests pratiqués sur des animaux révèlent les effets inquiétants de l’utilisation de ce produit. Des problèmes de fertilité et une suspicion d’effet cancérigène ont été mis en évidence. En 1975, l’usine ferme et en 1976 les Etats-Unis décident d’interdire définitivement la production de chlordécone. 
 

#2 Histoire de dérogations sans fin

En France en 1968 et en 1969, la commission des toxiques rejette la demande d’homologation du chlordécone. Mais en 1972, le pesticide est finalement homologué sous le nom de Kepone. Il change de catégorie. Il passe du tableau A au tableau C (substance dangereuse que l’on peut utiliser) et le ministre de l’Agriculture de l’époque autorise alors une mise sur le marché.
 
Ouvrière agricole dans une bananeraie

Une autorisation provisoire pour un an est accordée en 1972 et ne sera pas renouvelée jusqu’en 1981. Ce qui n’empêche pas les agriculteurs antillais d’utiliser abondamment le chlordécone. L'agriculteur martiniquais Juvenal Rémire témoigne dans Pour quelques bananes de plus : "Il n’y avait pas de gants, pas de masques. C’était un produit très efficace. Tout parasite mourrait, même des serpents".

En 1977, aux Antilles les effets du chlordécone ne sont pas encore connus, mais le rapport rapport Snegaroff rendu public à la suite d’une mission de l’Institut national de recherche agronomique (INRA) sur place, puis le rapport Kermarrec de 1980, établissent déjà le lien entre une pollution environnementale des sols et des eaux et l’utilisation du chlordécone dans les plantations. Dès 1979, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe cette molécule comme "cancérogène possible".

En 1979, le cyclone David avec ses vents de plus de 150 km/heure dévaste les plantations en Martinique. Les producteurs replantent les bananiers, mais les charançons prolifèrent. Le chlordécone apparaît pour certains planteurs comme le seul remède susceptible de sauver cette culture.
Plantation de bananiers détruite après le passage du cyclone Dean en 2007

Après cette utilisation massive du pesticide, les stocks de chlordécone sont épuisés. Les établissements Laguarrigue en Martinique liés aux grands planteurs rachètent le brevet et décident de faire fabriquer du chlordécone sous le nom Curlone.

En 1980, les Etablissements Lagarrigue en Martinique dirigés par Yves Hayot (décédé en mars 2017), l’aîné d’une famille béké très connue localement, obtiennent l’autorisation de mise sur le marché par la ministre de l’Agriculture de l’époque. Cela relance et pérennise l’utilisation de l’insecticide aux Antilles. En 1990, le chlordécone est interdit en France mais certains planteurs demandent à nouveau une dérogation.  

L’Etat délivre encore des dérogations pendant trois ans pour les Antilles, à la suite d’un lobbying intense auprès de Jean-Pierre Soisson. Le ministre de l’Agriculture accorde deux dérogations. Jusqu’en 1993, le chlordécone continue d’être utilisé dans les bananeraies sans que la question de sa dangerosité ne soit officiellement posée.
 

#3 Le poids de la banane en Guadeloupe et en Martinique

En Martinique et en Guadeloupe, la banane est devenue le fruit le plus cultivé. L’économie antillaise dépend grandement de cette filière banane qui emploie environ 10 000 personnes. C’est une culture principalement tournée vers l’exportation. La banane est le deuxième fruit le plus consommé en France.
Plantation de bananiers en Guadeloupe à Capesterre-Belle-Eau

Sans la banane, le coût des importations grimperait fortement aux Antilles. Ce fruit est l'un des rares produits d'exportation, il permet de remplir les porte-conteneurs au départ de la Martinique et de la Guadeloupe. La filière banane est donc pour l’instant un maillon essentiel du fonctionnement de l'économie antillaise. Sans elle, il faudrait tout remettre à plat et revoir à la hausse le coût d'approche des importations.

►Regardez ce Décryptage sur la filière banane :
©la1ere

Comme toute monoculture, la filière banane est fragile, très sensible aux cyclones. Des insectes comme le charançon, des champignons tels que le Mycosphaerella fijiensis Morelet, responsable de la cercosporiose noire, s’attaquent aux bananeraies. Dans les années 70, la réponse était avant tout chimique. Avec le scandale du chlordéone qui a pollué les sols pour des centaines d’années, les planteurs se sont tournés vers des manières de produire beaucoup plus respectueuses de l’environnement.

En 2019, la filière banane comptait 600 producteurs (400 en Martinique, 200 en Guadeloupe) et produisait 250.000 tonnes de bananes par an. Chaque année au salon de l’Agriculture à Paris, les planteurs communiquent sur leurs progrès en matière d’environnement. En 2019, Philippe Ruelle, directeur de l’UGPBAN affirmait que la filière avait "baissé de 65% en 10 ans l'utilisation des pesticides chimiques". En 2020, l’UGPBAN était fière de présenter sa nouvelle banane : la Pointe d’Or, la première banane bio française. 

Reportage de France Ô/La1ère à voir ci-dessous :
©Kessi Weishaupt, Leila Zellouma, Gilles Mazaniello, Nicole Coisman, Erwan Mirabau
 

#4 Et le scandale éclata

Le chlordécone se fait oublier pendant des années. Des associations écologistes telles que l’Assaupamar en Martinique dénoncent régulièrement la présence de pesticides dans l’eau. Et puis au début des années 2000, Eric Godard fonctionnaire de la santé en charge des eaux potables à la DDASS (ARS aujourd’hui) s’intéresse au sujet. Il découvre des traces de chlordécone dans l’eau à des doses élevées.

Les autorités prennent des mesures d’urgence. L’usine de Capès (eau en bouteille) en Guadeloupe est obligée d’utiliser des filtres à charbon car le chlordécone ne se dilue pas dans l’eau. Pour les aquaculteurs, c’est la catastrophe. Mais les autorités ne communiquent pas trop sur le sujet.
La mention "eau rendue potable par traitement" devra être présente dorénavant

En 2002, Eric Godard lance une deuxième étude sur la relation du chlordécone dans le sol et les produits cultivés. Cette étude qui met en évidence la présence de chlordécone dans des légumes passe mal auprès de sa direction. L’ancien délégué interministériel chlordécone en Martinique aujourd'hui retraité a été entendu par la commission d’enquête parlementaire mise en place en septembre 2019. Son témoignage complet est à lire ici.

Les végétaux concernés par le chlordécone sont surtout les tubercules et ceux qui poussent près du sol comme les patates douces. Pour les fruits, plus ils poussent haut, moins ils sont impactés. C’est le cas de la banane par qui le malheur est arrivé et qui ne concentre aucune trace de chlordécone.
 

En 2002 des patates douces contaminées arrivent à Dunkerque. Elles sont bloquées. La douane a été alertée par la Direction des affaires sanitaires et sociales de la Martinique. Le journal Libération rend l’affaire publique et titre "En Martinique, patates douces et toxiques durs". Suite à cette affaire, sous l’impulsion du député Philippe Edmond-Mariette, une mission d’enquête parlementaire est créée.

Cet épisode laisse des traces et donne l’impression que si cette affaire avait éclaté dans l’Hexagone, il y aurait beaucoup plus d’écho à ce dossier. Mais pour que le scandale éclate réellement il faudra attendre 2007.

Cette année-là, l’écrivain talentueux Raphaël Confiant et Louis Boutrin publient Chronique d’un empoisonnement annoncé, un livre qui trouve localement un certain écho. Ils dénoncent la complicité des services de l’Etat, des préfets, des "latifundistes békés" et des grands planteurs qui ont contribué avec le chlordécone à polluer les sols, l’eau, les légumes, les poissons. Onze après, ils n'ont pas abandonné le combat. 

►Regardez ce reportage de 2018 de Martinique la 1ère :

La même année (en 2007) Le Parisien s’empare de l’affaire et livre un dossier complet sous le titre : Pesticides : le scandale qui empoisonne les Antilles. Le quotidien donne la parole dans ses colonnes au docteur Belpomme. Ce cancérologue affirme :  "c’est un scandale beaucoup plus grave que le sang contaminé". Cette phrase fait l’effet d’un électrochoc. Le coup de gueule du docteur Belpomme s’avère plus efficace que les rapports qui depuis 30 ans dénoncent la dangerosité du produit. Il permet de rendre national le scandale du chlordécone.
Le professeur Belpomme en 2007 à Paris

Grâce à la commission d’enquête parlementaire sur l’impact du chlordécone dont le rapport a été publié le 26 novembre 2019, on a appris que des ouvriers agricoles de Martinique avaient tenté de faire entendre leur voix dès 1974, en vain. C’est le chercheur au CNRS Malcom Ferdinand qui a révélé aux députés cet autre scandale.
 

Deux ans après l’autorisation officielle du chlordécone, les ouvriers agricoles de la banane entament l’une des plus importantes grèves de l’histoire sociale de la Martinique et demandent explicitement l’arrêt de l’utilisation de cette molécule parce qu’ils ont fait l’expérience de sa toxicité dans leur chair. (…) Ni les autorités locales et membres du gouvernement qui ont pris part aux négociations, ni les services de santé de l’État n’ont tenu compte de cette alerte.
Malcom Ferdinand

 

#5 Les conséquences du chlordécone

La quasi-totalisé des Antillais (95% des Guadeloupéens et 92% des Martiniquais) sont contaminés par le chlordécone dans leur sang selon l’étude Kannari de Santé Publique France parue en octobre 2018. "Les niveaux d’imprégnation sont toutefois contrastés au sein de la population d’étude : 5% des participants (NDLR à l’enquête) ont des niveaux d’imprégnation au moins 10 fois plus élevés que la concentration moyenne", précise Santé Publique France.

L’étude constate par ailleurs "une diminution de l’imprégnation par le chlordécone pour la majorité de la population, mais l’imprégnation des sujets les plus exposés ne diminue pas". 

Par ailleurs, le pesticide est suspecté d’être à l’origine de cancers de la prostate très nombreux aux Antilles. Le professeur Luc Multigner qui a beaucoup travaillé sur le sujet a ainsi montré lors de la publication de ses résultats dès 2010 "un lien d’ordre statistique entre l’exposition au chlordécone et un surrisque de cancer de la prostate. Pour simplifier, les hommes, dont l’exposition au chlordécone a été estimée par la mesure de la concentration de chlordécone dans le sang, présentaient plus de risques d’avoir un cancer de la prostate que ceux qui avaient moins de chlordécone dans le sang".

►Ecoutez cette interview de Luc Multigner au lendemain des propos controversés d'Emmanuel Macron sur le chlordécone le 1er février 2019 :
©la1ere

Les professeurs Luc Multigner et Pascal Blanchet sont à l'origine de ce programme de recherche baptisé Karuprostate. Avec 227 cas pour 100 000 habitants soit  2% de la population, la Martinique est la championne du monde des cancers de la prostate. Même si le chlordécone n’est pas le seul responsable, il favorise le développement des cellules cancéreuses. Cependant, la part des cancers de la prostate attribuable à l’exposition au chlordécone fait encore l’objet de recherches.
 
Les Professeurs Pascal Blanchet et Luc Multigner

Comme perturbateur endocrinien, le chlordécone a aussi des incidences sur le développement des enfants exposés pendant la grossesse, avec une hausse des risques de prématurité notamment. Selon Jean-Pierre Thomé à Liège qui travaille sur cette molécule : "c’est le dérégulateur endochrinien le plus puissant que l’on connaît à l’heure actuelle".

L’étude Ti Moun de l’INSERM (Institut national de la Santé et de la Recherche médicale) dont les premiers résultats ont montré en 2012 que "l’exposition pré ou post-natale au chlordécone est associée à des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons". 

En plus des conséquences sur la santé, la crise provoquée par le chlordécone a eu des effets très concrets sur l’agriculture et la pêche. Plusieurs millions d’hectares de terres, soit un quart des surfaces agricoles sont contaminées, notamment dans la région de Basse-Terre en Guadeloupe (zone dite du croissant bananier) ainsi qu'une très grosse partie de la Martinique.

Sur terre, une partie du bétail et des voilailles sont contaminés. Les légumes racines sont pollués. Le chlordécone ne monte pas dans la plante donc plus les fruits et légumes sont proches ou dans la terre, plus ils sont contaminés.
Les plantes cultivées réagissent différemment à la chlordécone selon si elles sont près ou loin du sol

Ce sont les petits agriculteurs qui ont eu le plus à pâtir de la pollution des sols. Avec une conséquence dramatique dénoncée dans le rapport de l'enquête parlementaire mené par les députés Serge Letchimy et Justine Bénin : "Le chlordécone constitue un frein supplémentaire à l’indépendance et à la diversification alimentaire de la Guadeloupe et de la Martinique".

Les deux îles importent en effet beaucoup de fruits et légumes en provenance de pays tiers et de l’Hexagone. Le coût de la vie élevé est ainsi régulièrement dénoncé. Mais avec la crise provoquée par le chlordécone, la situation s’est encore détériorée. Selon le rapport, "le taux de couverture des besoins alimentaires aux Antilles est passé de 62 % en 2010 à 55 % en 2017 en ce qui concerne les légumes, de 16 % à 14 % en viandes et de 4 % à 2 % en lait livré aux laiteries"

Par ailleurs, la pollution au chlordécone des zones côtières a entrainé l’interdiction de plusieurs zones de pêche. Les artisans-pêcheurs se sont retrouvés dans une situation particulièrement difficile. En Martinique selon Mirella Méraut représentante du comité régional des pêches maritimes et des élevages marins "en 2012, il y avait 1 180 marins pêcheurs embarqués. En 2017, c’est tombé à 771". Arnaud Le Mentec, directeur adjoint de la mer de Guadeloupe fait le même constat : "on est passé de 1 500 à 1 000 pêcheurs en une dizaine d’années".
 
Pêcheur du François, spécialiste de la pêche à la langouste.

Or les Martiniquais et les Guadeloupéens sont de gros consommateurs de produits de la mer. Aujourd’hui, 75 à 80 % du poisson consommé est issu des importations de pays tiers.
 

#6 La réponse des autorités

Face à ce qu’il convient désormais d’appeler un scandale, l’Etat s’est montré pendant trop longtemps assez peu réactif. Après la détection de la pollution de l’eau à la fin de l’année 1999, il faudra attendre 2008 pour que la France prennent des mesures concrètes.

Deux Plans Chlordécone ont été lancés, le plan I entre 2008 et 2010 et le plan II entre 2011 et 2013. Une évaluation a été menée en octobre 2011, par quatre inspections générales et conseils généraux, et leur bilan est "globalement mitigé", le rapport d’évaluation, rapproche la "juxtaposition d’initiatives ministérielles distinctes", l’absence de coordination et le manque de transparence auprès de la population.

Toutefois, le premier plan a permis "de réelles avancées" comme la cartographie des zones polluées, la surveillance des eaux continentales et littorales, une meilleure connaissance de la contamination des cultures et de l’élevage, des efforts en matière d’analyse de santé et la mise en place de registres des cancers et des malformations.
Carte de la pollution (en rouge) au chlordécone en Guadeloupe et en Martinique

Selon la commission d’enquête parlementaire, le programme, JAFA ou Jardins familiaux piloté par les ARS lancé dès 2009 est un des piliers des Plans Chlordécone successifs. Il est "de l’avis de tous, une vraie réussite à pérenniser et à amplifier". Les enquêteurs JAFA se rendent chez les familles, discutent de leurs habitudes alimentaires et de leurs sources d’approvisionnement et proposent, selon les réponses apportées, une analyse du sol du jardin. En fonction des résultats de ces analyses, des conseils culturaux et alimentaires sont donnés.

Par exemple, le simple lavage et l’épluchage des fruits et légumes permettent de limiter l’exposition des consommateurs au chlordécone, en éliminant les résidus de terre et la peau des racines et tubercules et des cucurbitacées. Cependant, ce programme est loin d’avoir touché l’ensemble de la population, faute d’une communication et de moyens suffisants.

Reportage de France Ô/Outre-mer la1ère sur l'enquête parlementaire :

Globalement l’Etat, après des années d’Omerta, a fait des efforts pour lutter contre les effets du chlordécone, mais il n’a pas réussi avec ces plans "à rassurer à court terme" et à "rendre explicite sa stratégie". Le rapport d’évaluation reproche en particulier "une sous-estimation des conséquences économiques et sociales des mesures administratives" à prendre face au chlordécone, "l’insuffisant suivi des travailleurs agricoles de la banane" et un mode de gouvernance bien trop complexe du pilotage de ces plans. 

Un troisième plan chlordécone court actuellement jusqu’en 2020. Il encadre notamment les recherches pour mieux connaître les effets sanitaires du pesticide. Un quatrième plan est en préparation comme l'explique ce reportage de Guadeloupe la 1ère ci-dessous :
©guadeloupe

Outre les plans qui se succèdent, la visite d’Emmanuel Macron aux Antilles le 27 septembre 2018 a permis enfin que des mots soient posés sur cette affaires. Lors de son déplacement en Martinique, le président de la République a déclaré : "la pollution au chlordécone est un scandale environnemental, dont souffrent la Guadeloupe et la Martinique depuis quarante ans.

Ce fut le fruit d’un aveuglement collectif. Pendant des années, pour ne pas dire des décennies, nous avons collectivement choisi de continuer à utiliser le chlordécone, là où beaucoup d’autres territoires avaient cessé beaucoup plus tôt. Nous l’avons fait parce que l’État, les élus locaux, les acteurs économiques, ont accepté cette situation et l’ont accompagnée pendant cette période, en considérant que l’arrêt de l’utilisation du chlordécone aurait menacée une partie des exploitations en Martinique comme en Guadeloupe. 


Et d’ajouter : "L’État doit prendre sa part de responsabilité dans cette pollution, et doit avancer dans le chemin de la réparation et des projets".

►Le reportage de Martinique la 1ere en septembre 2018 :
©guadeloupe

Selon le rapport d’enquête parlementaire, cette déclaration présidentielle est historique. "Pour la première fois, un Président de la République en exercice reconnaît la responsabilité de l’État dans la pollution et, surtout, fait référence au devoir de réparations".


#7 Et maintenant ? 

Deux associations d’agriculteurs ont déposé plainte contre X en 2006 pour mise en danger de la vie d'autrui et empoisonnement. Plusieurs associations écologistes, la Confédération paysanne et un syndicat, se sont portés partie civile dans cette affaire. Au total quatre juges d’instruction se sont déjà succédés sur ce dossier transféré au pôle santé du Tribunal de Grande instance de Paris.

Maître Jean-Claude Durimel ne désespère pas. "C’est un procès au long court. Il faudra bien que ça vienne ! Pour le sang contaminé cela a mis 10 ans, pour l’amiante 15 ans", déclare-t-il à Outre-mer la 1ère.
Maître Jean-Claude Durimel

Par ailleurs, le 5 mai dernier, 500 habitants des Antilles exposés au chlordécone, ont saisi le tribunal administratif de Paris pour voir reconnaître un préjudice d'anxiété. En décembre 2019, ils avaient adressé des demandes préalables en indemnisation du préjudice moral d'anxiété au Premier ministre pour un premier groupe de 500 personnes, affirmant que plus de 2000 personnes s'étaient jointes à cette "action collective conjointe".

Selon le rapport d'enquête parlementaire "ce drame environnemental, sanitaire et économique exige donc sans délai réparation". La responsabilité de l’État est "reconnue et l’engage à mettre en place des mesures de réparation exceptionnelles". "Les implications des vendeurs-producteurs et des groupements professionnels, sont incontestables", précise encore le rapport.

Les parlementaires demandent également la prise en charge gratuite des victimes les plus exposées sur le plan de la santé, la mise en place d’un plan d’ampleur de dépollution des terres, des indemnisations à la hauteur de la crise pour les agriculteurs de la diversification et pour les pêcheurs et la mise en place d’un dépistage gratuit pour toutes les populations vulnérables.
Concernant la pollution des sols, les dernières recherches apportent une petite note d'espoir. Dans un article paru le 18 février 2020 dans la revue Pour la Science, deux chercheurs Oriane Della-Negra et Pierre Loïc Saaidi montre que le chlordécone que l’on considérait indestructible ne l’est pas tant que ça. "Une dégradation naturelle est en fait à l’œuvre", affirme les chercheurs. Reste à étudier les produits qui favorisent la transformation.